Jamais deux sans trois : convoqué ce mardi 20 mai à l’Assemblée, le milliardaire catholique identitaire ne s’est pas présenté devant la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France. Sur CNews, il se permet même de narguer les députés en les traitant de « marioles » et d’« imbéciles ». Mais derrière les « menaces » invoquées pour se soustraire à cette audition, le concepteur du plan Périclès entend criminaliser l’opposition croissante à ses menées politiques.

© Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM
Avant, Pierre-Édouard Stérin était riche et puissant. Maintenant, il est célèbre, aussi. Même mieux que ça, après la révélation à son grand dam, l’été dernier, de son plan visant à assurer une triple victoire – idéologique, politique et électorale – aux droites extrêmes : Stérin est identifié. Son dessein est connu. Son nom circule dans les gazettes, et au-delà. Son visage apparaît sur des affiches, des cartons ou même des banderoles, tantôt avec Vincent Bolloré ou Elon Musk, tantôt seul.
Les dizaines d’entités qu’il finance directement via Périclès, son « family office » Otium Capital et son philanthropique Fonds du bien commun, mais également la Nuit du bien commun qu’il a cofondée en 2017… Ses activités se trouvent sous surveillance citoyenne, bien au-delà de la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France, qui devait l’entendre ce mardi 20 mai, et à laquelle le milliardaire catholique a une nouvelle fois fait faux bond, invoquant toujours les « menaces de mort » à son encontre.
Valeurs actuelles fait son service après-vente
La veille, l’entrepreneur et exilé fiscal avait réclamé, comme la semaine dernière, une audition en visioconférence sous ce prétexte ubuesque du « danger » qu’il courrait au Palais Bourbon… Et ce alors même que sa présence est annoncée en grande pompe à un événement traditionaliste, mi-juin, dans les quartiers chics de Paris, en présence de l’abbé Matthieu Raffray, de Gabrielle Cluzel, plume de Boulevard Voltaire, ou du maire d’Orange apparenté Reconquête !.
Mais Pierre-Édouard Stérin a des soutiens. Au coude-à-coude avec le Figaro et le JDD, Valeurs actuelles se distingue par son outrance dans le service après-vente du milliardaire. Pour justifier la défection, le média cite ainsi longuement une source anonyme présentée comme « l’équipe de Périclès » : « L’ultra-gauche appelle quotidiennement à sa décapitation. En province, des manifestations avec des propos particulièrement violents, appelant notamment à sa décapitation, se tiennent en marge des Nuits du Bien Commun. Il y a un mois, le rapt d’un multimillionnaire a été déjoué en Belgique. Hier, la fille d’un leader de la cryptomonnaie, a manqué d’être enlevée à Paris et il y a quelques semaines, le cofondateur de Ledger était kidnappé. »
Pour Stérin, les députés veulent « faire les marioles »
Ce mardi 20 mai, au moment même de sa convocation, Pierre-Édouard Stérin se répand, en visio, dans l’émission de Pascal Praud sur CNews. « J’habite en Belgique, crâne le milliardaire depuis son exil fiscal. Je ne me rends en France que trois jours tous les deux mois et je n’ai pas envie de me déplacer pour répondre à des questions auxquelles mon associé a déjà répondu… » Avant d’ajouter : « La deuxième raison qui est plus importante, c’est que j’ai reçu des dizaines de menaces de mort émanant des amis des personnes qui me convoquent, en tout cas en partie. Il y a un risque de sécurité avéré, j’ai contacté le ministère de l’Intérieur qui m’a confirmé qu’effectivement, ces menaces étaient sérieuses et imminentes. Après, je ne suis pas le seul à en recevoir, mais comme elles sont sérieuses et imminentes, je n’ai pas envie de venir à Paris pour répondre à ces questions. » Aiguillonné par Pascal Praud, Stérin ne voit « aucune raison donnée » par les parlementaires à leur refus de l’entendre en visioconférence. « Ce que je comprends, c’est qu’ils ont envie de faire les marioles devant les caméras. Ce sont des politiques, ils ont besoin de n’importe quel prétexte pour que leurs noms soient mis en avant… Ils m’attendent aujourd’hui avec des dizaines de journalistes pour pouvoir faire les imbéciles devant des caméras… »

Sans revenir sur le renvoi totalement hors sujet aux tentatives d’enlèvements crapuleux de figures des cryptomonnaies, Me Louis Cailliez avait, pour le compte de Pierre-Édouard Stérin, annoncé lundi 19 mai, en fin de soirée, le dépôt d’une plainte pénale visant une « vague de menaces de mort et d’exhortation au meurtre » qui aurait « déferlé contre lui, sur Internet et sur la voie publique, à la suite de la médiatisation de son audition par une commission d’enquête parlementaire ». L’amalgame est établi. Allègrement.
