Présidentielle. L’abstention pourrait être en hausse, dimanche, selon les sondages. Pourtant, les bonnes raisons de se rendre aux urnes sont nombreuses.
L’abstention sera-t-elle le choix le plus partagé dimanche ? Avec des prévisions oscillant entre 28,5 et 30 %, « il existe un risque sérieux, le 10 avril, de dépasser le record du 21 avril 2002, à 28,3 % », pointe le directeur général de l’Ifop, Frédéric Dabi, qui souhaite toutefois rester prudent puisque « c’est un comportement électoral difficile à identifier parce que ce n’est pas valorisant de dire qu’on va s’abstenir ».
Après la première qualification du FN au second tour en 2002, un sursaut avait suivi en 2007 (16,23 %), mais depuis, de scrutin en scrutin, l’abstention est repartie à la hausse : 20,52 % en 2012 et 22,23 % en 2017. « Plus la participation sera faible, dimanche, plus se creuseront les inégalités de représentation en termes de territoire, d’âge et de classe sociale, ajoute le sociologue Vincent Tiberj. Ceux qu’on aura entendus, c’est la France qui va bien, des quartiers riches, des plus âgés… Au détriment de toutes les autres. » Mais il est encore temps de donner de la voix. Pour s’en convaincre, voici six bonnes raisons d’aller à la piscine seulement après avoir fait un petit tour au bureau de vote, dimanche.
1. Déjouer un scénario dont personne ne veut
Le remake du second tour de 2017 est pronostiqué depuis des mois par les instituts de sondage. En avril 2021, déjà, il y a tout juste un an, les différentes enquêtes créditaient le président de 23 à 29 % des voix et Marine Le Pen de 25 à 28 %, loin devant leurs potentiels adversaires. Une prophétie autoréalisatrice due, en partie, à l’action performative des sondages sur l’opinion. Un script que les candidats ont aussi tenté de maintenir à tout prix, chacun voyant en l’autre sa meilleure chance de victoire. Cette scène, déjà jouée aux européennes notamment, a produit des effets délétères : l’une des premières raisons invoquées par les électeurs tentés par l’abstention dimanche est le sentiment que « les jeux sont déjà faits » (24 %, selon Ipsos), à égalité avec l’idée que « les candidats disent les mêmes choses que lors des élections précédentes ». Et pourtant, jusqu’à 80 % des Français, selon une enquête Elabe de février, ne souhaitent pas ce même casting de second tour. Avec près de 14 millions d’abstentionnistes potentiels, il y a de quoi peser dans la balance.
2. Voter pour ses idées et faire valoir ses convictions
Douze candidatures sont sur la table, malgré une campagne largement amputée. Le président en porte une lourde responsabilité, entre sa déclaration tardive et son refus de débattre avec ses adversaires. Sans compter l’impact de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. 80 % des Français estiment ainsi que la campagne est « de mauvaise qualité », selon une enquête Ifop de début avril, et seulement 39 % jugent qu’elle leur aura été utile pour faire leur choix. Le pluralisme des candidatures et des projets proposés aux électeurs est une condition impérative de la vitalité démocratique et ne saurait être balayé par une pression toujours plus forte et toujours plus tôt (en l’occurrence dès le premier tour) en faveur de choix stratégiques, d’un vote utile qui alimentent la lassitude. 17 % des potentiels abstentionnistes estiment, selon la même enquête Ipsos, « qu’aucun candidat ne correspond à ses idées ». À gauche, pourtant, de Nathalie Arthaud à Anne Hidalgo en passant par Philippe Poutou, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, pas moins de six projets sont sur la table et permettent un vote de conviction.
3. Empêcher les plus riches d’être les seuls à décider
Les plus aisés n’oublieront pas d’aller voter. Or, rappelle Frédéric Dabi, « un rapport de forces électoral, c’est d’abord le produit d’un camp qui va se mobiliser davantage qu’un autre, de segments démographiques qui vont plus voter que d’autres ». 34 % des ouvriers pensent ainsi s’abstenir, selon l’Ifop, contre 25 % des cadres. Ils seraient, selon Ipsos, 38 % au sein des foyers dont le revenu mensuel est inférieur à 1 200 euros, contre 24 % parmi les ménages pouvant compter sur plus de 3 000 euros par mois. Un fossé qui s’est approfondi au fil des scrutins : « L’écart entre le vote des ouvriers et celui des cadres, entre 2007 et 2017, a été multiplié par deux, passant de 6 à 12 points », rappelle la politiste Céline Braconnier. Emmanuel Macron, son RSA conditionné et sa retraite à 65 ans recueillent les meilleures intentions de vote parmi les plus aisés (44 %, selon l’Ifop) ou les cadres (38 %). Sans sursaut de participation, les préférences de ces catégories sociales s’imposeront.
