Extrême droite. Le Pen et Zemmour : entre intérêts et admiration pour Poutine

Depuis l’accession au pouvoir du chef de l’État russe, la galaxie de l’extrême droite française, à commencer par Marine Le Pen et Éric Zemmour, a développé avec le régime des liens profonds, politiques, idéologiques et financiers.

Marine Le Pen, à son QG de campagne, à côté de son portrait et ceux de Vladimir Poutine et Donald Trump. © Gilles Bassignac

Marine Le Pen, à son QG de campagne, à côté de son portrait et ceux de Vladimir Poutine et Donald Trump. © Gilles Bassignac

Le 4 juin 2018, à la Douma, la chambre basse russe, invité à un fumeux Forum international du développement du parlementarisme, Stéphane Ravier, alors sénateur RN, pose fièrement avec Bruno Gollnisch. « À l’invitation de la Douma, je participe à Moscou au Forum international, aux côtés de Bruno Gollnisch, Nicolas Bay et Louis Aliot », écrit-il sur Twitter. « Démocratie parlementaire, sécurité, identité, développement économique : le soleil se lève à l’Est ! » poursuit-il dans un éloge du régime de Poutine. Car ce raout d’influence russe est organisé par le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, qui reçoit ses amis, avec en guest star Sergueï Lavrov, le puissant ministre des Affaires étrangères.

Le RN n’est pas la seule force politique française à avoir fait le déplacement. Sont également présents les ex-députés LR Nicolas Dhuicq et Thierry Mariani (qui ont depuis rejoint Éric Zemmour et Marine Le Pen). Mais certains assument moins ouvertement ces liens : le 23 juin 2017, Nicolas Bay (qui a, lui, rallié Zemmour) se vante d’avoir rencontré « Ivan Melnikov, le vice-président de la Douma ». Or, si son post Facebook est toujours référencé, il a disparu de la page de l’eurodéputé.

Icon TitreLa proximité avec le président russe fait aujourd’hui mauvais genre, bien qu’une partie des cadres RN assurent l’assumer.

Depuis le début de l’invasion ukrainienne, Marine Le Pen et Éric Zemmour sont mis en difficulté par ce que l’on décrit superficiellement comme des « positions pro-Russes ». Avec en guise de symbole l’emprunt bancaire du FN contracté en 2014 (et renégocié en 2020 avec le créancier) à une banque russe. Ou bien l’admiration déclarée d’Éric Zemmour pour Vladimir Poutine et la rencontre de ce dernier avec Marine Le Pen. Au début de l’année, le RN a fait imprimer un tract de 8 pages à 1,2 million d’exemplaires : y figure la fameuse photo de la cheffe du RN serrant la main de Vladimir Poutine en 2017. Le tract a fini au pilon : la proximité avec le président russe fait aujourd’hui mauvais genre, bien qu’une partie des cadres RN aient assuré assumer.

« Un modèle de gouvernance verticale »

Cette proximité est parfois mise sur le même plan que celle, supposée, de candidats de gauche, Fabien Roussel ou Jean-Luc Mélenchon. Rien n’est plus fantaisiste tant, a contrario de la gauche, l’extrême droite française – et une partie de la droite – est profondément liée au régime poutinien. « Le problème est d’abord politique », décrypte Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites et auteur d’un rapport sur « Les partis politiques français et la Russie », publié en 2018 par le Carnegie Council, une ONG basée à New York. Pour lui, « parler des liens d’argent, c’est prendre le problème à l’envers : la démarche du FN n’était pas d’aller chercher de l’argent russe – d’ailleurs, le prêt est à des conditions peu avantageuses –, mais d’être en contact car il existe une certaine fascination, un intérêt pour le modèle russe ».

Ainsi, estime le politologue, la question serait davantage : « Que trouvent nos nationalistes au modèle russe ? » Et de répondre : « Un modèle de gouvernance verticale, de démocratie illibérale, la conservation des valeurs européennes traditionnelles perdues comme la religion, la famille traditionnelle, le patriotisme fondamental. Mais aussi un rempart à l’expansion indéfinie de l’Otan et de l’UE. » L’historien Nicolas Lebourg décrit également des relations « plurielles et fonctionnant en réseau » dans un autre rapport en 2018 pour le Carnegie Council intitulé « Les extrêmes droites françaises dans le champ magnétique de la Russie ». Ces liens sont anciens en ce qui concerne Marine Le Pen : « Dès mars 2011, elle a explicitement reconnu souhaiter rencontrer Vladimir Poutine », explique le chercheur

Lors de son premier discours de la campagne de 2012, elle affirme aussi vouloir « une alliance stratégique poussée avec la Russie fondée sur un partenariat militaire et énergétique approfondi ». En 2015, elle est reçue à la Douma, où elle affiche son soutien à la politique de la Russie en Ukraine. D’après « une dépêche de Sputnik non traduite en français, la rencontre porte également sur la négociation d’un prêt », précise Nicolas Lebourg. Le fameux emprunt russe, dont l’architecte côté FN est l’ancien eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser, élu en Alsace, qui aurait touché, selon le Canard enchaîné, 450 000 euros pour cette mission.

