Agriculture. Y aura-t-il des fruits cet été ? in L’Humanité Dimanche

© Marta Nascimento/REA

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Un mois après l’épisode de gel qui a touché les cultures, les producteurs contemplent encore le désastre. Et l’alerte n’est toujours pas levée pour le Nord et la Normandie… Alors, y aura-t-il des fruits cet été ? Et comment les agriculteurs peuvent-ils s’adapter aux aléas qui se multiplient ?

De mémoire d’arboriculteur, on n’avait jamais vu ça. À cinq ans de la retraite, Françoise Roch, productrice dans le Tarn-et-Garonne, contemple ses pruniers, ses pommiers et son raisin de table : le feuillage flétri, les fleurs fanées, les fruits rabougris, un carnage causé par ces nuits glaciales d’avril qui ont frappé ses 17 hectares de verger.

« Jamais je ne m’étais levée 18 nuits de suite pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être, en arrosant les bourgeons pour les protéger du gel. Une nuit, la température est descendue jusqu’à – 6 °C. Pendant 11 heures de suite, on a dû faire de l’anti-gel. J’ai perdu 40 % de ma récolte », lâche-t-elle.

Le bilan précis n’interviendra qu’après les récoltes

Au niveau national, les données remontent lentement des quatre coins de la France. « C’est à la fin de la foire qu’on comptera les bouses », disent les vieux paysans. En somme, le bilan précis n’interviendra qu’après les récoltes. « Pour la vigne, il peut y avoir des repousses. On ne sait pas comment la végétation va se comporter », prévient le ministère de l’Agriculture.

Mais, pour certains fruits, c’est déjà plié : « Les cerises ont été touchées à hauteur de 70-80 %, les abricots à 80 % ; pour les pêches, on envisage 60 à 80 % de pertes », énumère Françoise Roch, qui est aussi présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits, affiliée au syndicat majoritaire, la FNSEA.

« Sur les fruits à noyau, il n’y a plus tellement d’espoir. Il n’y aura pas beaucoup d’abricots français ou de pêches sur les étals », confirme Guillaume Charrier, chercheur à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), spécialiste de l’effet du gel sur la physiologie des plantes.

Si des gelées en avril n’ont rien d’exceptionnel, cette année, « le gel n’a pas été localisé, il a touché tous les bassins de production, toutes les variétés et les espèces qui d’habitude se relaient sur le marché », prévient Emmanuel Aze, producteur et responsable de la commission fruits et légumes de la Confédération paysanne (lire encadré p. 45). Quant aux prix, ils seront élevés cet été. « On est dans un marché régi par l’offre et la demande, et ce qui est rare est cher », rappelle Françoise Roch.

Ce gel, « c’est la goutte d’eau »…

Mais, au-delà de cet été, aura-t-on encore des fruits français ? Avant cet épisode, la filière était déjà en très mauvaise posture. Le gel, c’est « finalement la goutte d’eau : on est pris en tenaille entre les impacts du réchauffement climatique et les distorsions de concurrence au sein du marché européen », souligne Emmanuel Aze. À ce jeu-là, l’Espagne et l’Italie, qui produisent en masse à des conditions sociales, sanitaires et environnementales au rabais, peuvent envahir les étals de pêches « à 80 centimes le kilo, quand nos coûts de production en France sont à 1,60 euro le kilo », appuie le producteur.

Ainsi, entre 2010 et 2016, 29 % des exploitations fruitières ont disparu. Sur la même période, la surface couverte par le verger français a diminué de 7 %. « La production de fruits en France est en recul depuis quinze ans », selon FranceAgriMer. Et, logiquement, la moitié des fruits consommée en France est désormais importée.

Bougies : « 3 000 euros l’hectare »

Chez Régis Gonnet, dans le nord de l’Ardèche, c’est la troisième année sans fruits. « D’habitude », si tant est que l’expression ait encore un sens, il récolte 5 hectares d’abricots, 1,5 hectare de cerises, 1 hectare de kiwis et 10 hectares de raisin. En 2018, le gel a brûlé la moitié de sa récolte. En 2019, la grêle en a fait disparaître 80 %. En 2020, c’était la sécheresse. « Et je ne récolterai rien en 2021. » Mais il ne s’estime pas « à plaindre ». Chez ses voisins, 30 hectares d’abricotiers, « tout a gelé, tout est foutu ».

Régis Gonnet, lui, a diversifié ses productions : « Ma vigne, en appellation cornas, me permet de vivre ; 60 % ont gelé, mais j’espère qu’il y aura des repousses et pouvoir faire 60 % de ma récolte. » Il a aspergé d’eau une partie de ses parcelles pour protéger les bourgeons du gel : « Il faut faire un peu de protection. D’abord, parce que, psychologiquement, c’est important, on fait quelque chose, on n’est pas les bras croisés en attendant le gel. Mais il y a un calcul économique à faire. Brûler des bougies pour réchauffer l’air, c’est 3 000 euros l’hectare, la nuit de gel, ça peut avoir des répercussions encore plus importantes sur l’avenir de la ferme », prévient-il. Sa première garantie : avoir des parcelles sur trois communes différentes. « D’habitude, il ne grêle ou ne gèle pas sur toutes les parcelles en même temps. »

En observation à l’Inrae

Et l’avenir ne s’annonce pas réjouissant. « Un arbre fruitier a besoin de froid, l’hiver, pour débourrer (éclore ses bourgeons – NDLR) correctement et produire ensuite des fruits », explique Guillaume Charrier. Or le changement climatique l’affecte déjà avec des hivers plus doux où la température moyenne monte. « Cela aboutit à un mauvais débourrement, à un étalement, une mauvaise floraison, ce n’est pas optimal pour la production », poursuit-il.

Depuis cinq ans, l’Inrae a mis en place des vergers d’observation : des pommiers, abricotiers, pêchers, cerisiers de cinq variétés plus ou moins précoces sur cinq sites différents, en Anjou, vallée du Rhône, Lot-et-­Garonne… Des informations précieuses sur les variétés : quelles sont les plus adaptées, comment réagissent-elles ? « Il y a un équilibre à trouver entre le fait de démarrer tôt, mais d’être du coup vulnérable aux gelées tardives, et démarrer plus tard, au risque de faire face à des sécheresses estivales », éclaire le chercheur.

En tout cas, il n’y a pas de solutions miracles, prévient Patrick Bertuzzi, ingénieur de recherche à l’Inrae, ancien directeur du laboratoire Agroclim. « Il va falloir adapter les systèmes dans un premier temps, remplacer des cultures très consommatrices d’eau, par exemple, avant, peut être, l’étape ultime pour la fin du siècle, de migrer certaines cultures vers le Nord. » La vigne, elle, a déjà commencé sa transhumance. Dans les Hauts-de-France, en Bretagne ou en Île-de-France, les ceps prennent racine.


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