À Tours, le 6 mai – à la même date que l’audition d’Arnaud Rérolle, le bras droit de Stérin pour Périclès, à l’Assemblée nationale -, une manifestation unitaire contre la Nuit du bien commun a rassemblé près de 400 personnes, soit plus que les participants à l’intérieur de l’Opéra. Avec des dons en baisse très nette par rapport à l’an dernier, les résultats ont été très médiocres de l’aveu des organisateurs du gala de charité. « Vous êtes moitié moins que l’année dernière à cause des manifestants », se lamente l’un d’eux dans la presse locale.
Le lendemain, les mêmes changent d’angle d’attaque en dénonçant des « menaces de mort » contre « l’un de leurs bénévoles ». « On en a décapité pour moins que ça », cinglerait un des messages relevés par leurs soins. Dans son communiqué annonçant la plainte, l’avocat de Pierre-Édouard Stérin, lui-même engagé au sein du collectif Justitia soutenu par Périclès, se concentre, lui, sur une affiche « Stérin décapitation » placardée à Tours comme « un exemple révélateur de l’ampleur et de la gravité du phénomène ».
L’apparition de la Section carrément anti-Stérin (Scas)
C’est donc à partir d’un ou deux slogans, certes, de très mauvais goût mais manifestement isolés, que Pierre-Édouard Stérin construit aujourd’hui son récit visant à lui permettre d’esquiver les questions des parlementaires et de devoir y répondre sous serment puis, par la même occasion, à criminaliser les mobilisations sociales et citoyennes contre ses menées politiques… Un grossier jeu de bonneteau, qui ne doit pas faire oublier que pour le milliardaire, les déconvenues se multiplient.
Dans le paysage, un nouvel acteur est apparu fin mars 2025 sous le nom de Section carrément anti-Stérin (Scas). Avec l’objectif revendiqué de contrecarrer le milliardaire et son plan Périclès en visant ses galas de charité dans tout le pays. « La galaxie du bien commun et Périclès sont, quoi qu’en dise Stérin, fondamentalement liés et s’entre-nourrissent », dénonce le groupe. Ajoutant mi-avril : « Dans toutes les villes où une Nuit du bien commun doit avoir lieu, des personnes, des organisations se rencontrent, s’adressent aux associations, diffusent de l’information et se mobilisent. » Après Tours et alors que plusieurs rendez-vous sont programmés début juin à Nantes et à Rouen, une manifestation était organisée lundi 19 mai à Lyon, avec le soutien des Soulèvements de la Terre, du PCF, de LFI, de Solidaires et d’autres. Elle s’est déroulée sans heurts.
Mais ça n’est pas tout : en Sologne, non loin de Salbris, une petite manifestation s’est aussi tenue, fin avril, devant l’internat de l’Académie Saint-Louis qui, incubé au sein du Fonds du bien commun, doit en cas d’autorisation préfectorale ouvrir ses portes à ses premières classes réservées aux garçons en septembre prochain. Même cause, même effet : samedi 24 mai prochain, à Étang-sur-Arroux (Saône-et-Loire), un « pique-nique citoyen » est prévu contre l’ouverture d’une école privée hors contrat du réseau Excellence Ruralités, financé à la fois par le Fonds du bien commun et la Nuit du bien commun.
