Autour de Philippe Rio, récompensé en septembre de ce titre honorifique, c’est toute une cité qui se bat au quotidien. Car si Grigny est la ville la plus pauvre de l’Hexagone, elle est aussi très jeune, et a beaucoup à offrir. Plongée loin des clichés avec ceux qui changent la vie de la cité et de ses habitants. Et auprès de ces communes qui font rempart à la crise.
Ces maires qui changent la vie à Grigny, Villejuif, Schiltigheim, Marseille, Nantes, Dieppe
« L’USG, c’est cool, c’est classe ! Passement de jambes dans la surface ! On n’est pas les derniers de la classe ! On est les champions de la place ! » Sur les terrains en synthétique du stade Jean-Miaud, juste en face du quartier de la Grande-Borne, 300 ou 400 gosses s’époumonent pour reprendre en chœur l’hymne du club local, l’Union sportive de Grigny (USG). Aujourd’hui, c’est un peu la rentrée après deux ans sans sport, et les quelque 200 parents se massent le long de la main courante pour voir les enfants recevoir leur équipement aux couleurs du club.
Quand le maire, Philippe Rio, arrive, le président de la section football de l’USG, Demba Touré, prend un malin plaisir à le faire ovationner : « Un tonnerre d’applaudissements pour le meilleur maire du monde ! » crie-t-il dans le micro. Avant de préciser, quelques instants plus tard, en s’adressant aux jeunes, aux parents et aux éducateurs : « C’est une grande fierté de vous voir tous ici ; il y a dix ans, on mangeait des cailloux ! Mais c’est toute la ville qui est meilleure maire du monde ! »
Il y a dix ans, les terrains de foot étaient en terre, le club avait 200 licenciés. Aujourd’hui, « on a 1 000 gamins, et les filles sont déjà plus de 200. Demba Touré, président de la section football de l’USG
À Grigny, la récompense qu’a reçue Philippe Rio au mois de septembre fait la fierté de la ville. Mais, surtout, elle consacre d’abord un travail collectif, celui de toutes celles et tous ceux qui se battent pour améliorer la vie des habitants. Et dans la ville la plus pauvre de France, il y a du boulot. Le foot en est en bon exemple : il y a dix ans, les terrains étaient en terre rouge, le club comptait moins de 200 licenciés. Aujourd’hui, « on a 1 000 gamins, et les filles sont déjà plus de 200 », décompte fièrement Demba Touré, qui précise que « l’important, c’est aussi le soutien scolaire, la distribution des colis pendant la crise du Covid… ».
Le chantier du Coeur de Ville République. Ce vaste projet urbain va reconnecter des quartiers et les relier à l’ensemble des équipements publics. Philippe Rio répète : « Le droit à la ville, c’est la priorité des priorités, et l’éducation, la mère des batailles.» © Nicolas Cleuet
Des équipements et de la compétence
Pour Philippe Rio, entouré de gamins intimidés à qui les parents enjoignent de « prendre une photo avec M’sieur l’maire », « c’est tout le potentiel de Grigny qui est là : sportif, mais surtout social ». C’est à Grigny qu’a vu le jour le Pass’Sport, qui permet de payer 50 euros maximum une licence sportive, une mesure reprise aujourd’hui par Emmanuel Macron. Avant d’aller voir les voisins du rugby, puis du basket, le maire donne sa petite recette pour le sport, qu’il considère comme un pilier du lien social : « Les équipements, et la compétence des éducateurs. » Après le foot, c’est le rugby qui a un nouveau terrain, et un « playground » de basket 3×3 a été inauguré cet été. En attendant la nouvelle piste d’athlétisme, qui portera le nom d’un gars du coin devenu champion du monde du 110 mètres haies : Ladji Doucouré.
La veille, il a été également question de foot, lors d’une rencontre à la mairie : « Les mamans qui sont venues lors d’une réunion ont proposé un tournoi de foot interquartiers », précise Anne-Marie Laurent, la directrice des services. Mais, cette fois-ci, il s’agit d’un autre problème : le phénomène des rixes entre bande d’adolescents. « Il y a des tensions et, dans l’Essonne, il y a un contexte », détaille Philippe Rio, dans une allusion au drame récent de la mort d’une jeune fille de 14 ans dans la ville voisine de Dourdan. Changer la vie des citoyens, c’est aussi « se battre pour la prévention et la sécurité, c’est un sujet à part entière ici », poursuit-il, alors que Grigny réclame depuis des années l’ouverture d’un commissariat.
