Disparition. Bernard Tapie, itinéraire d’un «vrai capitaliste» (dossier complet)

Le 26 mars 1996, Bernard Tapie arrive sous escorte au palais de justice de Béthune (Pas-de-Calais) pour son procès pour abus de biens sociaux dans l'affaire Testut. © Gérard Cercle / AFP

De ses premières affaires dans les années 1970 au ministère de la Ville en passant par l’OM, le parcours de cet homme aux multiples casquettes accompagne l’avènement du « fric » comme valeur cardinale. Un chemin qui croisera souvent celui de la justice.

À la fois homme d’affaires, de politique, de sport et de média, devenu symbole des « années fric » et de toutes leurs dérives, Bernard Tapie est décédé ce dimanche 3 octobre des suites d’un cancer à l’âge de 78 ans.

Né en 1943 d’un père ouvrier et d’une mère aide-soignante, le futur ministre de la Ville de François Mitterrand commence à se faire connaître dès la fin des années 1970. Après s’être essayé à la chanson sous le nom de Tapy et avoir déjà eu maille à partir avec la justice pour sa première société, Cœur Assistance, un service d’aide aux cardiaques, ou encore l’achat des châteaux de Bokassa, il se lance dans la reprise d’entreprises au bord du gouffre à l’aube des années 1980. Manufrance, Terraillon, Testut, Wonder…

Restructuration, fermetures de sites, suppression d’emplois, liquidation ou revente avec plus-value vont de pair avec la constitution de l’empire Tapie. Puis c’est la plongée dans l’univers des médias, il y est non seulement de plus en plus présent, mais il prend des parts dans TF1 avant de créer sa propre émission en 1986, Ambitions, où il s’agit d’aider des jeunes à monter leur boîte en direct. Tout un programme… Il prendra aussi la tête de quotidiens comme la Provence, Nice-Matin et Corse-Matin.

Icon QuoteMoi, j’assume, je suis un vrai capitaliste, je vis comme un capitaliste. Moi, j’ai droit au profit, je me le donne ce droit, ça veut dire que j’ai le droit d’avoir ce jet, je l’ai gagné. »

Son credo, il le résume devant un parterre de jeunes patrons, en 1984, à Rouen : « Moi, j’assume, je suis un vrai capitaliste, je vis comme un capitaliste. Moi, j’ai droit au profit, je me le donne ce droit, ça veut dire que j’ai le droit d’avoir ce jet, je l’ai gagné. » Le mythe se construit aussi dans le monde du sport.

Self-made-man à l’époque du libéralisme triomphant

Après le cyclisme et la fondation de l’équipe la Vie claire, c’est l’achat de l’Olympique de Marseille. Surnommé le Boss par ses joueurs, il porte le club au plus haut, et la victoire de la Ligue des champions en 1993 reste dans les annales… y compris de la justice, puisqu’en parallèle le patron de l’OM sera condamné pour « corruption » dans l’affaire du match Valenciennes-OM.

La légende du « self-made-man », raccord avec la décennie 1980, trouve une porte d’entrée en politique par l’intermédiaire du publicitaire Jacques Séguéla, qui l’introduit auprès du président François Mitterrand en 1987. La social-démocratie a déjà pris le tournant de la rigueur et de l’accompagnement du libéralisme triomphant, auquel la figure de l’homme d’affaires, qui n’a de cesse de jouer avec son image populaire, fait écho.

Il se présente sous l’étiquette de la majorité présidentielle aux législatives de juin 1988 à Marseille, où il commence par perdre avant de prendre sa revanche dès 1989 à la suite de l’annulation du scrutin. C’est alors l’heure de l’emblématique duel télévisé sur TF1 avec Jean-Marie Le Pen. Un patron du FN que Tapie aurait aussi rencontré dans sa villa de Montretout à la veille des législatives de 1993, pour obtenir le maintien du parti d’extrême droite au second tour et bénéficier d’une triangulaire, selon son ex-bras droit, Marc Fratani

Un peu auparavant, en 1992, il fait son entrée dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy en tant que ministre de la Ville. Il occupe le poste taillé sur mesure, malgré une interruption liée à une mise en examen, jusqu’à l’arrivée d’Édouard Balladur à Matignon, en 1993. Trop tôt pour se tourner vers la droite à qui il apportera finalement son soutien en 2007. « Il n’y a pas photo : Sarkozy et Borloo ont mes faveurs », annonce alors l’ex ministre de Mitterrand, membre du PRG.

Marqué du sceau de ses démêlés judiciaires

L’itinéraire de cet homme aux multiples casquettes, également acteur et comédien, est marqué du sceau de ses démêlés avec la justice. La plus emblématique de ces affaires, celle de l’arbitrage du Crédit lyonnais en 2008 à la suite de la vente d’Adidas en 1993, devait encore être jugée en appel ce mercredi. Un feuilleton judiciaire de presque trente ans dont l’homme d’affaires, condamné en 2015 à rembourser les 404 millions d’euros obtenus du tribunal arbitral privé, mis en place sous l’égide du ministère de l’Économie, ne verra pas l’aboutissement.

Ce parcours pour le moins atypique et ambivalent aura marqué les dernières décennies. La mémoire de Bernard Tapie a ainsi été saluée par de nombreuses personnalités dès l’annonce de son décès. À l’Élysée, c’est à nouveau le mythe du « self-made-man » auquel on rend hommage : « Le président de la République et son épouse sont touchés par le décès de Bernard Tapie, dont l’ambition, l’énergie et l’enthousiasme furent une source d’inspiration pour des générations de Français », écrit l’Élysée qui, tout en mentionnant « de lourdes condamnations – des décisions qu’il aura contestées toute sa vie », pointe un « un destin hors du commun » porté « par une énergie qui le poussait à empoigner le monde, à saisir sa chance à pleines mains, à embrasser tous les possibles ».


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