La hausse des prix fait son retour en France et en Europe, accompagnée d’un discours catastrophiste. Pour les syndicats, les salaires doivent revenir au centre du jeu.
Un spectre hante l’Europe, celui de l’inflation… À en croire de nombreux médias, la spectaculaire hausse des prix (+ 4,9 % sur un an en zone euro) constitue une bombe à fragmentation qui pourrait menacer la reprise économique, mettre les entreprises à genoux et miner le revenu des citoyens. Ces craintes sont-elles fondées ? L’inflation peut-elle servir de prétexte à des politiques économiques austéritaires ? Décryptage.
1. Aux origines d’un phénomène mondial
Jusqu’ici, avec la modération salariale et la concurrence entre travailleurs imposée par la mondialisation, les prix évoluaient peu. La crise du Covid a bouleversé ce contexte. Le circuit économique, mis à l’arrêt en 2020, est reparti aujourd’hui de plus belle. La demande, portée notamment par la Chine, les États-Unis et le continent européen, s’est accélérée. Une sorte de rattrapage à la suite de la fermeture des commerces pendant de longs mois. Ce boom de la consommation, alors que la pandémie est toujours active, a pris de court les usines. Les pénuries se sont accumulées et même amplifiées avec la désorganisation mondiale des chaînes de production et de livraison. Résultat : le prix des biens intermédiaires nécessaires à la production comme les semi-conducteurs a grimpé. À cela s’est ajoutée une explosion des tarifs des matières premières, dont ceux de l’énergie. Rien qu’en France, ils ont progressé de 21,6 % en un an, selon l’Insee.
Autre point important : les banques centrales, avec leurs politiques monétaires dites « accommodantes », et l’épargne accumulée durant la mise sous cloche de l’économie ont créé une frénésie boursière sur les actifs et les prix de l’immobilier. « Les cours boursiers ont dépassé leur niveau historique de la bulle Internet, en septembre 2000 (le CAC est au-dessus des 7 000 points en France) ; les prix de l’immobilier résidentiel augmentent très rapidement (11 % sur un an pour l’ensemble de l’OCDE, 20 % aux États-Unis, plus de 6 % en France) », listait fin novembre le libéral Patrick Artus dans le Point. Une hausse des prix de l’immobilier qui, par voie de conséquence, s’est répercutée également sur les loyers.
Au final, le coût de la vie augmente et le « ressenti d’inflation » par les ménages atteint un niveau très élevé. Cette tendance concerne toute la France mais est accentuée dans les zones rurales, là où la dépendance à la voiture est forte, le passage à la pompe plus fréquent et le niveau global des salaires plus faible.
Cette inflation qui devait être transitoire le temps du redémarrage économique s’est enracinée au fil des mois. Depuis cet été, la hausse des prix s’accélère. En novembre, l’inflation a atteint 2,8 %, contre 1,2 % en juillet. « Un niveau jamais atteint depuis une trentaine d’années », estime l’économiste Dominique Plihon. Mais il n’y a pas de quoi en faire « un tel drame », précise-t-il. « Si la hausse des prix s’avère durable en 2022 et en 2023, elle ne devrait pas être trop élevée, autour des 2,5 %. Notamment parce que les facteurs mondiaux exogènes qui ont boosté les prix à court terme vont s’atténuer, en particulier ceux de l’énergie. » Rien de comparable « avec le début des années 1970, avant même le premier choc pétrolier, quand l’inflation en France était supérieure sur plusieurs années à 5 % », relativise Jonathan Marie, des Économistes atterrés. Pour les économistes hétérodoxes, l’inflation est « maîtrisable », sauf pour les salariés « si les salaires ne progressent pas ».
2. Dans le patronat, la peur des conflits sociaux
La flambée des prix est-elle en train d’installer (ou réinstaller) la question des salaires au centre du jeu ? Le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, y a répondu à sa manière dès octobre, alors que grimpaient les cours de l’énergie : « Les hausses salariales généralisées ne sont pas soutenables pour l’économie. » Et si jamais cet avertissement n’était pas suffisamment limpide, le même annonçait, deux mois auparavant : « Si vous augmentez le salaire d’un employé de McDo, cela veut dire que le prix du burger va augmenter. » En clair, le grand patronat menace de répercuter sur les prix d’éventuelles hausses de salaires afin de préserver ses marges, et satisfaire les appétits des actionnaires.
Ses craintes ne sont pas tout à fait infondées : il y a bien une multiplication des conflits sociaux en ce moment sur la question des salaires (voir notre carte), confirmée par les responsables syndicaux. « Sur le terrain, nous voyons clairement une montée en puissance des grèves, explique Boris Plazzi, secrétaire confédéral de la CGT en charge des salaires. C’est lié à la hausse des prix, mais aussi à la prise de conscience de plus en plus généralisée d’une injustice : les études sur l’enrichissement des plus aisés (patrons du CAC 40, milliardaires…) s’accumulent et une majorité de travailleurs ont le sentiment qu’une caste capte les richesses pendant qu’eux triment pour des salaires misérables. »
Dans certains cas, les conflits frappent par leur durée, preuve de la réticence des dirigeants d’entreprise à mettre la main au portefeuille. Un sondage récent réalisé par la CPME offre un panorama contrasté de l’état d’esprit des petits patrons : 34 % d’entre eux se disent prêts à des hausses généralisées de salaires ; 36 % s’y refusent. Les plus enclins aux augmentations y consentent souvent pour résoudre leurs difficultés de recrutement, criantes dans certains secteurs.