Marché à Grigny. © Nicolas Cleuet
Des « bataillons de la prévention »
Ce phénomène des rixes, « ce n’est pas nouveau, mais il évolue : on voit de plus en plus des collégiens ». Alors l’équipe municipale prend le sujet à bras-le-corps, avec des réunions avec les jeunes et les parents qui ont vocation à être pérennisées, et le volet prévention. Là encore, avec d’autres élus, Philippe Rio et son équipe se sont battus pour obtenir des « bataillons de la prévention », une avancée qui fait partie des mesures gouvernementales annoncées lors du dernier comité interministériel des villes, qui s’est tenu en janvier dernier à… Grigny. Aujourd’hui, il s’agit de travailler concrètement à son application et au recrutement de cinq médiateurs et éducateurs spécialisés pour la ville. « On joue le jeu avec la police municipale, mais elle doit être en lien avec la police nationale », estime Philippe Rio.
La ville poursuit au tribunal le marchand de sommeil de la seconde plus grande copropriété de France. « On en a déjà fait condamner 11, mais il y en a peut-être 50… C’est un monde invisible. »
Prochaine étape : le procès d’un marchand de sommeil de la seconde plus grande copropriété de France. Impossible de louper ces immenses immeubles qui s’élèvent à la sortie du RER : Grigny 2, c’est le résumé et le concentré de tous les maux de la ville. 104 bâtiments, 17 000 habitants répartis sur 27 « copros » très dégradées. En réalité, on ne sait pas exactement combien de personnes y habitent, tant Grigny 2 est la porte d’entrée pour les immigrés les plus pauvres débarquant en Île-de-France, avec son cortège de marchands de sommeil. En ce mardi 5 octobre, justement, Philippe Rio se rend au tribunal d’Évry. La mairie s’est portée partie civile. « On en a déjà fait condamner 11, mais il y en a peut-être 50… C’est un monde invisible », détaille-t-il, d’autant que ce sont des « pratiques qui touchent à la dignité humaine ».
Une grande opération de réhabilitation est en cours et la municipalité a ouvert une « maison du projet », au pied des tours, pour consulter la population. Une première journée portes ouvertes y était prévue le 9 octobre. Mais, pour l’heure, on ne s’y presse pas. Au café du centre commercial qui fait face à Grigny 2, la plupart des habitués habitent là. Ousmane (le prénom a été modifié) y vit depuis plusieurs années, avec « (s)a femme et (s)es trois enfants ». Il assure débourser 650 euros par mois pour un trois-pièces insalubre – sans bail, évidemment. Mais il craint de signaler sa situation, et envisage encore moins de se rendre à la « maison du projet ». Pour Philippe Rio, « c’est difficile d’être au courant des abus, il y a une omerta, cela passe souvent par une dénonciation. » Mais, pour améliorer la vie des habitants, il faut se battre et obtenir un engagement de l’État : en mars, ce dernier a annoncé le rachat de 1 320 logements sur les 5 000 de l’ensemble : 920 sont voués à la démolition et 400 passeront en logement social.
La « porte d’entrée » du CCAS
À quelques encablures de là, voici l’épicerie solidaire : gérée par le centre communal d’action sociale (Ccas) et baptisée «l’Intermède», elle ouvre ses portes deux fois par semaine. Quelques mamans sont déjà devant la porte à l’heure de l’ouverture, elles viennent chercher les produits de première nécessité : l’alimentation bien entendu, mais également des produits d’hygiène. Saida Makni et Sylvie Bonard s’y affairent et la gèrent depuis respectivement « 2001 et 2002 ». « Eh oui, on a beaucoup de monde, précise Saida, c’est la ville la plus pauvre de France, alors… » Les deux femmes ne s’économisent pas pour venir en aide aux Grignois : « L’objectif, c’est de répondre à leurs besoins, mais aussi d’être une porte d’entrée pour un accompagnement social. Au départ, les familles ont envie de s’en sortir toutes seules, elles ont leur dignité, et elles viennent souvent en situation d’urgence. » L’épicerie est donc conçue comme « un outil pour le Ccas », assure Sylvie, en bonne coordination avec tous les acteurs sociaux. Que ce soit pour un impayé d’électricité, l’impossibilité d’avoir accès à des aliments de qualité, ou même « un lien social pour les personnes isolées ».
