« Nous devons sans relâche tenir bon la position d’une école publique émancipatrice pour toutes et pour tous, sans exception aucune » écrit Jadran Svrdlin. Pour le professeur des écoles, deux processus sont en cours dans le champ éducatif : la prolétarisation des enseignants et l’abandon des élèves des classes populaires. Il aborde dans ce texte l’enjeu des programmes scolaires et l’assaut des idées d’extrême-droite, aussi dangereux pour les élèves que des professeurs mis au pas.

Lorsque le 10 mars dernier de nombreux parents décident de ne pas mettre leurs enfants à l’école afin de protester contre la mise en place de nouveaux programmes, on aurait pu être amenés à crier « Enfin ! ». Sauf que… ils avaient choisi de s’attaquer aux programmes de l’Éducation à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle (EVARS). En d’autres mots, à l’arbre sain d’une forêt malade. Comme toujours, les obsessions de l’extrême droite, qui était à la manœuvre dans cette contestation, servent les intérêts des puissants au détriment des plus fragiles. Explications :

L’extrême droite et ses proximités idéologiques

L’extrême droite aime à se présenter comme une force « antisystème ». Ce qualificatif flou lui permet de se poser en représentante des classes populaires. Selon son discours bien rodé, si les conditions de vie des Français se détériorent c’est parce que les élites détentrices des pouvoirs politiques et médiatiques seraient, tour à tour, incompétentes, corrompues, décadentes et idéologiquement de (extrême) gauche !

Or, objectivement, les obsessions de l’extrême droite ne cessent de gagner du terrain dans les champs politique et médiatique. En analysant de près les positions que tiennent les partis d’extrême droite dans le domaine éducatif nous verrons qu’ils prétendent combattre ce avec quoi ils finissent par se confondre.

En nous penchant sur leurs discours à propos de l’éducation on se rend rapidement compte de la supercherie de ces héritiers du vichysme. Certes, aujourd’hui les responsables du Rassemblement National ne traitent plus les enseignants de « crassouillards » comme pouvait le faire Le Pen père et ils ne prônent pas ouvertement la fin du droit de grève comme l’a fait en son temps le régime de Vichy. Mais malgré ces effets de toilettage une idéologie commune lie les extrêmes droites actuelles, y compris les plus dédiabolisées, au Front National d’antan et à la politique vichyste. Mais aussi et surtout : le lien idéologique avec les « élites » qu’ils prétendent combattre est bien réel et consistant.

Un projet éducatif au service du capital

Alors partons en cette terre que ses électeurs croient connaitre. Les programmes électoraux de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour de 2022 partagent sans surprise de nombreux points communs qui constituent la charpente de leur système éducatif idéal. Ces points les relient idéologiquement à ceux dont ils veulent définitivement se défaire et ainsi effacer les stigmates de leur naissance (Vichy et le fascisme) et à ceux dont ils souhaitent se présenter comme les adversaires les plus résolus (les « élites » actuelles).

Ces points essentiels sont : réduire les contenus enseignés aux fameux fondamentaux, en finir avec l’enseignement commun le plus tôt possible, prolétariser les enseignants, le tout afin de satisfaire les besoins des entreprises.

Le programme de Marine Le Pen dit vouloir donner une « priorité absolue au français, aux mathématiques et à l’histoire de France » là où Éric Zemmour souhaite « recentrer l’enseignement autour des savoirs fondamentaux ». Pétain, lui, écrivait dans son texte de 1940[1], intitulé « L’éducation nationale », que les programmes devaient être « simplifiés » et « dépouillés du caractère encyclopédique et théorique » au profit de « travaux manuels ». Enfin, depuis Jean-Michel Blanquer, un proche de Brigitte Macron, symbole du système dénoncé par l’extrême droite, tous les ministres glorifient et appellent de leur vœux ce recentrage sur les fondamentaux.

Puis, le RN et autres Reconquête souhaitent achever le collège unique. Le programme des premiers parle d’une « machine à échec » là où les seconds promettent la mise en place des classes de niveaux. Pétain, lui, poussait et assumait cette logique jusqu’au bout, fustigeant une « école unique » comme étant une école de « lutte sociale » et de « destruction nationale ». Quant aux groupes de niveaux actuels, c’est bien Gabriel Attal, autre prototype de l’élitisme parisien, qui les a mis en place et c’est Elisabeth Borne qui vient de publier un nouveau décret en ce sens.

