« On se dit que tout est fait pour une école au rabais, on se sent lésés, et pas considérés »
Ce jour-là, les équipes pédagogiques de l’école REP+ Camus à Tourcoing apprennent que la mairie souhaite organiser une rencontre… dès le jeudi suivant. Une réunion précipitée, en cascade : direction, enseignants, personnels de la ville puis parents. « On s’est douté qu’il y avait quelque chose. Vu les restructurations dans le quartier, les fermetures de postes, on a imaginé un transfert », raconte Léa*, une enseignante. L’annonce tombe : une école privée du quartier, l’école Sainte-Clotilde, sinistrée depuis un incendie survenu il y a deux ans, sera relogée dans une partie des locaux de l’école Camus, dès la rentrée de septembre.
A la rentrée 2025, l’école Camus subit des fermetures et suppressions de poste. Les effectifs des élèves atteignent les quotas REP classes dédoublées et même au-delà dans les classes non dédoublées autour de 25 élèves, au-delà du seuil REP. Pour l’enseignante : « tout est fait pour une école au rabais, on se sent lésés, et pas considérés. On n’aura plus de marge de manœuvre. On aurait pu éviter la fermeture de classe. On était 20-22 dans les classes non dédoublées. On a les mêmes effectifs l’année prochaine, on sera au max, à 14 chez les grands dédoublés et au-delà de 25 élèves » poursuit-elle.
« Une maternelle, ce n’est pas une élémentaire »
Le bâtiment concerné est celui qui accueille actuellement la maternelle publique : une aile adaptée aux tout-petits, avec sanitaires spécifiques, salle de motricité attenante, espaces de repos, cantine… Des conditions que les enseignants estiment ne pas retrouver dans l’autre aile du bâtiment qu’ils doivent rejoindre. « Ils veulent déplacer nos petites sections dans une aile prévue pour des CP-CE1, sans accès direct à l’extérieur, avec des sanitaires inadaptés. On nous parle de travaux, mais il y a déjà le chantier de l’école Chirac et il y aurait quand même pas mal de choses à adapter et faire. Est-ce que ce sera prêt ? » demande l’enseignante de l’école Camus.
« On se sent chassés de notre école »
D’autant que l’école Camus accueille une centaine d’enfants en maternelle, contre une soixantaine d’élèves dans le privé. Et la répartition des espaces semble inégale : « On va leur céder un bâtiment entier pour 4 classes, pendant que nous, on va se tasser dans des locaux non adaptés, avec 6 toilettes pour 100 enfants. »
Une école publique en danger ?
Dans un contexte où la question de moyens de l’école publique se pose, les personnels et la FSU-SNUipp s’inquiètent de la dégradation des conditions d’apprentissage pour les élèves de l’école publique REP Camus. Syndicats et enseignants s’interrogent aussi sur le respect du principe d’égalité entre public et privé. « Pourquoi le privé est-il relogé dans l’urgence par la mairie, alors qu’on supprime des classes dans le public ? »
Les équipes craignent que ce transfert ne soit pas que temporaire. « On nous dit que c’est provisoire, mais pour combien de temps ?»
« L’annonce est tombée le 22 mai, alors qu’on est en pleine fin d’année, avec les livrets à boucler, les projets à terminer, la fête de l’école… Et maintenant, on doit faire des cartons » s’exclame l’enseignante, soulignant le manque de considération, la précipitation, et la fatigue des enseignants.
La mairie invoque l’urgence, les syndicats dénoncent un passage en force
« Ça crée un précédent pour le privé » s’inquiète le responsable syndical du FSU-SNUipp 59 Xavier Leroux. Officiellement, la mairie évoque une relocalisation urgente, deux ans après l’incendie qui a touché l’école privée Sainte-Clotilde. Mais le syndicat ne comprend pas pourquoi cette urgence devient effective si tardivement et il dénonce la brutalité de l’annonce et « le passage en force ». « Pourquoi deux ans plus tard ? Pourquoi ici ?» interroge Xavier Leroux, en soulignant que le transfert à l’identique pour les personnels et élèves de l’école publique ne semble pas garanti.
L’impression d’une décision politique plane : « La mairie fait tout pour maintenir une école privée dans le quartier, au détriment de l’école publique » dénonce l’enseignante. D’autant que deux écoles publiques autour ferment, comme la maternelle Kergomard et l’école Descartes. L’argument avancé pour occuper l’aile du bâtiment de l’école Camus est l’entrée séparée et la possibilité de séparer les deux « écoles » et espaces scolaires des deux publics accueillis.
Sentiment d’inégalité de traitement entre public et privé au détriment du public
« Tout cela nous semble très politique. Et à double vitesse : quand il s’agit du privé, tout va très vite. Pour le public, c’est toujours plus compliqué. On voit la mairie réagir immédiatement pour le privé : l’annonce a eu lieu jeudi, les ouvriers prenaient déjà les mesures vendredi. Nous, on peut demander des choses sans réponse ou il faut de la patience », constate l’enseignante. Elle poursuit : « Ce n’est pas un problème de solidarité, on avait donné des fournitures après l’incendie. Mais aujourd’hui, on n’a plus le minimum pour accueillir correctement nos élèves. C’est une dégradation des conditions de travail et d’apprentissage. »
Une mobilisation de la communauté éducative pour son école publique
Du côté des familles, la colère monte également. Une vidéo de protestation a été réalisée, des parents ont été convoqués en urgence par la mairie. Une association de quartier qui souhaitait se joindre à la réunion a été écartée. Un rassemblement est prévu cette semaine et les enseignants envisagent une journée de grève.
Les équipes éducatives espèrent encore un sursaut, une concertation réelle, voire une alternative. « On demande juste que nos élèves, surtout les plus jeunes, soient accueillis dans des conditions dignes et adaptées. »
Djéhanne Gani
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