PCF vs Medef : quels choix pour le prochain quinquennat ?
Face à face. L’un veut s’attaquer au coût du capital, l’autre au coût du travail. Pour l’Humanité, Fabien Roussel, le candidat du PCF, et Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, ont accepté de débattre de leurs propositions pour la présidentielle.
Partage des richesses, fiscalité, protection sociale, réindustrialisation, temps de travail, écologie… Le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, et le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, ont accepté de confronter une heure durant leur vision de la société et des grands enjeux des élections de 2022.
Crises sanitaire, sociale et économique… Les deux dernières années ont été marquées par une série de chocs. 2022 doit-elle être l’occasion de changer notre modèle économique ?
Geoffroy Roux de Bézieux Après les arrêts de production et les dispositifs mis en place, le résultat, à la surprise de tous, est que nous avons davantage de gens employés, plus d’entreprises et moins de faillites que prévu. Désormais, la transition écologique est la mère de toutes les batailles. Pour produire avec moins d’émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à l’objectif de neutralité en 2050, nous avons deux solutions : moins consommer – une toute petite minorité défend cette ligne – ou parvenir, grâce à la technologie, à produire la même quantité de biens en émettant moins de CO2. La transition écologique réclame des efforts massifs d’investissement dont une partie doit être planifiée avec l’État. Cela va peut-être surprendre, mais le mot planification ne me fait pas peur, car nous avons besoin d’une vision à dix, vingt, trente ans.
Fabien Roussel Relever le défi climatique est encore possible dans la décennie qui vient. Mais cela nécessite des transformations profondes de nos modes de consommation et de production. Je veux relocaliser l’industrie pour éviter les émissions carbone importées, produire ici en Europe, en France ce dont nous avons besoin. Sur un marché de 450 millions d’habitants, nous avons de quoi faire quand même. Le deuxième enjeu fondamental est de pouvoir se passer des énergies fossiles au plus vite. Nous devons donc investir dans une production d’électricité décarbonée, le nucléaire. C’est indispensable pour réindustrialiser le pays. Car le prix de l’électricité a triplé, celui du gaz a quintuplé : c’est un poids énorme sur les charges réelles des entreprises. Mais il ne suffit pas d’investir, il faut créer une filière de formation, du CAP au diplôme d’ingénieur.
Comment atteindre cet objectif de relocalisation qui a été évoqué ?
Fabien Roussel Pour y parvenir, il faut commencer par rompre avec la logique de rentabilité à tout prix poursuivie par les grands groupes. La France est encore une fois championne d’Europe de distribution de dividendes. Ce modèle économique a failli. Ce capitalisme n’a pas répondu aux attentes sociales et a épuisé la planète. En Europe, 90 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté alors que les traités européens nous avaient promis la prospérité. Il faut mettre fin à la course sans fin aux profits et fixer des objectifs sociaux et environnementaux aux entreprises, à l’économie.
Geoffroy Roux de Bézieux Je ne crois pas à un retour du protectionnisme. On ne produira pas à 100 % en Europe pour de nombreuses raisons, notamment le modèle de protection sociale. Mais on peut imaginer une rerégionalisation des chaînes de valeur. Certains proposent de sortir du capitalisme, mais, vu de la fenêtre du Medef, il s’agit de trouver un modèle de capitalisme européen qui combine liberté entrepreneuriale, croissance et protection sociale face au capitalisme « ultralibéral » américain et au capitalisme dirigiste chinois.
Fabien Roussel À propos de ce modèle, vous avez estimé que « c’est celui qui paie qui décide »…
Geoffroy Roux de Bézieux Je ne suis pas contre la présence dans le conseil d’administration des entreprises cotées de salariés, mais, à la fin des fins, il faut du capital et c’est donc celui qui le détient qui décide.
Fabien Roussel C’est injuste. D’abord, l’État paie lui aussi.
Geoffroy Roux de Bézieux Il prélève d’abord…
Fabien Roussel Je pourrais lister les 70 milliards d’exonérations de cotisation annuelle dont bénéficient les entreprises ou encore les diverses niches et autres crédits d’impôts… Mais les salariés participent eux aussi, ils ne donnent pas de sous mais produisent les richesses par leur force de travail. Ils ont le droit à la décision. Le changement de modèle économique, c’est ça : passer d’une logique de profit à des critères sociaux, environnementaux décidés ensemble. Il est par exemple scandaleux que des groupes comme Orpea et Korian remplissent leurs objectifs de rentabilité sur le dos de nos parents, de nos grands-parents et de leurs salariés.
