L’association, fondée par un ancien policier du Raid, multiplie les initiatives en direction des écoliers et collégiens. Le 21 mars, Raid Aventure intervenait auprès des élèves de 5e du collège Germaine Tillion, à Paris. Une action à la portée pédagogique discutable qui suscite bien des interrogations.
Photo capture d’écran
Au collège Germaine Tillion, situé dans un quartier populaire du 12 e arrondissement parisien, tout a commencé par un mail anodin. La directrice adjointe de l’établissement y informait les parents des élèves de 5 e et les personnels qu’une demi-journée « sportive et citoyenne » serait organisée la semaine suivante, sur le temps scolaire, « en partenariat avec la Direction de la police municipale et de la prévention du 12 e arrondissement et l’association Raid aventure » et animée par « des policiers bénévoles et des membres de la communauté éducative ».
« Des enfants en tenue de combat, maniant des pistolets factices et des bâtons et simulant des interpellations »
Le message (que nous avons pu consulter) comportait aussi un lien vers une vidéo de présentation de Raid Aventure. « En cliquant j’ai été très choquée, explique Aurélie*, enseignante dans le collège. On voyait des enfants en tenue de combat, maniant des pistolets factices et des bâtons et simulant des interpellations. »
Alertés, d’autres enseignants émettent alors des réserves sur l’intérêt pédagogique de ce genre d’opération et vont s’en ouvrir à la principale adjointe.
Celle-ci les rassure en leur parlant de « promouvoir la citoyenneté et les valeurs de la République, améliorer les relations entre les jeunes et la police et déconstruire les stéréotypes », tout en leur assurant qu’il s’agissait simplement de faire découvrir « les métiers et les techniques d’intervention des forces de police aux élèves et qu’il n’y aurait ni arme ni menotte », rapporte une autre enseignante.
Pas vraiment de quoi rassurer Aurélie : « Deux classes vont être fermées dans notre établissement à la rentrée prochaine, on manque de temps et de moyens pour s’occuper des élèves en difficulté dans ce quartier populaire. Alors, annuler des cours pour organiser ce genre de choses me paraît absurde. »
Des élèves divisés en deux groupes, selon qu’ils déclarent aimer ou pas la police
Du coté des parents, l’annonce de cette action suscite peu de réactions. « Cette après-midi découverte était estampillée “ parcours citoyen ” et le but affiché était de “ créer du lien entre la population et les policiers locaux ” . Sur le principe cela ne m’a pas gênée », témoigne Sabine*, la mère d’une élève de 5 e.
Le mardi 21 au soir, écoutant le récit que lui en fait sa fille, elle n’en croit pas ses oreilles : « Clémentine* m’a raconté que les élèves avaient été questionnés par des policiers pour savoir s’ils aimaient ou pas la police, puis séparés en deux groupes en fonction de leur réponse. Elle, qui avait été très choquée par la mort par tir policier d’un homme dans sa voiture, juste à côté de chez nous, était dans le groupe qui n’appréciait pas la police. Elle a évoqué cette affaire avec celui qui animait l’atelier, qui lui a répondu qu’il s’agissait d’un cas de légitime défense (l’enquête est encore en cours, NDLR) . Un de ses camarades a évoqué des violences policières lors des récentes manifestation et dont il avait vu les images. Il lui a été répondu que les personnes qui avait pris des coups étaient au mauvais endroit et n’avaient rien à y faire… ».
Sur les réseaux sociaux, d’autres parent s’émeuvent, photos à l’appui, d’avoir vu leurs enfants tester les techniques de palpation, d’interpellation et de menottage, tirer avec des pistolets laser, manier des matraques ou crapahuter harnachés comme des Robocop.
« Entre un atelier sur le tri des déchets et une séance d’escalade, on leur a appris à faire une clé pour immobiliser quelqu’un et à utiliser une arme. C’était tout à fait inapproprié. Il y a d’autres façons d’aborder le travail de la police que sous l’angle physique et répressif », s’indigne Maria Melchor, représentante (FCPE) des parents d’élèves, dont l’enfant a également participé aux ateliers.
Au nom de sa fédération, elle a déjà envoyé des courriers de protestation à la direction du collège et à la mairie du 12 e arrondissement. Elle va également « interpeller le rectorat, notamment pour savoir pourquoi Raid Aventure est agréée par l’Éducation nationale. »
Effectivement, les actions de cette association (qui mène aussi des ateliers de « formation » dans le cadre du Service national universel) en direction des écoliers, collégiens et lycéens se multiplient dans l’Hexagone et outre-mer.
Entre janvier et mars 2023, une quarantaine d’actions en direction d’un public scolaire ont été programmées. Celles du dispositif Prox’Aventure sont installées dans un lieu public, proche des écoles ou collèges, où les enseignants accompagnent les élèves (comme ce 21 mars dans le 12 e). Quand il s’agit de lycées, les policiers de Raid Aventure interviennent au sein même des établissements.
