Contre le mouvement social, des gardes à vue utilisées à des « fins répressives »

Dans un document publié mercredi 3 mai, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté dénonce les arrestations arbitraires lors des mobilisations contre la réforme des retraites.

Ils se sont rendus dans neuf commissariats parisiens, les 24 et 25 mars. À chaque fois, les équipes de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) se sont entretenues avec des personnes interpellées à Paris dans le cadre ou en marge des manifestations du 23 mars. Et leurs conclusions sont sans appel.

Dans un rapport d’enquête publié mercredi 3 mai et un courrier adressé à Gérald Darmanin le 17 avril, Dominique Simonnot, la contrôleure générale, dénonce des « atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées ». D’une part, en raison des conditions matérielles de prise en charge dans certains locaux. Et, d’autre part, du fait du nombre important de procédures conduites « en méconnaissance des normes et principes qui régissent la procédure de garde à vue, voire, dans certaines situations, en violation des textes applicables ».

« Interpellations violentes » et « fouilles systématiques en sous-vêtements »,

Contrôleure depuis 2020, l’ancienne journaliste explique, dans ce document d’une trentaine de pages, que les personnes placées en garde à vue lui ont décrit des « interpellations violentes », des « fouilles systématiques en sous-vêtements », des conditions d’hygiène « indignes », ou encore des « espaces individuels insuffisants en cellule collective ».

Le rapport s’appuie sur de nombreuses photos : amas de couvertures sales dans les cellules, toilettes totalement insalubres… « Les conditions matérielles sont horribles, appuie Dominique Simonnot. Des cellules sans point d’eau ni toilettes, d’autres où on ne peut activer la chasse d’eau que de l’extérieur, et où il faut appeler de l’aide pour le faire, des toilettes communes dans un état innommable, d’autres qui ne fonctionnent plus… Vous imaginez les odeurs pestilentielles ! »

Une personne a été interpellée… parce qu’elle avait les cheveux noirs !

La CGLPL s’interroge également sur la finalité réelle de ces gardes à vue et ce qui ressemble fort à des arrestations préventives arbitraires. Le document note notamment qu’une personne a été interpellée… parce qu’elle avait les cheveux noirs ! « Beaucoup d’officiers de police judiciaire se plaignent eux-mêmes de la situation », raconte Dominique Simonnot.

Dans des commissariats, elle dit avoir assisté à des conversations d’officiers de police judiciaire (OPJ) qui expliquent avoir appelé les agents interpellateurs afin de connaître la raison de plusieurs arrestations. Et ces derniers sont dans l’incapacité de donner la moindre explication.

« Certains policiers disent qu’ils avaient l’ordre d’interpeller des personnes présentes dans une zone, sans avoir de raison », relate-t-elle encore. La contrôleure générale ne peut que faire le parallèle avec les gilets jaunes, en 2019, quand le parquet de Paris avait fait circuler une note préconisant de garder les personnes interpellées vingt-quatre heures, même si elles n’avaient rien fait.

80% des procédures ont été classées sans suite

Le rapport précise d’ailleurs que, sur les 785 gardes à vue prononcées du 16 mars à la nuit du 22 au 23 mars – semaine marquée par la multiplication des manifestations nocturnes après l’utilisation par le gouvernement du 49.3 –, 629 procédures ont été classées sans suite.

« On a constaté que 80 % des personnes interpellées étaient relâchées, même en comparution immédiate, puisqu’elles sortent libres du tribunal. Et quand on sort libre de ce type d’audience, ça veut vraiment dire qu’il n’y a rien dans le dossier ! » assure encore l’ancienne chroniqueuse judiciaire. Qui s’inquiète pour la liberté de manifester et s’interroge : « Quand va-t-on arrêter les bonnes personnes ? Celles qui balancent des cocktails Molotov sur la police et non celles qui ne faisaient que passer ? »

La contrôleure rappelle aussi que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit français conditionne expressément l’utilisation de la garde à vue à l’existence d’un soupçon caractérisé quant à la commission ou la tentative d’infraction…

Pou Gérald Darmanin, la contrôleure générale a « excédé ses compétences »

La réponse du ministre de l’Intérieur est sans surprise. Gérald Darmanin estime que la contrôleure générale a « excédé ses compétences » en livrant ce constat. Selon lui, le nombre élevé de classements sans suite serait simplement lié à la difficulté de prouver les infractions. Ce qui ne voudrait pas dire qu’elles n’ont pas été commises.

« On n’est pas là pour plaire au ministre de l’Intérieur, rétorque Dominique Simonnot. Il devrait plutôt réfléchir à comment agir autrement afin de ne pas se heurter au constat que nous apportons. Rester dans les clous de la loi. Le ministre reconnaît d’ailleurs que les fiches d’interpellation et les PV pourraient être mieux rédigés, entre autres exemples. » 


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