4. Faire entendre la voix des jeunes générations
Ils figurent parmi les catégories les plus réticentes à se rendre aux urnes : 60 % des 18-24 ans sont certains de faire le déplacement, contre 81 % des 70 ans et plus, selon Ipsos. Là encore, l’écart d’abstention entre ces tranches d’âge « a été multiplié par deux, de 9 points en 2007 à 18 en 2017 », relève Céline Braconnier. Or les préoccupations des uns et des autres ne se recoupent pas vraiment. « Chez les 18-35 ans, ce qui compte, ce sont les inégalités sociales, le pouvoir d’achat, l’éducation, l’écologie… Des sujets à peine esquissés pendant la campagne », note Vincent Tiberj. Par exemple, selon Elabe, 36 % des 18-24 font de l’écologie un thème déterminant de leur choix présidentiel (en second derrière le pouvoir d’achat, à 44 %), contre 16 % des 50-64 ans. De même, 21 % des moins de 35 ans font de l’emploi une priorité, contre 13 % des 65 ans et plus. Le différentiel de participation, selon le sociologue, correspond aux « évolutions d’une citoyenneté qui passe de moins en moins par les urnes, qui est de moins en moins une logique de remise de soi à des élites ». Il n’en reste pas moins « préoccupant, prévient-il, d’être face au risque d’une présidentielle où ce sont les plus âgés qui décident complètement, où les boomers (la génération du baby-boom – NDLR), les plus de 60 ans pèsent plus qu’ils ne le devraient au détriment des citoyens qui prennent place dans la société ». Sauf si ces derniers en décident autrement…
5. Donner de la force aux propositions de la gauche
Mais à quoi bon, au fond ? La question est lancinante chez nombre d’électeurs qui pensent s’abstenir. 12 % estiment ainsi, selon Ipsos, que « cette élection n’aura pas d’impact sur (leur) vie ou la situation du pays » et 21 % que « les candidats ne parlent pas assez des sujets qui les préoccupent ». Pourtant, c’est le pouvoir d’achat qui arrive très largement en tête de ces questions jugées les plus importantes en vue du vote, toutes enquêtes confondues. Et en la matière, les candidats de gauche n’ont cessé de multiplier les propositions : hausse du Smic, des salaires et des pensions, gel des prix ou baisse des taxes, développement des services publics, fiscalité plus juste… Mais ils se heurtent aujourd’hui à la démobilisation. « Des attentes s’expriment en termes d’égalité, de redistribution, même l’indice de tolérance progresse. Dès lors, pourquoi la gauche n’en profite pas ? La désillusion considérable liée au mandat de François Hollande joue un rôle majeur », explique le politiste Rémi Lefebvre. Au total, les prétendants de gauche plafonnent entre 27 et 29 %, avec entre 15 et 17 % pour le mieux placé. Mais la mobilisation de ceux qui n’avaient pas prévu de voter permettrait de redonner des couleurs à ces idées dans leur diversité, sans rien retrancher ni aux uns ni aux autres. Alors que le débat autour du vote utile s’est amplifié dans la dernière ligne droite, « il n’y a pas de vote inutile », a reconnu sur France 2 Jean-Luc Mélenchon, tout en appelant dans ses meetings « au barrage dès le premier tour » à Marine Le Pen. « On peut toujours additionner Mélenchon, Roussel, Hidalgo, Jadot, ça ne fait pas une majorité. Donc, il nous faut convaincre », plaide le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, qui s’y attache en défendant un « vote de conviction ».
6. Montrer que la haine n’a pas sa place en République
L’électorat d’extrême droite est davantage mobilisé, avec 80 % de participation annoncée parmi les proches du RN et 81 % de ceux de Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, selon l’Ifop. C’est, certes, moins que les sympathisants LaREM (84 %, contre 80 % chez LR), mais bien plus qu’à gauche où l’intention de voter culmine à 75 %. La logique est toujours la même : moins vous vous exprimez, plus ils prennent de place. Car les candidats d’extrême droite ont beau marteler le contraire à longueur d’antenne, non seulement leurs idées rances n’ont pas leur place en République, mais leurs sujets de prédilection sont désormais relégués à l’arrière-plan des préoccupations des Français. Parmi les enjeux qui détermineront leur vote, l’immigration est citée par 31 % des sondés en décembre 2021, contre 24 % aujourd’hui et, a contrario, le pouvoir d’achat passe de 41 % à 58 %, selon Ipsos (lire page 4). Marine Le Pen l’a bien compris, elle qui profite de l’épouvantail Zemmour pour apparaître plus apaisée et à l’écoute des fins de mois difficiles, malgré un programme plus libéral qu’en 2017. En réalité, après cette double imposture, les deux candidats se feront la courte échelle en cas de qualification au second tour. La peste brune n’aura jamais été si près de s’emparer du pouvoir depuis la Seconde Guerre mondiale.
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