Une association sponsorisée par des marchands d’armes
Financée par les ministères de l’Éducation nationale et de la jeunesse, de l’Intérieur, de la Justice et des Armées, subventionnée notamment par le Conseil régional d’Île-de-France mais aussi par la police nationale et sa fédération sportive (la FSPN), l’association basée à Dreux est aussi appuyée par des sponsors privés, comme le groupe Dassault ou encore GK pro, qui commercialise des Flash-balls, grenades lacrymogènes et tasers, entre autres équipements à destination de la police. Un matériel dont le très médiatique président fondateur de l’association, Bruno Pomart, ex-policier du Raid, n’hésite pas à promouvoir publiquement l’usage.
Ainsi en 2020, sur la chaîne RMC, il militait pour que toutes les polices municipales soient armées de Taser, s’inquiétait de l’interdiction des grenades de dispersion GLI-F4, et louait l’emploi du LBD (lanceur de balles de défense) dans le maintien de l’ordre. Sur LCI, CNEWS et BFM TV, où il intervient régulièrement comme consultant, il nie systématiquement l’existence de toute violence policière. Il fustige dans une tribune « Le fantasme d’une police blanche, raciste et violente [qui] n’existe pas en France » . Un texte qui voisine, sur le site de Raid Aventure, avec d’autres du même acabit, et même un hommage sirupeux à « l’humaniste » Serge Dassault.
Une après-midi facturée 1 000 euros par Raid Aventure
« Les policiers bénévoles que nous avons rencontrés pour préparer cette journée sont des gens très biens, qui savent y faire avec les enfants. Raid Aventure existe depuis 25 ans, et fait des dizaines d’intervention par an auprès d’élèves, avec l’aval de l’Éducation nationale, à la demande de municipalités de droite comme de gauche, cela ne pose jamais de problème, défend Pierrick Paris, adjoint en charge de la sécurité à la maire du 12 e arrondissement et initiateur de cette opération. On très loin d’une entreprise d’embrigadement ou de propagande policière. Les intervenants ont au contraire invité les enfants à discuter de la police entre eux. »
Regrettant d’avoir vu circuler sur les réseaux sociaux des images d’enfants portant des pistolets lasers et des tenues ressemblant à des équipements de combats, l’élu socialiste concède que « si c’était à refaire, je demanderais que certains ateliers soient supprimés ».
Il reconnaît également que « dans le contexte actuel de manifestations, qui ont donné lieu à des exactions policières dont les images ont été largement diffusées, le calendrier d’une telle opération n’était peut-être pas opportun. »
Mais pour Pierrick Paris, cette après-midi facturée 1 000 euros par Raid Aventure reste un succès : « Tous les enfants étaient contents d’avoir participé à ces ateliers ludiques, sportifs et citoyens et ont adoré jouer le rôle de policiers », assure-t-il.
Une « erreur » reconnue, mais non suivie d’effets
« Ce n’est pas la bonne méthode, lui répond Nicolas Bonnet-Oulaldj, conseiller (PCF) de Paris et élu en charge des sports dans le 12 e arrondissement. Pour faire du sport, les élèves ont des profs d’EPS. Quant à leur relation avec la police, elle passe par un véritable dialogue avec des policiers en fonction, qui peuvent leur expliquer la criminalité engendrée par le trafic de drogue, la manière dont ils enquêtent, répondre à leurs interrogations ou leur vécu concernant les méthodes policières dans un quartier populaire. Avec Raid Aventure, on est uniquement sur la démonstration du volet opérationnel et il y a un côté très paternaliste. »
L’élu communiste se dit également « outré que cette opération n’ait jamais été évoquée au conseil d’administration du collège Tillion (où il siège, NDLR) et qu’une rue piétonne ait été privatisée pour son déroulement, en y installant des bannières publicitaires de Raid Aventure et des marchands d’arme qui sponsorisent l’association ».
La multiplication des protestations parviendra-t-elle aux oreilles du rectorat ? Une telle association cessera-t-elle ses activités après des enfants ? Rien n’est moins sûr.
Après que les mêmes ateliers de menottage entre élèves, de manipulation de matraques et de pistolets lasers ont été organisés fin septembre 2022 dans les écoles de leurs enfants, une délégation de parents des écoles Langevin, Sorano et Balzac à Saint Denis (Seine-Saint-Denis), avait été reçue par un inspecteur de l’Éducation nationale le 17 novembre 2022.
À l’issue de la rencontre, le représentant FCPE de l’école Langevin avait même évoqué un « soulagement général » après que l’inspecteur avait « reconnu qu’une erreur avait été commise » et « qu’il avait manqué de vigilance ».
Parallèlement, un message reconnaissant « le caractère inadapté des activités proposées aux enfants par raid Aventure » avait aussi été envoyé à l’Humanité par le rectorat. Apparemment, cet acte de contrition n’a pas été suivi d’effets, puisque l’Éducation nationale continue à accueillir Raid Aventure à bras ouverts.
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