Il faut s’attendre à des vagues de chaleur « hors du commun » partout dans le monde in REPORTERRE (Soutien)

10 juillet 2021 à 10h11 Mis à jour le 17 juillet 2021 à 10h36 Durée de lecture : 8 minutes

« Les vagues de chaleur augmentent en intensité et en fréquence à cause du dérèglement climatique », selon un rapport scientifique. Et leur force, notamment aux États-Unis, surprend même les chercheurs. Qui préviennent qu’aucune zone géographique ne sera épargnée.

Après que l’Amérique du Nord s’est embrasée sous un dôme de chaleur inédit, le Maghreb et bientôt l’Espagne suffoquent. Dans le Sahara algérien, à Béni Abbès, il a fait 48,6 °C le 1er juillet, puis 48,7 °C le 2 juillet (lire L’Algérie face à la canicule). Des vagues caniculaires ont également balayé la Russie, le Pakistan ou l’Inde. Autant de tristes records auraient-ils été battus dans un monde moins carboné ? Non, répondent sans hésitation les scientifiques du World Weather Attribution (WWA) [1].

Il leur aura fallu moins d’une semaine pour le prouver, statistiques et modèles à l’appui. « Les records de température observés au Canada et aux États-Unis auraient été presque impossibles sans le changement climatique », ont conclu les chercheurs, mercredi 7 juillet. Reporterre revient en détail sur l’état des connaissances actuel quant aux liens entre dérèglement du climat et chaleur extrême.

1. Quel rôle joue le changement climatique dans les vagues de chaleur ?

« Les vagues de chaleur augmentent en intensité et en fréquence, à cause du dérèglement climatique, dit à Reporterre Robert Vautard, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace et coauteur de l’analyse du WWA. Il n’y a aucun doute là-dessus. » Plus précisément, dans le cas de l’épisode ouest-américain, « le changement climatique d’origine humaine a rendu cette vague de chaleur 150 fois plus probable », ont calculé les chercheurs. À l’inverse, sans gaz à effet de serre additionnel dans notre atmosphère, de tels pics ne se produisent qu’une fois tous les mille ans. Voilà pour la fréquence.

Côté intensité, « ces canicules se sont réchauffées de 4 °C depuis le début du XXe siècle », expliquait M. Vautard dès 2019. Ainsi, précisait-il, « on assiste à un décrochage entre, d’un côté, la température moyenne de l’atmosphère, qui a augmenté de 1,5 °C en cent ans, et celle des événements extrêmes, dont l’augmentation est beaucoup plus forte et plus imprévisible ».

 

Au Kurdistan irakien, le 5 juillet. Twitter/Olivier Decottignies

De fait, les chercheurs ont été particulièrement surpris par les records atteints dans l’ouest de l’Amérique du Nord la semaine dernière : même les modèles climatiques les plus avancés n’avaient pas « prévu » une hausse du mercure de cette amplitude. « De tels niveaux de chaleur dans cette région sont tout simplement extraordinaires, a déclaré Geert Jan van Oldenborgh, membre du WWA et de l’Institut royal météorologique des Pays-Bas, lors d’une conférence de presse le 7 juillet. Cela soulève de sérieuses questions quant à savoir si nous comprenons vraiment comment le changement climatique rend les vagues de chaleur plus chaudes et plus meurtrières. »

« On n’est pas censés battre des records de température de 4 ou 5 °C, a aussi souligné Friederike Otto, chercheuse à l’université d’Oxford. Il s’agit d’un événement tellement exceptionnel que nous ne pouvons pas exclure la possibilité que nous connaissions déjà aujourd’hui des extrêmes de chaleur qu’on avait prévus uniquement pour des étapes plus avancées du réchauffement climatique. »

Le lien entre dérèglement du climat et chaleur extrême est donc irréfutable. Néanmoins, les chercheurs peinent encore à en comprendre les mécanismes. « La sécheresse préexistante et les conditions inhabituelles de la circulation atmosphérique, connues sous le nom de “dôme de chaleur”, se sont combinées au réchauffement climatique pour créer ces températures très élevées », ont avancé les chercheurs. Autrement dit, ce qui s’est passé au Canada relèverait d’un « événement rare qui s’est produit en grande partie par hasard », accentué par la hausse du thermomètre.