Dans l’Allier, à Moulins, Yannick Monnet, député PCF et élu municipal d’opposition, alerte depuis des semaines sur une fresque historique mise en scène par l’association Murmures de la Cité, dont l’un des sponsors est le Fonds du bien commun. « Dans une conclusion empreinte de lumière et d’espoir, la France est dépeinte comme un pays éternel, guidé par la Providence, qui survit aux tourments, se réinvente et se projette dans un avenir toujours plus lumineux, porté par l’énergie et la volonté de son peuple », expliquent, par exemple, ses animateurs pour décrire le clou de leur spectacle.
Bolloré et Stérin « polluent le débat par leur puissance économique »
Des tas d’autres épisodes sont significatifs, comme la mise en échec par les personnels du groupe Bayard de l’arrivée d’Alban du Rostu, son ex-aide de camp au Fonds du bien commun, comme directeur de la stratégie. Quelques semaines plus tard, Dominique Greiner, représentant des assomptionnistes actionnaires du groupe, s’était livré à une forme inédite de critique à l’occasion d’un entretien à la Revue des médias de l’INA. « L’argent corrompt. L’Église catholique se retrouve aujourd’hui en difficulté pour se positionner, notamment face à Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin. Ils polluent le débat par leur puissance économique et financière et promeuvent une forme du catholicisme. Qui n’est que ça : une forme du catholicisme. Très étroite, par ailleurs. Ils ont arrosé tous les mouvements de l’Église, qui aujourd’hui ne peuvent plus se passer de leurs fonds. »
Mais avant même la découverte du plan Périclès, la majorité de gauche à Marseille avait, dès février 2024, refusé d’accueillir dans les locaux municipaux de l’Opéra la Nuit du Bien commun après la publication d’une première enquête sur la philanthropie de Pierre-Édouard Stérin dans l’Humanité magazine. « À la lecture de l’article, la Ville de Marseille a découvert le parcours de M. Stérin, avait indiqué alors une porte-parole de l’équipe municipale. On ne peut plus faire avec des gens qui ont des valeurs ultra-conservatrices et antidémocratiques. La Ville retire son soutien de façon évidente et claire. » L’été dernier, en Belgique, la principale fondation du pays (Fondation du Roi Baudouin) avait, elle, suspendu son partenariat avec l’événement après nos révélations sur Périclès.
Une tribune des maires de gauche contre cette « vision rétrograde de la société »
Ces derniers jours, de Nathalie Appéré (Rennes) à Arnaud Deslandes (Lille) en passant par Grégory Doucet (Lyon), Johanna Rolland (Nantes) et Pierre Hurmic (Bordeaux), les maires socialistes et écologistes de huit grandes villes où se déroulent des soirées de la Nuit du bien commun ont fait paraître dans le Monde une tribune collective assez nette. « Sous couvert de philanthropie, c’est une vision rétrograde de la société qui s’installe insidieusement dans nos territoires, décryptent-ils. Une vision qui oppose la morale aux droits, la charité à la justice sociale, la hiérarchie à l’égalité. (…) Il s’agit d’alerter nos concitoyens sur le projet politique sous-jacent, et de refuser d’être les complices passifs de cette opération d’influence. »
Aides directes ou indirectes aux partis des droites extrêmes, formation des candidats, constitution de baromètres pour fabriquer l’opinion publique, harcèlement judiciaire de ses adversaires, etc. Tout le monde voit aujourd’hui Stérin faire avec son plan Périclès. Effet Streisand oblige, en voulant échapper à la publicité, le milliardaire élargit encore et toujours le spectre de celles et ceux qui s’opposent à ses ambitions et à son monde…
Cet article fait partie de la série
Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l’extrême droite française (34 épisodes)
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