En cette année 2020 secouée par une crise sanitaire mondiale, et centenaire du PCF, l’Humanité a voulu explorer l’idée et la pratique en publiant le hors-série « Besoin de communisme », dont nous reprenons ci-après l’éditorial.
Voici un mot qui porte indûment une lourde et négative charge historique. Un mot galvaudé, piétiné, détourné, dénaturé. Un mot « profession de foi » qu’il faudra pourtant bien défricher et repenser pour affronter les temps présents.
Le monde entier se meut en effet dans un invraisemblable chaos où les êtres humains, les conditions de travail, les individualités, leurs aspirations esthétiques et culturelles sont passés au tamis de la marchandisation et d’une exigence de rentabilité insoutenable. Le régime d’inhumanité qui conduit le monde sous tutelle capitaliste engendre partout des réactions désastreuses. Ici ressurgissent les démons nationalistes, là s’enracinent les égoïsmes, là encore s’épanouit l’obscurantisme que l’on avait pu croire vaincu par le progrès des sciences et l’accumulation des savoirs. Au terrorisme et au règne de la violence succèdent les pandémies, et la guerre menace encore et toujours d’enflammer chaque continent.
La puissance du capitalisme a pour corollaire le malheur des sociétés. L’extension permanente du domaine marchand et le règne de l’argent roi s’accompagnent d’une perte de sens. À la grande question des Lumières « Qu’est-ce que l’Homme ? » se substituent les visées post-humanistes et « la gouvernance par les nombres » si bien décrite par le juriste Alain Supiot. Le « malaise » dont parlait Freud fait ainsi son grand retour dans la civilisation. Si bien que, désormais, pour tout esprit un tant soit peu sensible à l’avenir de l’humanité se pose une question brûlante : pourra-t-elle supporter encore longtemps le mode de développement qui lui est infligé et la dé-civilisation qu’il met en branle ? Poser une question si grave revient de fait à se confronter aux conséquences d’une réponse. Et si l’on s’accorde à penser que l’humanité et l’unité du vivant sont menacées, alors il ne faut pas se résigner, mais au contraire retrouver le sens de l’à-venir. Il faut oser imaginer un « après » au capitalisme, retrouver la force des convictions et le sens de l’engagement.
Car le reflux de l’idée, des combats et des partis communistes risque, si on n’y prend garde, d’emporter avec lui tout l’héritage révolutionnaire et humaniste. Et l’écume ne tend plus qu’à charrier science sans conscience, progrès sans humanité, démocratie sans peuple, travail aliéné et culture stéréotypée. C’est désormais 1789 et ses principes qui sont directement menacés : avec le recul des droits sociaux s’affaissent les droits politiques et les libertés démocratiques.
Il est plus que temps, pour l’humanité, de frayer un chemin viable pour ses membres, au risque de se perdre dans celui qu’elle suit aveuglément. Nous le devons aux générations à venir. Et quel autre nom donner au processus qui nous y conduira, si ce n’est le combat au présent pour le communisme ? On ne peut plus se satisfaire des confusions entre réalisme et résignation, se contenter de rechercher des améliorations à la marge du système. Il faut au contraire sonder les contradictions internes au réel qui travaillent à son dépassement, afin de saisir le possible connexe au présent. C’est cela que Lucien Sève, dont nous publions ici des pages inédites, appelait « la visée communiste ».
« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes » : il convient de mesurer la haute portée de cette affirmation de Karl Marx. Elle invite aux combats et aux réalisations immédiates s’inscrivant dans un processus de transformation structurelle. Elle est une invitation à agir tout de suite et en permanence vers cette proposition politique d’émancipation, de maîtrise de son travail et de sa vie, d’épanouissement, de mise en commun et de partage qui répond de la maxime déjà inscrite dans le Nouveau Testament : « À chacun selon ses besoins » ; ce communisme qui s’est fortifié dans le sillon émancipateur de la République sociale, de la démocratie communale, de l’autogestion ouvrière, de l’internationalisme et du combat pour la paix.
Il ne faut pas se résigner, mais au contraire retrouver le sens de l’à-venir.
Les résistances qui s’organisent, les multiples contournements de l’oppression capitaliste et impérialiste témoignent d’une trace toujours féconde du communisme, comme idée et pratique. On le mesure du reste par la vigueur d’un anticommunisme planétaire. Car, le développement même du capitalisme nous permet d’envisager les conditions de son dépassement. C’est l’une des leçons que nous lègue Karl Marx. Elle condamne autant les illusions réactionnaires de ceux qui « cherchent à faire tourner la roue de l’histoire à l’envers » que l’inoffensive fuite dans l’utopie ou dans l’idéal. Les contradictions actuelles sont telles qu’elles invitent à l’audace : l’accumulation des richesses produites aboutit à un océan de misère, alors même qu’elle pourrait l’assécher. Les inégalités se creusent de manière inédite, alors même que l’humanité n’a jamais autant été en situation de concilier ses différents membres. La mondialisation éloigne autant les peuples qu’elle les rapproche. Le niveau de compétences et d’éducation, les combats pour l’égalité, les formes nouvelles de la solidarité, les progrès scientifiques et technologiques, les aspirations au bonheur et à la baisse du temps de travail laissent percevoir un tout autre avenir, fondé sur le partage, la coopération et la démocratie véritable. Bref, une sécurité de vie riche et émancipée pour chaque être humain depuis sa naissance et dans un environnement sain.
Une invitation à agir tout de suite et en permanence vers cette proposition d’émancipation.
Mais le fruit ne tombera pas mûr. Il faudra que les travailleurs s’organisent eux-mêmes pour l’arracher à l’arbre en investissant le terrain de la lutte qui oppose chaque jour ceux qui jouissent du travail des autres et ceux qui en sont dépossédés, le terrain de la propriété capitaliste qui tient jalousement à l’écart toute forme de démocratie et d’intervention des travailleurs. Il n’y aura pas de « grand soir ». Mais rien n’empêche de s’atteler à une transformation révolutionnaire, qu’il s’agit de concevoir et de mettre en œuvre. C’est à un devoir d’invention que nous invitent les événements. Il ne s’agit cependant pas de faire « du passé table rase ». Le communisme tel qu’il s’est déployé au XXe siècle, notamment sous le nom de « socialisme réel », a connu ses parts de lumière, mais aussi ses terribles et injustifiables parts d’ombre. Il a, certes, permis des progrès sociaux et culturels aujourd’hui, mis brutalement en cause par un capitalisme revanchard, mais sans répondre à la splendide promesse d’une « association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».
Avec ce numéro spécial publié à l’occasion du 100e anniversaire du Parti communiste français, l’Humanité a voulu explorer l’idée et la pratique communistes, leur passé, leur présent et leur avenir, en donnant à saisir leurs ressorts, à voir et comprendre les expériences qui s’en réclament, tout en sondant, dans le mouvement réel, leurs potentialités futures.
Le communisme a de l’avenir. À chacune et chacun de nous de lui donner substance et consistance dans les combats présents et à venir. Ces pages vous y engagent.
L’histoire et l’avenir d’une pensée universelle.
Hors-série » Besoin de communisme « , l’Humanité, 124 pages. 8,90 euros.
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