Depuis le début du mois, Pap Ndiaye fait feu de tout bois, annonçant une série de mesures allant du primaire au collège. Derrière les éléments de langage, une réalité se dessine pour le futur de l’école. Et elle n’est pas rassurante.
Petit à petit, le paysage éducatif de cauchemar entrevu sous Jean-Michel Blanquer se précise: une école au moindre coût, chassant devant elle les professionnels qualifiés pour proposer aux classes populaires et moyennes l’aumône d’un enseignement dévalorisé, vers un avenir de bullshit jobs. Celles et ceux qui auraient, de bonne foi, fondé quelques attentes sur l’arrivée de Pap Ndiaye Rue de Grenelle risquent de passer très vite de l’espoir à la colère. Les annonces faites depuis la rentrée de janvier, qui visent principalement – mais pas seulement – le collège, ne font que confirmer la tendance. « L’homme malade du système », tel que l’a stigmatisé en septembre le ministre lui-même, ne se voit en vérité proposer que des remèdes de grand-mère ou d’apothicaire à la Molière, du genre qui tuent le malade plus sûrement qu’ils le soignent.
Au premier temps de la valse, Pap Ndiaye annonce le 4 janvier que l’expérimentation de la « 6e tremplin », tout juste lancée en septembre dans six collèges de l’académie d’Amiens, va être généralisée dès la rentrée 2023. En outre, le dispositif « Devoirs faits » d’aide aux devoirs deviendra obligatoire pour tous les élèves de 6e. Mettant en avant les résultats des évaluations de 6e, le ministre explique qu’à l’arrivée au collège, « 27 % des élèves n’ont pas le niveau requis en français, un tiers ne l’ont pas en mathématiques ». L’idée de la 6e tremplin est donc que des professeurs des écoles aillent dans les collèges pour effectuer une heure hebdomadaire de soutien, en français ou en mathématiques, auprès des élèves concernés. L’enseignement de la technologie en fera les frais : il sera tout simplement supprimé en 6e afin de financer cette mesure.
Des injonctions et des objectifs pour cadrer précisément le travail des enseignants
L’efficacité? Difficile à présumer, puisque cette expérimentation n’en est qu’à ses balbutiements. Les syndicats, eux, ont appris la chose en même temps que le reste des Français. Porte-parole du SNUipp-FSU, Guislaine David ne nie pas le problème, mais souligne que, si les élèves en question « sont en baisse sur les éléments évalués, on sait aussi qu’ils sont bien plus compétents que les élèves des années 1980 dans des domaines comme les langues, le numérique, la connaissance du monde… » Si les élèves de 6e rencontrent des difficultés, c’est sans doute en amont, à l’école primaire, qu’il faudrait intervenir. Mais cela reviendrait à pointer des problèmes de fond, comme la baisse du nombre d’enseignants (encore 1 100 postes supprimés à la rentrée 2023) ou, corrélativement, la hausse constante du nombre d’élèves par classe – les dédoublements ciblés mis en œuvre sous Jean-Michel Blanquer ayant conduit à l’explosion des effectifs d’élèves dans toutes les autres classes. Et il est plus difficile d’accorder une attention particulière aux problèmes de chaque élève dans une classe à 30 élèves que s’ils sont 20 ou 24. On devrait aussi pointer la disparition des enseignants spécialisés, en particulier ceux des Rased (réseaux d’aide et de soutien aux élèves en difficulté), sacrifiés sur l’autel… des « dédoublements Blanquer ».
La vérité est ailleurs : cette mesure vise aussi (surtout ?) à permettre au ministère, dans le cadre du « pacte » proposé aux enseignants par Emmanuel Macron, d’offrir aux professeurs des écoles ces fameuses « nouvelles tâches » justifiant un supplément de rémunération qui tiendrait lieu de la véritable revalorisation, réclamée de longue date. Des « nouvelles tâches » jusqu’ici bien difficiles à imaginer, en dehors du temps de présence déjà élevé de ces enseignants. Reste d’ailleurs à déterminer si ces heures de soutien se feraient ou non sur l’horaire habituel d’enseignement. Si c’était le cas, ce serait autant d’heures prises sur les classes de primaire : l’équivalent de 1 200 postes environ.
Mais il ne s’agit pas seulement de cela. La deuxième lame est tombée en milieu de semaine, sous forme de circulaires venant préciser les annonces du ministre, de la maternelle à la 3e. On y trouve, par exemple, l’instauration d’une nouvelle évaluation nationale obligatoire, en CM1 cette fois. Mais aussi toute une série d’injonctions et d’objectifs venant cadrer de manière extrêmement précise le travail des enseignants. Exemples : retour du calcul mental et de la dictée quotidienne (qui, en réalité, n’ont jamais disparu) ; obligation de pratiquer deux heures de lecture par jour ; un élève de CM1 devrait lire 90 mots par minute en CM1, puis 120 en CM2… On dirait « des ordonnances avec la posologie : vous ferez tant d’heures de lecture à voix haute, d’écriture… et ça ira mieux », a réagi Guislaine David, interrogée par le site spécialisé le Café pédagogique.
Mais il n’y a pas de potion magique. Ces injonctions disent, en creux, que les enseignants ne savent pas s’y prendre. C’est pourquoi il faudrait faire fi de leur liberté et de leur créativité pédagogiques pour imposer, via une hiérarchie toujours plus pesante, un cadre et des méthodes d’exercice qui seraient les bons. Effet collatéral : plus vraiment besoin d’une haute qualification pour exercer un métier où il suffit de suivre les guides ministériels. Sûrement pas une coïncidence, au moment où le recrutement par job dating de contractuels formés en trois jours devient le seul remède à une pénurie de profs savamment organisée.
Selon les calculs du collectif de professeurs Sauver les lettres, entre 1968 et 2015, les élèves ont perdu 360 heures annuelles de cours de français en primaire, et 162 heures annuelles au collège. Soit l’équivalent de… deux années complètes de scolarité en français. Ce qui fait qu’à son arrivée en seconde, un élève a eu aujourd’hui « autant d’heures d’enseignement qu’un élève arrivant en 4e en 1975 », écrit le collectif. Si « le niveau baisse », les raisons en sont plus sûrement qu’ailleurs à chercher du côté de cette orientation structurelle. On chercherait à revenir à ce que Ferdinand Buisson, l’un des pères fondateurs de l’école républicaine (et corédacteur de la loi de 1905), décrivait en 1884 comme « cet enseignement rudimentaire de la lecture, de l’écriture et du calcul que la charité des classes privilégiées offrait aux classes déshéritées », qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
PRIMAIRE Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne dépouillés
On savait déjà que, pour toute l’académie de Créteil, qui regroupe la Seine-et-Marne, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, seulement 65 créations de postes étaient prévues à la rentrée 2023. Selon des documents provisoires que l’Humanité a pu consulter, aucun de ceux-ci ne serait affecté dans les deux derniers départements parmi les plus pauvres de France et qui comptent le plus d’écoles en éducation prioritaire. Le prétexte : une (légère) baisse démographique prévue… alors que les prévisions en 2022 avaient été largement dépassées.
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