3. Des risques pour les épargnants
En théorie, l’inflation a pour conséquence de faire baisser la valeur du capital. C’est ce que les économistes appellent la « perte de créances », lorsque l’inflation est plus forte que le taux d’intérêt (ce que leur rapporte une créance). À l’exception de l’immobilier, dont la valeur des biens est « plus ou moins indexée sur l’inflation et même augmente plus vite », précise Dominique Plihon. En revanche, pour les détenteurs d’actions ou d’obligations, « la hausse durable des prix » va entraîner comme une sorte d’ « érosion de leur capital », explique l’économiste. Cette érosion du capital détenu « très largement par des gens riches » va également toucher une épargne plus populaire (assurance-vie, livret bleu, livret développement durable…).
Les banquiers centraux ont entre les mains le curseur du niveau des taux d’intérêt, seul outil capable de mettre un coup d’arrêt à une inflation excessive. Seulement, son utilisation n’est pas sans effet secondaire. Par exemple, la hausse des taux d’intérêt aura pour conséquence de faire grimper le coût de la dette publique et d’augmenter le déficit des États. Le risque, prévient Jonathan Marie, est que la réaction des banques centrales déclenche « une cure d’austérité alors que l’économie est encore sous la menace de la pandémie et demeure très fragilisée ».
Le risque porte aussi sur le marché des obligations, où s’échangent des titres de créance négociables, utilisés par les entreprises ou les États pour emprunter de l’argent. Aujourd’hui, la rémunération de ces titres est quasi nulle. Le seul avantage est qu’ils sont réputés « sûrs », leurs détenteurs ayant la garantie que leur placement sera remboursé à la hauteur de la somme placée. En cas de hausse des taux d’intérêt, le prix des obligations déjà émises va diminuer, puisque les rendements des futures obligations seront plus élevés. Les investisseurs vendront leurs titres pour acheter ceux nouvellement émis. « Cette vente importante d’obligations pourrait entraîner un krach obligataire », explique Dominique Plihon. Et, par ricochet, contaminer l’ensemble des places financières.
Normalement, la Banque centrale européenne (BCE) aurait dû augmenter ses taux, le seuil fatidique de 2 % d’inflation ayant été dépassé. Mais pour les banquiers centraux, la prudence est de mise pour ne pas nuire à la reprise, au moins à court terme.
4. Comment mener la riposte ?
Si, pour l’heure, le retour de l’inflation n’a rien de la catastrophe économique annoncée par certains, il pèse sur les finances des ménages. Pour limiter les dégâts dans l’immédiat, la meilleure façon est encore d’augmenter les salaires. « Il est tentant de paraphraser Joe Biden, le président américain, qui est conscient que ses plans de soutien favorisent l’inflation et qui enjoint en retour aux employeurs de payer plus les travailleurs, estime Jonathan Marie. Car le soutien à l’économie américaine favorise aussi les entreprises. C’est potentiellement du gagnant-gagnant. » Pour l’économiste, le gouvernement français doit augmenter le point d’indice servant de base au calcul des rémunérations de ses fonctionnaires, mais également revaloriser le Smic. Il ajoute : « Au-delà, les syndicats pourraient chercher à réintroduire des mécanismes d’indexation des salaires sur les prix. »
Pour Denis Durand, économiste communiste, la hausse des salaires doit s’intégrer à une politique plus large, créatrice d’emplois et de valeur ajoutée, dans laquelle les banques centrales ont un rôle à jouer. Aujourd’hui, l’outil privilégié de la BCE pour irriguer l’économie se nomme TLTRO, pour « opérations ciblées de refinancement à plus long terme ». En clair, les banques empruntent de l’argent à la BCE à des taux défiant toute concurrence pour prêter ensuite aux entreprises et aux ménages. « Les conditions sont exceptionnellement favorables (le taux est de – 1 %), mais les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous, souligne Denis Durand. Il faut introduire des critères très stricts afin de développer les emplois et les salaires. Et ensuite, il faudra s’assurer du respect de ces critères sur le terrain en renforçant notamment le pouvoir des comités d’entreprise. »
« Indemnité inflation », un premier versement ce lundi
« C’est toujours ça de pris, mais il y a des laissés-pour-compte », avait réagi Fabien Roussel en octobre à l’annonce par le gouvernement d’une « indemnité inflation » de 100 euros. Destinée à 38 millions de personnes, elle commencera à être versée ce lundi aux étudiants boursiers, a annoncé le ministre du Budget, Olivier Dussopt. Les versements s’étaleront jusqu’à fin février. Les salariés de droit privé devraient toucher la prime fin décembre, via leur entreprise : « Dès fin décembre pour celles qui le peuvent », a précisé Olivier Dussopt sur Franceinfo, l’État s’engageant à « rembourser extrêmement rapidement » les entreprises (crédits sur leurs cotisations sociales). L’Urssaf sera chargée de verser la somme dès le 20 décembre aux salariés employés à domicile par des particuliers (certains doivent encore transmettre leurs coordonnées bancaires, l’Urssaf disposant d’environ 400 000 RIB sur le million de salariés recensés).
Pour les agents du secteur public, ce sera « au plus tard » en janvier, précise le ministère. Les retraités, eux, devront patienter jusqu’en février.
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