En s’immisçant dans les zones grises de la législation, l’enseigne de déstockage a réduit au strict minimum les droits de ses travailleurs. Ces derniers, incités à renoncer à leur contrat de travail, sont privés de représentation syndicale.
Sur les étalages des 312 magasins que compte Noz en France, les produits changent d’un jour à l’autre, au prix le plus bas. Alimentation, habillement, décoration, culture… Qui se donnera la peine de fouiller dans ces bazars perpétuels mettra la main, c’est promis, sur une excellente affaire.
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Dans cette quête, les clients peuvent compter sur plusieurs milliers – le chiffre est incertain – de personnes travaillant pour le déstockeur. Mais celles-ci, pour la plupart, ne sont pas des salariés. Ce sont des cogérants. Depuis une poignée d’années, en effet, l’enseigne a décidé de délaisser les contrats de travail pour un tout nouveau statut, bien moins protecteur.
Pas de procédure de licenciement, pas indemnités, pas d’assurance-chômage
Pour les candidats qui douteraient des bienfaits de cette organisation peu banale, l’enseigne tente de convaincre sur son site Internet. « En vous apportant autonomie, initiatives, responsabilités, prises de décision, vous devenez le véritable architecte de votre évolution professionnelle et de vos perspectives. Vous contribuez, au quotidien, à votre ambition, à notre ambition et à celle de vos futurs collaborateurs : devenir le leader mondial du déstockage », peut-on y lire.
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Mais, dans les couloirs des bureaux et les rayonnages des magasins, le son de cloche concernant ce nouveau statut est tout autre. « Quand on accepte un contrat de cogérance, il n’y a aucune négociation de salaire ou quoi que ce soit. On incite aux ouvertures les dimanches sur la base du volontariat, mais, dans les faits, la hiérarchie met la pression en expliquant aux travailleurs que, si ceux-ci n’ouvrent pas le dimanche, les résultats ne suivront pas. Or, si les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, on est révoqué sans vraie raison », s’alarme une personne travaillant pour la marque.
Puisqu’ils ne disposent pas de contrat de travail, les « employés » de Noz peuvent en effet se faire évincer par le simple vote de l’assemblée générale des associés de l’enseigne, sans procédure de licenciement ni indemnités. Une fois privés de leur emploi, les cogérants sont également privés d’assurance-chômage.
Un lien de subordination bien réel
Hélène a fait les frais de cette absence de protection. Depuis 2017, la femme d’à peine 30 ans occupe un poste de RH pour l’enseigne au sein de la société Inéo, sur le « campus Noz » à Saint-Berthevin (Mayenne). En juillet, cette dernière est placée en arrêt maladie après avoir fait plusieurs malaises cardiaques. La veille de son anniversaire, elle reçoit un courrier, signé par son supérieur hiérarchique, l’informant qu’une assemblée générale se réunira le 15 octobre pour décider de sa révocation. Selon la lettre que nous avons pu consulter, il est reproché à la cogérante des « agissements incompatibles avec son poste », des « comportements inadaptés » au sein de sa société et auprès de prestataires extérieurs. « Je ne sais pas comment on peut me reprocher ça alors que je suis absente depuis cet été », rétorque l’employée. Pour cette dernière, il s’agit plutôt de sa mésentente avec son supérieur hiérarchique qui a précipité cette procédure d’éviction. « Au début, je ne voulais pas lancer de procédure judiciaire, du moment qu’on me payait mes congés avant de me laisser partir. Mais on m’a fait comprendre que je n’aurai rien », relate-t-elle. Avec deux enfants et un emprunt immobilier à rembourser, Hélène se trouve désormais sans revenu. Celle-ci, « déçue par le manque d’humain », compte demander la requalification de son statut de cogérante en CDI, en prouvant qu’il existait bel et bien un lien de subordination entre elle et ses supérieurs, pourtant eux aussi cogérants. Son avocat s’est vu refuser l’accès à l’assemblée générale. La travailleuse n’a donc aucune information sur la suite des procédures.