Les experts avancent une autre hypothèse. « Il se peut que nous ayons franchi un seuil dans le système climatique où une petite quantité de réchauffement supplémentaire fait augmenter de manière importante les températures extrêmes », selon Dim Coumou, membre du WWA et chercheur à l’Institut royal météorologique des Pays-Bas. En clair : passé une certaine température, de nouveaux processus pourraient se produire, qui aggraveraient la canicule. « Lors de chaleurs extrêmes, les plantes ferment leurs stomates pour conserver leur eau, et limitent ainsi fortement leur évapotranspiration, illustre M. Vautard. Le problème, c’est que l’évapotranspiration “rafraîchit” l’atmosphère… Sans elle, toute l’énergie du soleil est retransmise sous forme de chaleur. » Le système climatique s’emballerait donc dans un cercle vicieux délétère. Ces mécanismes sont encore peu connus et font l’objet de recherches approfondies.

2. Les « dômes de chaleur » sont-ils liés au réchauffement climatique ?

On a beaucoup parlé du « dôme de chaleur » qui a étouffé le nord-ouest du continent américain. Il s’agit en fait d’une masse d’air chaud stagnante, comme l’a expliqué le climatologue d’Environnement Canada David Phillips : « Un dôme thermique de haute pression au-dessus de certaines parties de l’ouest crée un effet comparable à celui d’un couvercle qu’on poserait sur de l’eau bouillante. » Ce phénomène, aussi appelé anticyclone de blocage, « n’est pas inhabituel » dans cette partie du monde, ont rappelé les experts du WWA.

Le changement climatique ne serait donc pas à l’origine de tels événements, mais il les amplifierait, à la manière d’un produit dopant. « Le changement climatique agit comme des stéroïdes sur la météo. Si un sportif fait de bonnes performances et qu’il se met à prendre des stéroïdes, alors ses performances seront accrues par rapport à ce qu’il faisait auparavant », a déclaré le climatologue anglais Zeke Hausfather à l’AFP.

« Le changement climatique agit comme des stéroïdes sur la météo. »

Là encore, il se pourrait que le dérèglement climatique joue un rôle plus important que supposé : « Des recherches récentes suggèrent que le changement climatique augmente les chances de voir apparaître de tels systèmes de haute pression stagnants en été, en raison de l’affaiblissement du courant-jet estival », ont avancé les chercheurs du WWA. Le courant-jet ou jet stream est un courant d’air très puissant qui, à la manière du Gulf Stream océanique, influence la météo. Et ce « fleuve aérien » serait affaibli, « ralenti » en d’autres termes, à cause de l’augmentation rapide des températures au pôle Nord. D’où des masses d’air plus stagnantes.

3. L’Europe pourrait-elle connaître de telles vagues caniculaires ?

« Le phénomène qui a touché l’ouest du Canada nous montre qu’il est possible d’atteindre 50 °C à 50° de latitude Nord, avertit Robert Vautard. 50° Nord, c’est la latitude de Lille. » Pour tous les chercheurs, il faut désormais s’attendre à subir des vagues de chaleur « hors du commun », partout dans le monde. « Aucune zone géographique ne semble épargnée, a rappelé Mme Otto. Seulement, on parle plus des records de chaleur quand ils concernent l’Amérique du Nord que quand ils frappent le Pakistan, l’Iran ou certains pays africains. »

Dans leur étude, les scientifiques du WWA estiment aussi que « si la planète se réchauffe de 2 °C, un événement comparable sera en moyenne 1 °C plus chaud que la vague de chaleur observée en juin ». Et même si le réchauffement climatique était limité à 2 °C, une telle vague de chaleur pourrait se reproduire tous les cinq à dix ans.

« Les canicules sont arrivées en tête du palmarès mondial des catastrophes les plus meurtrières en 2019 et 2020 », a prévenu Maarten van Aalst, du Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et partenaire du WWA. Au Canada, au moins 134 personnes sont mortes entre vendredi 25 juin et mercredi 30 juin et des incendies ont éclaté dans la région. Publiée fin mai 2021 dans la revue Nature Climate Change, une étude a montré que le changement climatique a été responsable d’une mort sur trois liée à la chaleur, entre 1991 et 2018. En France, cela représente 215 décès chaque année dans dix-huit villes françaises pendant la période estivale.

C’est pourquoi, tout en exhortant les gouvernants à réduire les émissions de gaz à effet de serre, les chercheurs du WWA ont souligné l’importance de l’adaptation. « Il faut des plans locaux de prévention et d’action face aux vagues de chaleur, car beaucoup de gens ne savent pas comment se comporter quand le mercure grimpe, a précisé M. van Aalst. Il faudrait notamment augmenter le nombre d’espaces verts. Une meilleure sensibilisation, des systèmes d’alerte précoces, mais aussi la disponibilité de “cooling centers” [2] sont également essentiels. »

C’est maintenant que tout se joue…

 


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