Reportage. Loin des clichés du film : une Segpa, c’est ça !

Éducation. Quand certains font de ces classes adaptées le sujet d’un film surfant sur les stéréotypes, la Segpa du collège parisien Hector-Berlioz livre une autre réalité. Loin du mépris social, on y permet à des enfants abîmés par la vie de se construire un avenir.

Les élèves des sections d’enseignement général et professionnel adapté sont pris en charge par des professeurs des écoles, des enseignants du collège et des professeurs de lycée pro.

Les clichés ont la vie dure. À plus forte raison lorsqu’ils sont entretenus par des médias aussi puissants que la télévision, le cinéma ou les réseaux sociaux. Et plus encore lorsqu’ils visent celles et ceux qui sont du mauvais côté de la barrière, celui où l’on n’est pas armé – socialement, culturellement, économiquement, linguistiquement – pour se défendre.

Les élèves des sections d’enseignement général et professionnel adapté sont de ce côté-là. Eux qu’on appelle trop souvent « les Segpa », comme pour nier ce qu’ils sont : d’abord et avant tout des élèves. Comme pour mieux se persuader qu’ils ne sentent pas le regard que l’on pose sur eux et qui, seul, les constitue en élèves « différents ».

Un cadre à la fois protégé… et enviable

Pour vérifier un cliché ou constater son inanité, il faut sauter la barrière et, un matin d’avril noyé sous une pluie continue, se rendre au collège Hector-Berlioz, dans le Paris encore populaire du 18e arrondissement, qui accueille l’une des treize Segpa de la capitale.

Première surprise, devant des panneaux électoraux placardés d’affichettes en hommage au rugbyman argentin Federico Martin Aramburu, «assassiné par l’extrême droite » : la Segpa n’est pas dans le collège. Elle a ses propres locaux, deux rues plus loin. Une originalité dont on pourrait croire, au premier abord, qu’elle aggraverait le soupçon de ségrégation à l’encontre de ces élèves « à part ».

Il n’y a rien de pire que des enfants abîmés par la vie qui arrivent dans un collège lui-même abîmé, vétuste.Farid Boukhelifa, médiateur du collège

Ici, non seulement ce n’est pas le cas, mais c’est même le contraire. Farid Boukhelifa, le principal de l’établissement, a en effet instauré un principe : les lundis, mardis et mercredis matin, et le vendredi après-midi, les élèves de 3e de section générale ont cours dans les locaux de la Segpa. Ainsi, les uns et les autres peuvent apprendre à se connaître et à se respecter, tout en offrant aux élèves de la Segpa un cadre à la fois protégé… et enviable.

« Ici tout vient de nous »

Sur le toit du haut bâtiment de briques rouges, un jardin pédagogique de 400 m2, conçu par les professeurs de SVT, est en cours de réalisation. Tout en bas dans la cour, c’est un splendide plateau sportif – imaginé par les professeurs d’EPS – qui s’offre au regard. « Ici tout vient de nous, pas d’en haut », remarque fièrement le principal. Le plateau n’est pas réservé aux cours d’EPS, il est accessible aux élèves lors des récréations et des pauses méridiennes.

Lire la tribune de Max Tchung-Ming, principal de collège : Les Segpa, un film qui ne passe pas et qui sent le soufre

 

Celui que l’on appelle ici « Monsieur Saïd », le médiateur, qui intervient dans le cadre d’un accord avec une association d’ethnopsychiatrie, constate : « Cela permet aux élèves de s’exprimer, de se lâcher, de vivre ensemble. Et, du coup, quand ils reviennent en cours, ils se concentrent mieux. »

Farid Boukhelifa a carrément théorisé la démarche. Ici le moindre graffiti est immédiatement nettoyé, les rideaux déchirés ont été changés, les salles repeintes… « Il n’y a rien de pire, explique-t-il, que des enfants abîmés par la vie qui arrivent dans un collège lui-même abîmé, vétuste. » Leur offrir un cadre non seulement beau mais aussi valorisant devient un enjeu pédagogique.

« Des gamins très intelligents, vifs, parfois artistes »

« Abîmés par la vie… » Sans rentrer dans les détails, Nelly Gillard, la directrice de la Segpa, évoque des élèves au parcours de vie très compliqué : « Ce sont des enfants qui cumulent souvent toutes les difficultés : scolaires, sociales, familiales. » Des histoires qui passent parfois par des années passées en camp de réfugiés, des violences intrafamiliales, de l’absence parentale, des rapports déjà compliqués avec la justice… « Des gamins très intelligents, vifs, malins, parfois artistes, qui peuvent avoir un handicap plus ou moins bien identifié. Ils nous arrivent souvent, après le CM2, avec un niveau de fin de CE2. »

Dans la Segpa, à 16 par classe au maximum, ils sont pris en charge par des professeurs des écoles pour le français, les maths, l’anglais, par des enseignants du collège général pour les autres matières, et par des PLP (professeurs de lycée professionnel) pour les matières dites du « champ professionnel ». À Berlioz, il en existe deux : « métiers de l’habitat » et « vente, distribution, logistique ».

Jérémie voulait être dentiste

C’est justement dans l’atelier « habitat » que l’on trouve Jérémie, un élève de 3e dont le regard pétillant et la bonne humeur illustrent à merveille les propos de la directrice. Il n’a pas cours aujourd’hui (la Segpa est presque vide d’élèves, semaine de stage oblige), mais il est venu pour peaufiner son « passe pro », qui doit lui permettre d’accéder au lycée professionnel. Du moins, il essaie… « Rhaaa, j’en ai marre de ce PC de m… ! » enrage Shéhérazade, venue pour le même motif et qui a déjà dû recommencer son travail deux fois, trahie par des ordinateurs, hélas, pas plus fonctionnels que ceux de nombre de collèges généraux…

 

Jérémie discute avec Julien Cellier, le professeur du champ professionnel « habitat ». Il voulait être dentiste, un rêve affiné au fil de ses années de Segpa : « Je voulais faire prothésiste dentaire, mais maintenant je veux faire podo-orthésiste. » Un choix arrêté pendant son expérience de terrain.

« Aider à se projeter »

Stages, rencontres, parcours découverte : « On doit leur montrer un maximum de choses, détaille Julien, et surtout les métiers de demain. » Nelly Gillard abonde : « Il faut les aider à se projeter dans d’autres professions que footballeur, avocat ou pharmacien, sans les dévaloriser. On leur dit : “OK, on te suit, mais on t’emmène voir d’autres choses, et tu verras bien.” »

Les parcours de nombreux anciens élèves témoignent des réussites de ce fonctionnement. « Ici, on prend chacun à son niveau, en essayant de l’emmener le plus loin possible », poursuit-elle.

Mais parfois, les réticences face à la terrible image des Segpa sont les plus fortes : « Des parents refusent l’orientation en Segpa, alors que c’est elle qui conviendrait le mieux à leur enfant. En fait, ils condamnent celui-ci à une longue galère en collège général. Ou alors, on retrouve ces élèves dans certains établissements privés spécialisés, car souvent le refus de la Segpa vient des familles les plus aisées. »

 

La directrice de la structure exprime alors sa « rage, presque une envie de pleurer » devant ce que promet un film comme les Segpa : « Ce sont des acteurs de 30 ans qui font les débiles, ce n’est pas notre réalité. »

Elle redoute de voir « anéantis dix ans de travail pour déstigmatiser nos élèves ». Radeau de survie lancé aux enfants naufragés de la compétition scolaire, les Segpa mériteraient plutôt d’être montrées en exemple.


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