80e anniversaire du CNR

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat

On connaît les vers célèbres d’Aragon écrits à l’été 1942 et successivement publiés à Marseille puis à Genève, en 1943, avant d’être repris dans La Diane française. Ils figurent dans cette ode à l’unité nationale face à l’occupant nazi qu’est « La Rose et le Réséda », dédiée « à Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves », auxquels s’ajoutèrent, les massacres succédant aux massacres, « Guy Môquet et Gilbert Dru ». « Celui qui croyait au ciel » côtoie ainsi « Celui qui n’y croyait pas » dans la lutte pour la libération nationale et le chant qu’Aragon en propose.

Pourtant, cette unité n’avait aucune évidence. On a peut-être oublié quelle fureur anticommuniste dominait dans de larges secteurs de notre pays : parmi les nazis et leurs alliés pour lesquels le communisme était l’ennemi absolu bien sûr, mais bien au-delà de ces rangs et au sein même d’une partie substantielle de la Résistance.

Il fallut un très haut sens de l’intérêt national pour que chacun acceptât de surmonter des différences qui n’avaient pas vocation à s’effacer. De ce point de vue, il faut sans doute rappeler l’initiative communiste de constitution d’un « Front national » au printemps 1941. (Depuis les funestes usages de ce syntagme par les Le Pen, on n’entend plus ce que ces mots voulaient dire. « Front national », c’est bien sûr, dans les circonstances de la guerre et de l’Occupation, le prolongement du « Front populaire ».) Dirigé par le communiste Pierre Villon, le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France rassemble très au-delà : on y trouve, jusque dans sa direction, des radicaux à l’image du Lyonnais Justin Godart et même des catholiques conservateurs comme Georges Bidault ou Jacques Debû-Bridel. Dans le même esprit, Aragon travaille à la jonction, pour Les Lettres françaises, organe du Comité national des écrivains (initialement, Front national des écrivains), avec des hommes de lettres aussi éloignés sur le plan politique que Jean Paulhan ou François Mauriac…

Bref, tôt ostracisés, les communistes, sans se renier, multiplient les initiatives de rassemblement. Cela ne détruit pas d’un coup le mur de l’anticommunisme, mais c’est aux autres qu’est renvoyée la question du travail en commun. Celle-ci s’impose d’autant plus volontiers que, progressivement, les communistes s’affirment comme une force absolument incontournable de la Résistance intérieure. Unir la Résistance en écartant les communistes n’a dès lors que peu de sens. Pour autant, il reste difficile à envisager, à ce stade, que les communistes soient à la tête d’une structure de rassemblement à créer :  il faudra reconnaître à de Gaulle une place prééminente.

Les méfiances subsistent longtemps, les débats demeurent, mais le 27 mai 1943, le pas est franchi : un Conseil national de la Résistance est créé après la réunion clandestine tenue en plein Paris, rue du Four. Les principaux mouvements de la Résistance y figurent (Front national, Combat…), aux côtés des syndicats de salariés et des partis politiques d’avant-guerre (gauche et droite confondues). Il s’agit d’abord et avant tout de se battre et de le faire efficacement, en tentant une coordination (plutôt qu’une impossible fusion). Progressivement, la question de la nature de la France à construire après la guerre se pose. Longtemps repoussée (elle pourrait diviser, vu la diversité des forces à rassembler contre l’occupant), elle s’impose en quelques mois et c’est la proposition de Pierre Villon pour le FN qui est retenue comme base de discussion en vue de la conclusion d’un programme du CNR. En mars 1944, c’est chose faite. En dépit de sa diversité sociale, culturelle, politique ou confessionnelle, la Résistance se dote d’un programme qui, la Libération venue, change la France radicalement pour lui donner ces couleurs singulières (Sécurité sociale, vaste secteur public, pouvoirs et droits nouveaux…) que d’aucuns s’acharnent à effacer dans une entreprise de normalisation pour le plus grand profit de quelques-uns… Mais ceci est une autre histoire dont la fin n’est pas écrite.

Guillaume Roubaud-Quashie
membre du CEN


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