Lutte des classes et parti révolutionnaire ou la nécessité de la Théorie (suite 2) …par Danielle Bleitrach

 

Ce à quoi je fais remarquer que plutôt dire que la validité de la théorie est de s’appuyer sur la pratique, je poserai là encore une question: “qui sont les juges de la validité de la théorie?” et à quoi leur sentence aboutit-elle ?

C’est un peu ce que dit Xuan à propos des “indignés”, la manière dont ils ont fini par se vautrer dans la collaboration de classe social démocrate.

En France, la remise en cause de la théorie marxiste léniniste a été précédée d’une période d’extraordinaire popularité, dans les années soixante avec l’apothéose de mai 68… Ce qui est une bonne chose parce que cela marque que des couches de la petite bourgeoisie sont mécontentes… Mais ce renforcement (on assiste à l’amorce de quelque chose de semblable aujourd’hui tant du côté des “écologistes” que celui de la “radicalité” des insoumis ou des gilets jaunes et d’une partie du vote pour l’extrême-droite) est aussi l’apparition de confusions qui ont des conséquences pratiques importantes.

C’est pour cela que la théorie du parti révolutionnaire doit être révolutionnaire, c’est-à-dire toujours marquer y compris au sein des alliances temporaires nécessaires le non compromis possible entre le capital et le prolétariat. C’est le contraire qui est intervenu dans la période dite de l’eurocommunisme : l’accent a été mis à la fois sur la dénonciation du dogmatisme et le poids des doctrines alors qu’il suffirait de dénoncer la réalité de ce qui se passe sans s’encombrer, ce pragmatisme politique s’accompagnait d’une critique de la théorie du marxisme léninisme et de la multiplication de “théories” novatrices ou considérées comme telles avec le primat de éclectisme et l’abandon des “principes”.

C’est sous ce régime qu’a vécu ou plutôt survécu l’idée de la nécessité de la révolution, du socialisme et ce qu’il implique, les expériences concrètes ont été désavouées… Nous sommes à la fois dans la montée des mécontentements, voir de la lutte des classes et dans ce contexte de désaveu. Le refus du bilan sous l’idée assez farfelue que cela avait une forme indigne ‘comptable’ ce qui a permis de gober toutes les analyses de l’adversaire identifiant nazisme et communisme (pour finir par plus ou moins blanchir les adhérences nazies à condition qu’elles combattent le communisme). Quand au refus des aspects comptables elle ne nous a pas interdit au contraire d’identifier la morale à celle des gagneurs en criant “vive la crise” et en assurant la promotion des Tapie et autre Elon Musk aujourd’hui…

Donc la relation théorie pratique et l’existence d’une organisation doit s’interroger sur le “bilan” et qui le fait ?

Dans le « Que faire? » Lénine reprend les orientations d’Engels à la social démocratie (qui est encore en 1902 avant la trahison de la guerre) et note trois FAITS concernant la théorie révolutionnaire sans laquelle il n’y aura pas de parti révolutionnaire et il aborde la relation entre la lutte des classes et la théorie révolutionnaire, l’une et l’autre ne s’engendrant pas nécessairement:

Que plus le mouvement ouvrier, les luttes populaires et le mécontentement des intellectuels petits bourgeois grandissent plus grandissent des théories “révolutionnaires” non seulement étrangères au marxisme et à son analyse scientifique mais qui produisent des tactiques erronées dont les conséquences pratiques peuvent être graves.

Ce constat n’est pas aussi simple qu’il parait à affronter et il faut comme Lénine le prendre d’une manière dialectique.

a) ces analyses non marxistes et qui se veulent révolutionnaire, comme celles spontanéistes, clientélistes, divisant ce qui devrait être uni et qui naissent dans la petite bourgeoisie diplômée, urbaine, voire cela peut aller comme aujourd’hui avec les gilets jaunes et certains votes pour l’extrême-droite ne sont pas celles d’ennemis pourtant elles doivent être combattues … y compris et d’abord au sein du parti.
b) Les controverses de fraction et la clarté sur les “nuances” n’ont rien d’inutile quand il s’agit de problèmes aux conséquences importantes et ceci pour de très nombreuses années…

Ainsi en est-il de la question de la guerre et de la paix, de l’analyse du rapport de forces réels au sein de la société française et du choix de proposer un premier ministre, tout ce qui parait constituer l’événementiel …