Icon TitreLe candidat de Reconquête !est identifié comme un « relais d’influence  » par les russes.

Jean-Yves Camus pointe aussi les liens anciens « entre la Russie et la droite gaulliste », dont les meilleurs exemples sont Thierry Mariani et François Fillon, dont les liens d’affaires avec plusieurs entreprises d’État russes (Zarubezhneft et Sibur) sont solidement établis. L’ex-candidat à la présidentielle a dû démissionner de ces conseils d’administration le 25 février avec « tristesse ». Quant à Thierry Mariani, élu député européen sur la liste RN en 2019, son association Dialogue franco-russe est aujourd’hui financée à 80 % par des entreprises proches du pouvoir, Novatek (gaz), Rosatom (nucléaire) ou RZD (chemins de fer russes), dont le président d’honneur n’est autre que l’oligarque Vladimir Iakounine, un proche de Poutine.

L’ancien ministre sarkozyste est un intime du très puissant Leonid Sloutski, vice-président de la Douma, chef de la commission des Affaires étrangères. Jean-Yves Camus parle d’un « tropisme pro-Russes » pour Thierry Mariani et ses proches de la droite populaire, Jacques Myard, Nicolas Dhuicq ou Philippe Meunier, et rappelle qu’en 2015, lors d’un voyage en Crimée pour légitimer le référendum, « dix parlementaires de droite avaient rencontré à Moscou Sergueï Narychkine, alors président de la Douma et aujourd’hui directeur des services du renseignement extérieur ».

« Zemmour se voit en miroir de Vladimir Poutine »

Vladimir Iakounine avait également tissé sa toile auprès d’une autre personnalité, un certain Éric Zemmour, identifié comme un « relais d’influence ». Selon l’ONG Dossier Center, un déjeuner entre les deux hommes s’était tenu à Moscou en 2015, à la suite duquel l’ancien dirigeant des chemins de fer russes s’était réjoui « d’avoir trouvé en lui une personnalité politique influente dont la Russie a tant besoin en ce moment ». Éric Zemmour aurait également été invité, en 2019, à l’ambassade russe à Paris pour rencontrer Sergueï Lavrov.

Ce lien relève d’abord d’une fascination personnelle, selon Jean-Yves Camus : « Zemmour se voit en miroir de Vladimir Poutine, il y a un élément psychologique important. » Le chercheur rappelle aussi qu’on a vu « plusieurs fois Marion Maréchal se rendre à Moscou, à Saint-Pétersbourg ». En avril 2019, elle participait à un forum économique qui rassemblait oligarques et personnalités favorables au régime russe, à Yalta en Crimée. Autre proche de Zemmour, lié lui par des liens financiers et idéologiques : Philippe de Villiers. Selon Jean-Yves Camus, il a bâti un « pont » avec la Russie, « construit avec Jean-Frédéric Poisson (…) autour d’un axe civilisationnel inspiré par le christianisme ».

Il est l’un des rares à avoir eu le « privilège » de rencontrer le chef de l’État russe, en 2014, dans la résidence d’été de Yalta pour la confirmation d’un contrat portant sur la création de parcs « historico-patriotiques » sur le modèle du Puy-du-Fou. Des parcs financés par le groupe Tsargrad de Konstantin Malofeev, magnat de la finance et des médias et l’un des hommes les plus proches de Poutine. L’entourage du candidat en matière diplomatique compte deux autres personnalités liées à la Russie : Caroline Galactéros et Jean-Bernard Pinatel, collaborateur de la revue Méthode, dont la rédactrice en chef Elena Sydorova, liée au secteur gazier, est la directrice de l’Institut franco-russe.

Sur le fond, ces liens relèvent bien de la proximité politique, comme l’analyse Jean-Yves Camus dans son rapport de 2018 : « Dans un contexte où la droite revendique la réhabilitation de l’autorité, le modèle russe (…) est un de ceux vers lesquels il est possible de se tourner. » La même année, Éric Zemmour, alors polémiste, déclarait « rêver d’un Poutine français ». Le 7 février dernier, en tant que candidat, il défendait encore au micro de France Inter les positions du régime : « Poutine est un patriote russe. Il est légitime qu’il défende les intérêts de la Russie. » Ses livres donnent un bon aperçu des raisons qui sous-tendent cette adhésion. Dans Un quinquennat pour rien (Albin Michel, 2016), il écrivait que « Poutine est le dernier résistant à l’ouragan politiquement correct (…) qui détruit toutes les structures traditionnelles – famille, religion, patrie ». Et si les liens d’affaires, voire politiques vont se « distendre dans les années à venir », selon Jean-Yves Camus, la fascination du modèle autoritaire poutinien sur l’extrême droite française demeure bien ancrée.


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