Les entreprises du CAC 40 ont réalisé des profits record en 2021 et augmenté les dividendes. De quoi accroître encore les plus grands patrimoines. Faut-il revoir la fiscalité des entreprises et des particuliers pour lutter contre les inégalités ?
Geoffroy Roux de Bézieux Au Medef, nous ne sommes pas pour faire de la France un paradis fiscal parce qu’on a besoin de services publics, d’éducation, de police, de justice, d’armée… D’ailleurs, on soutient la position de l’OCDE d’un impôt minimal. On veut faire la course avec les mêmes armes que les autres. Malheureusement, les prélèvements plus élevés que chez nos voisins, notamment sur les entreprises industrielles, expliquent en partie les délocalisations.
Fabien Roussel Je conteste cela car, s’il fallait comparer, il faudrait compter tout ce que les salariés sont obligés de payer ailleurs pour avoir un vrai système de protection sociale, une bonne retraite, une bonne couverture santé… Ces quinze dernières années, la fiscalité sur le capital n’a cessé de baisser. À tel point que la première ressource du budget de l’État, c’est la TVA, qui est profondément injuste. Je défends aussi l’idée d’un prélèvement de 100 milliards sur les 358 000 foyers qui avaient, selon le dernier rapport dont nous disposons sur l’ISF, un patrimoine taxable de 1 028 milliards d’euros en 2017. Il leur resterait tout de même 900 milliards.
Geoffroy Roux de Bézieux Mais tous les ans ? Donc, au bout de dix ans, il n’y a plus rien…
Fabien Roussel Mais ces patrimoines augmentent régulièrement. Et depuis 2017 ils ont dû s’envoler, vu la baisse de la fiscalité dont ces foyers ont bénéficié. C’est une injustice énorme. D’ailleurs, elle a aussi été réduite pour les bénéfices des grandes entreprises, passant 31 % à 27 % et bientôt à 25 %, mais pas pour les plus petites. Or, ce sont ces grands groupes qui dégagent les marges les plus importantes, tout en faisant parfois des choix économiques durs pour le pays. Comme Renault ou Peugeot, qui ont choisi de délocaliser la Dacia Spring et la C5 en Chine. On doit non seulement revoir la fiscalité mais y attacher des critères pour relocaliser.
Geoffroy Roux de Bézieux On peut trouver injuste que telle personne gagne beaucoup. Mais vous confondez morale et efficacité. La fiscalité est un outil d’efficacité, pas de moralisation. Augmenter l’impôt sur le capital comme d’ailleurs sur les transmissions aurait une conséquence simple. La seule manière de les acquitter serait de vendre l’entreprise. Car 95 % des entreprises ne sont pas cotées et relèvent d’un actionnariat familial. Posséder 20 % d’une société, c’est être riche virtuellement. Malheureusement, toutes ces PME à vendre ne seront vraisemblablement pas rachetées par des actionnaires français mais par des fonds de pension anglo-saxons. Les centres de décision quitteront la France et l’emploi risque de disparaître petit à petit. Mais vous allez détruire le capitalisme familial, qui, lui, est patient et raisonne à long terme sur son territoire.
Fabien Roussel Mais la fiscalité actuelle sur les entreprises est tout sauf juste. Les petits, soit les 520 000 TPE, paient gros. Les gros paient très petit grâce à des bataillons de fiscalistes experts en évasion fiscale. Vous proposez une nouvelle baisse des impôts de production. Sur les 10 milliards d’impôts de production déjà supprimés pour les deux années en cours, deux tiers profitent aux 9 000 grandes entreprises et entreprises à taille intermédiaire.
Geoffroy Roux de Bézieux C’est logique puisque l’impôt sur la production est calculé sur le chiffre d’affaires.
Fabien Roussel Ces grandes entreprises n’ont pas besoin de cet argent. Elles le redistribuent d’ailleurs en dividendes.