  • Il est insisté sur le fait que la guerre (en particulier les deux plus exacerbées dans la politique de Macron: l’Ukraine et le Moyen orient, mais on s’aperçoit à quel point tous les conflits sont interdépendants) ne jouerait qu’un rôle mineur dans le vote des Français. On explique la même chose pour les Etats-Unis et la plupart des pays classés comme ce type de démocratie en crise. Une crise dans laquelle les institutions sont faites pour bloquer toute intervention réellement transformatrice de la part d’un mouvement révolutionnaire.
  • pourtant, il faut réfléchir sur le fait que les résultats expriment le fait en France, que si nous avons une majorité divisée en camp irréconciliable entre gauche et extrême-droite, les deux tiers s’entendent sur le fond dans la dénonciation d’une politique d’inflation, de chômage, de destruction des services publics et “d’insécurité” qui est celle du pouvoir en place.
  • si idéologiquement il a été réussi à imposer la vision de “responsables” ‘Poutine, la Chine, les immigrés, etc… cela ne va pas jusqu’à cautionner la guerre.. ni la militarisation de l’économie..
  • cette politique et la manière dont elle s’est imposée autoritairement malgré l’opinion des français, les syndicats, une certaine mobilisation, comme a été imposée la constitution européenne malgré le vote des Français est à l’origine d’un vote que l’on définit comme non républicain. Ce qui est un problème institutionnel par parenthèse.

Qu’est-ce qui a manqué ?

  • Les mouvements sur les retraites avaient réussi à unifier les syndicats mais notons le sont demeurés “urbains” et ils n’ont pas réellement réussi à s’implanter dans les entreprises, à y trouver le relais de forces organisées capables non seulement de gréves mais aussi d’explications sur le fond, sur l’adversaire politique qui était devant nous, celui qui exerçait sa dictature bourgeoise sur l’appareil d’État. Cette faiblesse pas seulement économique mais politique dans les entreprises, sur les lieux de travail a trouvé sa traduction au niveau électoral. Comme l’a très justement noté Fabien Roussel, la vague de mécontentement nous a balayé parce que le vote pour le rassemblement national est apparu à ces masses prolétarisées (qui ne sont pas toutes racistes loin de là) comme une meilleure traduction de leur colère contre la politique de Macron, celle de l’UE autant que celle de la gauche… Il est fondamental de constater que le parti communiste n’a pas été en situation de tirer les conséquences de cette analyse d’une grande justesse.

 

  • Je lance deux hypothèses :

 

  1. le poids de l’électoralisme qui est effectivement un choix théorico-pratique qu’il convient d’analyser et pas d’un revers de main pour le dénoncer a pesé, dans un tel contexte, celui entretenu depuis plus de trente ans la survie du parti exige que l’on tienne compte d’un groupe à l’assemblée nationale comme des futures municipales ou sénatoriales.
  2. celle concernant la faiblesse théorique du parti sur les expériences internationales celles du socialisme et celles du socialisme à l’intérieur du monde multipolaire.

Si tout cela a manqué cela nous interroge encore plus sur ce que nous pouvons attendre comme espoir de changement dans une bataille autour du premier ministre issu du NFP ? Là encore la réponse n’a rien de mécanique…

Après ce débroussaillage du point 1 le mécontentement populaire et même la lutte des classes ne produisent pas nécessairement une théorie qui permet une pratique révolutionnaire juste… Il est comme je l’ai dit dans le texte précédent des périodes historiques, celles où la guerre et le fascisme menacent dans lesquelles s’impose l’union dans des actions à chaque fois limitées et précises… La meilleure garantie de cette union c’est qu’il existe un parti révolutionnaire conscient de ses buts et de ses moyens, d’autant plus ouvert qu’il saura ses principes et les concessions théoriques qu’il ne doit pas faire.

Si l’on examine ce qui s’est passé en France depuis le 38 e congrès du PCF par rapport à cette exigence le bilan du PCF est totalement insuffisant en particulier sur l’articulation avec le socialisme et l’internationalisme (j’y reviendrai) mais il est nettement ce qui s’est fait de meilleur y compris quand l’on considère la position de Fabien Roussel et la manière dont il a non pas dirigé le PCF mais dont il l’a représenté.

(à suivre)

Danielle Bleitrach

 


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