Concernant la prolétarisation des enseignants, les partis d’extrême droite sont partisans de la mise au pas sous couvert de l’instauration de la méritocratie. Les deux partis proposent de prendre en compte le mérite dans la revalorisation. Ils évoquent, tout en se déclarant préoccupés par la revalorisation sociale des enseignants, le contrôle accru et la traque de tout manquement à la « neutralité politique, idéologique et religieuse » de la part de ceux-là. Le programme du RN promet même la suppression des INSPE car ils diffuseraient une « idéologie délétère ». Zemmour parle d’interdire « toute forme de propagande idéologique à l’école ». Comment ne pas penser à la phrase de Pétain de juillet 1940 selon laquelle ce sont « les instituteurs et les politiciens, plus que les militaires, (qui) ont mis la France à genoux ».

Concernant la prolétarisation actuelle des enseignants, on l’a déjà évoquée ici. Et si vous vous demandez si des ministres ont participé récemment à des opérations de défiance ou de suspicion vis-à-vis des enseignants, rappelez-vous la croisade qu’ont menée M. Blanquer et Mme Vidal contre la prétendue « gangrène islamo-gauchiste ». Ou comment M. Darmanin avait, peu de temps après l’assassinat de Samuel Paty, osé déclarer en parlant entre autres du syndicat Sud éducation, qu’ils « sont aussi responsables de cette ambiance […] qui permet à des individus de passer à l’acte ».

On ne va pas aller jusqu’à rappeler que l’obsession de l’uniforme qui caractérise l’extrême droite a été défendue par Gabriel Attal aussi. Ni que l’instrumentalisation de la laïcité n’est pas l’apanage des seules mouvances lepénistes et que des ministres comme Retailleau (qui vient de se déclarer favorable à l’interdiction du voile à l’Université et pour les accompagnatrices des sorties scolaires) ou Ndiaye (qui, bien que conspué par l’extrême droite à son arrivée finit par valider le concept de tenue religieuse par destination, rendant ainsi possible l’épisode abaya) s’y adonnent régulièrement. Ou que tous ces sujets réactionnaires et racistes sont massivement repris par le peloton des médias dominants. On a connu des idéologies plus ostracisées.

Enfin, il y a la finalité de ces politiques. Le programme de Marine Le Pen est assez clair : « les formations dispensées à partir du lycée ne sont pas en adéquation avec les besoins de l’économie ». D’où sa volonté de faire du brevet « un examen d’orientation ». Là, c’est tout le parcours qui s’éclaire et s’avère tracé avant même le début de la scolarité : un enseignement primaire étriqué qui amène à une première séparation à l’entrée au collège et ses groupes de niveaux puis à la fin de la 3ème un tri définitif. Ou quand retrouver la grandeur de la nation revient à produire, à bas coût, de la main d’œuvre pour satisfaire les besoins des entreprises. On a connu plus antisystème. Pétain, lui aussi, était on ne peut plus clair quant au tri social comme finalité de ses réformes scolaires. Il a écrit que la finalité de l’école était de « mettre tous les Français à leur place ». L’idéologie méritocratique permet aujourd’hui aux différents ministres de naturaliser les inégalités scolaires tout en façonnant l’institution dans le sens d’un tri social toujours plus aiguisé.

Contre les séparatismes et les ségrégations : l’émancipation !

Comment donc ne pas avoir la nausée devant le cynisme de cette contestation du programme EVARS ? S’aligner ainsi sur les positions d’un catholicisme radicalisé au moment même où éclate le scandale Bétharram, jeter l’opprobre sur un programme adéquat, pondéré et nécessaire permet de garder le silence sur un système religieux privé, financé par l’argent public, hors de tout contrôle et à la dérive.

Cela permet aussi d’invisibiliser les proximités réelles entre le projet éducatif de l’extrême droite et les politiques éducatives actuelles. Ils ne se différencient souvent qu’en degrés, rarement par leurs natures. Dans le domaine scolaire l’extrême droite vient sciemment au secours d’un capitalisme en crise qui tente de rendre les résultats de la lutte des classes irréversibles par tous les moyens, y compris éducatifs. En produisant un discours ségrégationniste à propos des élèves en situation de handicap aussi, l’extrême droite participe à l’invisibilisation des responsabilités des vrais destructeurs de notre système éducatif.

Là où l’extrême droite n’aura rien à dire sur l’affirmation de Mme Borne selon laquelle il faudrait se projeter sur un métier « dès la maternelle », nous devons sans relâche tenir bon la position d’une école publique émancipatrice pour toutes et pour tous, sans exception aucune. Même, et surtout, lorsque l’environnement y est hostile.

Jadran Svrdlin

[1] Cité dans Gregory Chambat, Quand l’extrême droite rêve de faire école, éditions du Croquant, 2023