Georges Ibrahim Abdallah va recouvrer la liberté le 25 juillet, comme l’a décidé la cour d’appel de Paris. Le militant communiste libanais va pouvoir rejoindre les siens après plus de quarante ans d’enfermement, alors qu’il aurait pu sortir depuis 1999. Un acharnement politico-judiciaire scandaleux.

© BRUCELLE Armel/Sygma via Getty Images
Le numéro d’écrou 2 388/A221 va bientôt disparaître des registres de l’administration pénitentiaire. Très exactement le 25 juillet. C’est la date fixée par la Cour d’appel de Paris pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, le plus ancien prisonnier politique de France, d’Europe et peut-être du monde.
Il avait été condamné en 1987 pour complicité dans l’assassinat de deux « diplomates », en réalité des maîtres espions de la CIA et du Mossad, les services de renseignements états-unien et israélien. Aujourd’hui âgé de 74 ans, il en a passé quarante dans les geôles françaises.
Ce jeudi 17 juillet, en se rendant à la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), José Navarro et Georges Larregola, parmi les principaux animateurs du comité pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, sont émus comme des gosses.
Eux qui ont aidé à briser l’isolement du militant communiste libanais en lui rendant visite régulièrement – comme l’ont fait plusieurs parlementaires du PCF et de LFI (Andrée Taurinya, André Chassaigne, Elsa Faucillon, Éric Coquerel…) – savent qu’enfin, après onze demandes de libération, celui qui est un camarade devenu un ami va enfin sortir et retrouver son pays, le Liban.
« Cette libération est aussi et essentiellement le fruit d’une mobilisation »
« Sur la route qui nous conduisait au centre pénitentiaire, une intense émotion nous a saisis, raconte José Navarro à l’Humanité. Des souvenirs mêlés à de la colère par rapport à une détention infâme. Il est mis fin à une ignominie judiciaire et politique qui, à défaut d’une décision favorable, aurait abouti à une peine de mort qui ne dit pas son nom. »
Les trois hommes se retrouvent enfin. Ils sont les mêmes, mais quelque chose a changé, de l’ordre de la dignité. Libres d’esprit, ils l’ont toujours été, partageant les mêmes valeurs. Libre physiquement, voilà qui est nouveau et fort. Georges Ibrahim Abdallah rappelle que « cette libération est aussi et essentiellement le fruit d’une mobilisation qui n’a cessé de croître. Partie de la base, des bases, des collectifs locaux, de la campagne unitaire, la mobilisation n’a cessé de croître au fil des ans, je le sais ».
Georges a notamment cité l’implication d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, et a insisté sur le rôle d’André Chassaigne, jusque très récemment président du groupe communiste à l’Assemblée nationale.
José Navarro et Georges Larregola sentent bien que, derrière le sourire de Georges, sa joie de savoir que son calvaire va enfin prendre fin, de nouvelles questions commencent à se poser. « Comme à son habitude, Georges pense aux autres, à ses proches et au combat pour la cause palestinienne », disent-ils. D’ailleurs, Georges ne parle jamais de lui, ni de ses années d’enfermement.
Il insiste sur l’importance de continuer à mobiliser pour une cause qui dépasse la seule question de sa libération, celle des droits du peuple palestinien et de la dénonciation du génocide en cours à Gaza, de la colonisation en Cisjordanie et de la responsabilité historique des puissances occidentales, États-Unis en tête.
« Et comme à son habitude, il a continué à nous parler de toute l’importance de la conscientisation politique des peuples pour lutter contre l’impérialisme, le capitalisme dévastateur, et la nécessité pour l’humanité d’une société socialiste », insiste José Navarro.
« C’est à la fois une victoire judiciaire et un scandale politique »
« Nous sommes très heureux de cette décision, a évidemment réagi depuis le Liban son frère Robert Abdallah, encore sous le coup de la surprise. Pour une fois, les autorités françaises se sont affranchies des pressions exercées par Israël et les États-Unis. » Heureux, Jean-Louis Chalanset, l’avocat de Georges Ibrahim Abdallah, l’est aussi.
« Je ne m’y attendais pas tant que ça, avoue-t-il à l’Humanité. C’est une véritable émotion pour moi, mais aussi pour ceux qui l’ont toujours soutenu. C’est à la fois une victoire judiciaire et un scandale politique qu’il ne soit pas sorti plus tôt, à cause du comportement des États-Unis et de tous les présidents français. »
Le défenseur ne manque pas de pointer du doigt l’attitude du procureur de la République, « qui s’est toujours associé à la demande des États-Unis de refuser la libération de Georges Ibrahim Abdallah, comme ça a été le cas il n’y a pas quinze jours ».
Mais, reconnaît Jean-Louis Chalanset, « ce qui vient de se passer montre qu’il y a encore des juges indépendants ». Les appels successifs du parquet lorsque des tribunaux décidaient la levée de l’incarcération d’Abdallah montrent effectivement une collusion inacceptable entre le pouvoir politique et le pouvoir juridique, la séparation de ceux-ci devant être une des garanties de la démocratie.
Grâce aux comités de soutien qui se sont formés en France et dans le monde, un voile a été levé sur le sort de ce prisonnier politique ignoré par les grands médias. Mais les pressions états-uniennes et israéliennes (évoquées par l’ancien patron des services secrets français Yves Bonnet) ont été fortes, partagées par des hommes comme Manuel Valls. Celui-ci, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, avait la possibilité de mettre fin à ce calvaire en signant un arrêté d’expulsion. Il s’y était refusé.
Pour l’Association France Palestine solidarité, qui s’est toujours mobilisée en sa faveur, « cette victoire est d’abord la sienne, celle du militant qui n’a jamais renié ses convictions politiques, ni son engagement auprès du peuple palestinien, et qui l’a payé de quarante années d’enfermement. Celle aussi du mouvement de solidarité qui année après année s’est constitué derrière lui pour obtenir cette libération ».
Georges Ibrahim Abdallah a toujours été un résistant. Un combattant. Issu d’une famille chrétienne maronite qui a troqué les Évangiles pour Marx et Lénine, il s’est engagé presque naturellement dans l’action révolutionnaire aux voies multiples.
La prison n’a pas entamé ses convictions, acquises après des études à Beyrouth et cultivées alors qu’il était instituteur dans la plaine de la Bekaa. Comment apprendre, aujourd’hui, la justice et la fraternité aux enfants lorsque la partie sud du pays est envahie par Israël ? C’est la nouvelle étape de sa vie qui s’annonce, sans matricule pour la première fois depuis quarante ans.
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