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En lien avec l’association les Mamas de Grigny, qui structure les vendeuses de plats africains à la sortie du RER, l’épicerie met à disposition les cuisines pour élaborer des repas qui sont ensuite distribués aux familles qui n’ont pas de cuisine. Et d’autres idées germent : un restaurant solidaire, ou bien, la dernière action mise en place, la lutte contre la précarité menstruelle. En lien avec la PMI et les établissements scolaires, femmes et jeunes filles peuvent se fournir gratuitement en produits d’hygiène féminine. « Parfois, pour les jeunes filles d’ici, il faut choisir entre manger et acheter des serviettes hygiéniques », déplore Saida Makni. D’autant que ces problèmes ont un « impact sur toute leur vie, l’école, le travail, le sport… » précise-t-elle. Des distributeurs sont mis en place dans la ville, et les premiers retours sont « très positifs », assurent Saida et Sylvie.
En partant de l’épicerie, on se dit qu’à Grigny, si c’est le maire qui a été nommé meilleur maire du monde, c’est aussi grâce à ces centaines d’habitants qui chaque jour se battent pour que la vie y soit meilleure. Et que cette récompense est bien celle de la solidarité.
Quatre ans après l’Appel de Grigny, les solutions venues du terrain
Aller de l’avant, toujours. Améliorer la vie des citoyens, sans s’apitoyer, en cherchant et en trouvant des solutions. Il y a quatre ans, les maires de Grigny, Roubaix, Chanteloup-les-Vignes, Garges-lès-Gonesse ou bien Allonnes, vite rejoints par d’autres, lançaient l’Appel de Grigny. C’était le 16 octobre 2017, en réaction notamment aux baisses des crédits alloués aux communes et à la politique de la ville, ainsi qu’à la suppression des contrats aidés, les élus de banlieue populaire sont toujours mobilisés pour défendre leur ville et leurs habitants. Et cette mobilisation a permis d’arracher aux gouvernements quelques avancées notables, en matière de renouvellement urbain, de soutien de l’État en matière de sécurité, d’accès aux services publics, aux sports ou à la culture, ou bien encore les cités éducatives, déjà développées dans 126 villes.
En janvier dernier, le maire de Grigny, Philippe Rio, accueillait plusieurs ministres, dont le premier d’entre eux, Jean Castex, pour rappeler au gouvernement que les communes de banlieue populaires devaient elles aussi prendre toute leur part dans le plan de relance. 3,3 milliards d’euros avaient ainsi été obtenus. Dans la foulée, les 200 élus lançaient le Conseil national des solutions, qui se réunit précisément ce 16 octobre à Paris-Bercy. Son ambition : « apporter des réponses concrètes aux problèmes des Français ». Avec des propositions immédiatement applicables, réparties en cinq thèmes : culture, écologie, transition digitale, solidarités et sport. C’est ce dernier thème qui est mis en avant ce 16 octobre, à l’occasion du Paris Grand Slam, afin de mettre « le sport au service de la République ».
Plusieurs projets ont déjà émergé, notamment celui des « cités olympiques », sur le modèle des cités éducatives : formation des éducateurs, sport à l’école, équipements sportifs publics, inclusion par le sport. Autant de mesures concrètes, alors que se profilent déjà les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, qui peuvent être un accélérateur pour les politiques publiques sportives. Exemple : en partenariat avec la Fédération française de judo, un programme de construction de 1 000 dojos solidaires sera présenté. Pour que tous les Français aient accès aux activités émancipatrices : c’est l’essence, quatre ans après, du travail engagé par les élus locaux et l’Appel de Grigny. De premiers pas qui en appellent d’autres pour changer la vie dans les quartiers populaires.
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