La vérité derrière les chiffres de Parcoursup : près d’un lycéen sur quatre éliminé

Tout en publiant le bilan définitif de la plateforme d’inscription dans l’enseignement supérieur, le gouvernement cherche à en masquer le résultat principal : 22,4 % des néobacheliers n’ont pas trouvé de place. Analyse des chiffres.

138 865 bacheliers, soit près du quart (22,4 %) des inscrits, n’ont pas eu de place dans le supérieur cette année. LILIAN CAZABET /  AFP

138 865 bacheliers, soit près du quart (22,4 %) des inscrits, n’ont pas eu de place dans le supérieur cette année. LILIAN CAZABET / AFP

C’est l’histoire d’un verre qui, au premier abord, semble aux trois quarts plein. Mais en approchant, on constate que pour créer l’illusion, de la peinture a été appliquée sur les parois : en réalité, le verre est aux trois quarts vide. Visiblement, le même illusionniste a œuvré sur les résultats de l’exercice 2022 de la plateforme Parcoursup, rendus publics jeudi 29 septembre.

« Rendus publics » est d’ailleurs un bien grand mot, tant ce qui figure dans le dossier, censé donner à la presse les informations nécessaires, s’avère à la fois caricaturalement parcellaire et grossièrement orienté, dans un seul but : projeter l’image du verre aux trois quarts plein – et d’une plateforme qui fonctionne.

Quand les artifices de la communication sont ainsi mis en œuvre pour dissimuler l’information, par ceux-là mêmes qui sont les seuls à pouvoir la mettre à disposition des citoyens, on mesure l’épaisseur du problème démocratique posé.

11,6 millions de vœux formulés

La peinture brille : elle est encore fraîche. On jette en pâture des chiffres choisis : 936 000 inscrits (dont 622 000 néobacheliers), 21 000 formations proposées (+7,7 %), 11,6 millions de vœux formulés, 3,8 millions de propositions d’admission envoyées aux candidats (+4 %), 93 % de bacheliers qui auront reçu au moins une proposition…

Au final, pas plus de 18 900 candidats insatisfaits ont saisi les CAES (Commissions d’accès à l’enseignement supérieur) et au terme de tout ce formidable processus, il en reste 160 qui « continuent d’être accompagnés ». Autrement dit, quantité négligeable.

« Une procédure efficace pour répondre aux attentes des candidats et des formations », claironne le dossier. Et d’ailleurs, regardez : on s’est même payé un sondage (Ipsos) qui montre noir sur blanc que « 68 % des lycéens sont satisfaits du délai dans lequel ils ont reçu leur proposition d’admission », et surtout que 72 % « manifestent leur satisfaction à l’égard des formations dans lesquelles ils ont été acceptés (70 % en 2021) ». Plus belle, la vie !

Un étrange échantillon

Mais déjà la peinture s’écaille. D’abord parce que ce sondage est basé sur un étrange échantillon qui comprend 79 % de bacheliers généraux, 14 % de bacheliers technologiques et 7 % de bacheliers professionnels : dans la vraie vie ils représentent respectivement 54 %, 20 % et 26 % des bacheliers. Curieux sondage, basé sur un échantillon non représentatif où le poids des bacheliers généraux, mieux acceptés dans le supérieur, est considérablement exagéré.

Ensuite et surtout parce que malgré ce biais rédhibitoire, il reste encore 28 % d’insatisfaits. S’agissant de jeunes qui jouent là leurs projets et une bonne partie de leur avenir, c’est tout simplement énorme. 28 % d’insatisfaits : combien d’abandons ou d’orientations non désirées, conduisant à l’échec ? Notons d’ailleurs que le total de candidats étiquetés « étudiants en réorientation » ou « en reprise d’études » grimpe de 3,7 %, de 271 000 à 281 000, par rapport à 2021.

Alors, on gratte la peinture. Et au fond du verre, le breuvage apparaît franchement saumâtre. À partir des chiffres disséminés çà et là, on refait les comptes et on comprend que sur les 622 000 bacheliers inscrits cette année sur la plateforme, si 578 370 ont bien reçu une proposition d’admission (ce qui en laisse déjà près de 45 000, soit 7 %, sur le carreau), seulement 483 135 ont finalement accepté une proposition d’inscription dans le supérieur. Autrement dit : 138 865 bacheliers, soit près du quart (22,4 %) des inscrits, n’ont pas eu de place dans le supérieur cette année !

Un chiffre colossal, qui recoupe d’ailleurs les calculs publiés le 22 septembre par l’Unef. En se basant sur les capacités d’accueil des formations, le syndicat étudiant aboutit à 20 % de jeunes n’ayant pas trouvé de place.

On comprend donc que la mise en avant du chiffre de 160 lycéens sans solution sert à cacher la forêt des dizaines de milliers de jeunes qui, au fil de la procédure, se sont vus barrer l’accès au supérieur. Pour eux, il y a une formule : ils ont juste « quitté la plateforme ». Comment, pour quoi faire ? Peu importe, apparemment.

Des critères de sélection opaques

Tout le reste de cette œuvre de pure propagande est à l’avenant. Un visuel coloré met-il en avant le fait que « plus de 50 % des bacheliers technologiques ont reçu une proposition d’admission en IUT » (Institut universitaire de technologie) et que « 76,1 % des bacheliers professionnels ont reçu une proposition d’admission en STS » (Section de technicien supérieur) ? C’est pour mieux faire oublier que ces chiffres devraient être infiniment supérieurs, puisque ces filières constituent les débouchés naturels des bacs concernés.

C’est aussi pour tenter (vainement) de cacher ce que tout le monde sait : Parcoursup permettant désormais – c’est sa raison d’être – aux responsables des formations de sélectionner leurs étudiants, on préfère y accueillir d’abord des bacheliers généraux, quitte à laisser les autres le bec dans l’eau.

Sélectionner ? Le vilain mot ! Dans un chapitre consacré à combattre « les idées reçues », on prend le taureau par les cornes : « Que veut dire «sélection à l’université» ? » demande ce texte burlesque qui fait les questions et les réponses… et nous explique doctement qu’une filière est sélective simplement si elle « n’est pas obligée » d’atteindre le maximum de ses capacités d’accueil.

Évacuée, la question des critères de sélection opaques tout comme celle, pourtant centrale, des capacités d’accueil insuffisantes : une filière dotée de 50 places mais où 500 bacheliers souhaitent s’inscrire n’est donc pas sélective. Et puis avant Parcoursup, c’était premier arrivé, premier servi, et c’était injuste, alors qu’aujourd’hui le tri se fait « à partir de l’examen des dossiers ».

Suit cette phrase incroyable : « Il s’agit d’une décision volontaire et assumée, pour plus de méritocratie ». Étudiants, mettez-vous bien ça dans le crâne : si vous êtes rejetés du supérieur, ce n’est pas parce que l’État refuse d’investir pour permettre à tous de faire les études de leur choix. Non : c’est parce que vous ne le méritez pas.

« Une décision volontaire et assumée, pour plus de méritocratie »

C’est bien l’idée-force de ce « bilan » très orienté, rédigé comme une vulgaire enquête de satisfaction client, dans le plus pur style de ces cabinets de conseil qui coûtent si cher aux finances publiques. Comme si la distinction entre service public et simple prestataire était en train de s’effacer. Comme si, demain, n’importe quel opérateur pouvait être appelé à gérer le droit à poursuivre ses études après le bac. L’outil est là.


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