Hélène n’est pas un cas isolé. Depuis que l’« Univers Noz », nom que se donne le groupe, a décidé de généraliser la cogérance, en proposant ce statut aux nouveaux venus au bout de quelques mois seulement de contrat, les atteintes au droit du travail se multiplient. « Ils se sont engouffrés dans un vide juridique », observe une syndicaliste de la CFDT de la Sarthe, qui a eu affaire à plusieurs cas similaires ces derniers mois. Les semaines passées, la cédétiste a échangé avec une employée d’un magasin du Mans, qui a accepté de passer cogérante de son établissement en démissionnant de son CDI. La mère de deux enfants s’est vu remettre son solde de tout compte, mais n’a pas reçu 1 euro de sa société depuis. « On lui a expliqué qu’elle n’aurait pas de rémunération pendant plusieurs mois, le temps d’amortir le versement de son solde de tout compte. Comme elle n’a pas de contrat de travail mais une simple attestation de quelques lignes, son salaire n’est mentionné nulle part. Elle est vraiment dans l’embarras », explique la syndicaliste.
Un embarras que les travailleurs ne découvrent qu’une fois le statut accepté. « Les gens ne savent pas ce qu’ils signent », confirme un employé de l’Univers Noz. « Ils profitent de la vulnérabilité de personnes qui ne connaissent pas leurs droits », abonde la CFDT de la Sarthe. Et quand bien même les futurs cogérants auraient des notions de droit du travail, les incitations et pressions sont telles qu’il est souvent difficile pour eux de préserver leur statut de salarié. « Je souhaitais obtenir une augmentation, je pensais que je la méritais. On m’a dit qu’il fallait que j’accepte de devenir cogérante, que je ne serais pas promue autrement », confie Hélène. Selon des documents internes consultés par l’Humanité, à la fin de l’année 2020, des primes ont été accordées à la majorité des 727 employés en cogérance que comptait l’Univers Noz à ce moment. Mais pas à leurs collègues salariés, occupant pourtant un même poste.
Des sociétés du groupe condamnées pour licenciement abusif
Pour autant, malgré ce flirt constant de leur employeur avec les zones grises du code du travail, les employés se trouvent bien en peine de défendre leurs droits dans l’Univers Noz. Le groupe est structuré de telle manière que la représentation syndicale y est tout bonnement impossible.
« Pour éviter l’application du droit du travail, Noz a créé une multitude de petites sociétés, qui sont scindées à chaque fois que celles-ci dépassent les 11 salariés (seuil à partir duquel un établissement est tenu d’avoir des délégués du personnel – NDLR). C’est une logique poussée à l’extrême, qui a pour but d’éviter la tenue d’élections professionnelles », constate une source proche du dossier. Si l’enseigne se désigne comme un « Univers », il s’agit pourtant bel et bien d’un groupe, avec des directives centralisées et une politique commune, note-t-elle. « Il y a des entreprises fermées sur notre territoire, dans lesquelles il est impossible de rentrer. Noz est de celles-ci », explique l’union départementale CGT de la Mayenne, où se trouvent le siège et le campus Noz.
Cette chasse à la représentation syndicale avait déjà valu au grand patron de Noz, Rémy Adrion, et à ses bras droits, plusieurs allers-retours devant les juges. La cour d’appel d’Angers avait condamné le PDG pour obstruction aux missions de l’inspection du travail et pour obstacle à la représentation syndicale. Si le jugement a été annulé en cassation, les sociétés du groupe Noz sont plus que coutumières des cours de justice. Au-delà de l’absence de représentation syndicale, plusieurs sociétés ont été condamnées, notamment pour licenciement abusif. « Le statut de cogérance est aussi un moyen pour eux d’éviter les contentieux, puisque, pendant un temps, Noz était connu comme le loup blanc aux prud’hommes », analyse un observateur. Contactée par l’Humanité, l’enseigne a indiqué par courriel que « l’Univers Noz est composé de sociétés juridiquement indépendantes, et à ce titre personne ne serait en mesure d’apporter des réponses à vos questions ».
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