Geoffroy Roux de Bézieux Nous avons besoin de grandes entreprises et d’ETI (entreprise de taille intermédiaire – NDLR) conquérantes. Et le dividende, c’est le loyer de l’argent. En moyenne, le CAC 40 verse un rendement de 2,8 % par action, soit à peu près la même chose que dans l’immobilier. Sans dividendes, les actionnaires partent investir ailleurs, chez les concurrents, dans des fonds de pension.
Qu’en est-il du financement de la protection sociale ? Comment voyez-vous l’évolution de notre système de retraite ?
Geoffroy Roux de Bézieux En 1945, nous avons fait le choix collectif d’un système par répartition où les actifs paient pour les retraités. À l’époque, 6 actifs cotisaient pour un retraité. Aujourd’hui, on est autour de 1,7. On a donc besoin de travailler plus longtemps. Une autre solution serait de créer trois millions d’emplois. On peut aussi augmenter les cotisations. Mais, comme le niveau des prélèvements en France est parmi les plus élevés d’Europe, nous aurons un problème de compétitivité avec nos voisins européens. Votre proposition d’augmenter le Smic brut à 1 800 euros pose le même problème. Qui peut être contre ? Sauf que, derrière, les coûts des entreprises vont augmenter. Les gens achèteront donc les produits moins chers de nos voisins européens ou iront moins au restaurant car le coût de la main-d’œuvre représente 60 % du coût de l’addition.
Fabien Roussel Je suis pour le bonheur tout au long de la vie ! À l’école, pendant les études grâce à un revenu étudiant, au travail et après le travail. Un homme est mort dans un entrepôt de logistique où il occupait l’un des postes les plus pénibles. Il avait 63 ans. À cet âge, on ne doit plus être obligé de travailler par nécessité. Je souhaite qu’à 60 ans celles et ceux qui le veulent puissent partir en retraite et profiter de la vie, être actifs pour un tas d’autres choses. C’est une richesse pour la société. Et ainsi 1,2 million de jeunes pourront entrer dans la vie active. Vous-même l’avez dit : avoir une politique de création d’emplois peut aussi nous permettre de disposer d’un modèle à l’équilibre. Pas des emplois de plateforme, d’autoentrepreneur, mais des emplois avec des cotisations et de la protection. La hausse des salaires est aussi indispensable. Ce sont des cotisations en plus, qu’il faudra en outre légèrement augmenter.
Geoffroy Roux de Bézieux Comment faites-vous face à une entreprise allemande qui n’a pas à subir les augmentations de ses coûts de production, de la taxation du capital et l’augmentation du Smic à 1 500 euros net que vous proposez ? Ce système ne marche pas. À moins de fermer les frontières à l’intérieur de l’Europe, ce qui n’est pas votre volonté.
Fabien Roussel Voilà pourquoi nous voulons que l’État accompagne les entreprises en leur donnant accès à des prêts garantis à taux négatif pour diminuer le coût du capital. Avec des critères précis de hausse des salaires, d’embauches, de formation, de localisation de l’activité. Les prêts garantis mis en place depuis 2020, c’est 160 milliards. Nous, nous mettons 200 milliards d’euros, et avec 20 milliards de plus, ajoutés par l’État, pour instaurer les taux négatifs. Si on joue sur tous les tableaux, avec la diminution du coût de l’énergie et la nationalisation d’une des grandes compagnies d’assurances afin de faire baisser les cotisations, il est possible d’accompagner le monde économique pour créer de l’activité.
Geoffroy Roux de Bézieux Selon la dernière enquête en date, 70 % des salariés français sont heureux dans leur travail. Convenez-vous que le travail est un facteur d’épanouissement, de fierté, d’intégration ? Et expliquez-moi donc pourquoi vous voulez réduire le temps de travail à 32 heures ?
Fabien Roussel On doit pouvoir trouver du bonheur en allant au travail. Les salariés doivent pouvoir travailler avec les chefs d’entreprise à de meilleures conditions de travail pour permettre à chacun d’être heureux. Mais dans les entreprises de métallurgie de ma région, les salariés travaillent debout avec des machines, sept heures par jour, avec seulement deux fois vingt minutes de pause. Qu’ils puissent travailler un peu moins pour profiter plus de la vie relève du bon sens. Sur les 32 heures, prenons le temps d’avancer secteur par secteur et en fonction de la pénibilité.
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