Dans son dernier rapport, Oxfam montre que, plutôt qu’investir dans la transition énergétique et augmenter les salaires à hauteur de l’inflation, les grandes entreprises préfèrent verser des dividendes à leurs actionnaires.
Oxfam publie ce lundi 26 juin le second volet de son rapport sur les grandes entreprises françaises. Si le premier, paru en avril, montrait que les inégalités se creusaient entre les salariés et leurs patrons – le PDG de Teleperformance gagne 1 500 fois le revenu moyen dans son entreprise –, l’ONG se penche aujourd’hui plus particulièrement sur les actionnaires.
Ce rapport intitulé « L’inflation des dividendes » montre et documente le fait que les richesses créées sont toujours plus captées par le capital. Si, sur dix ans, les salaires dans les 100 plus grandes entreprises françaises ont augmenté de 22 %, les versements à leurs actionnaires ont, eux, bondi de 57 %.
« Le versement de dividendes aux actionnaires a augmenté presque trois fois plus vite que la dépense par salarié, on voit bien qu’il y a un vrai dérèglement dans le partage de la valeur au sein des grandes entreprises en France », pointe Léa Guérin, chargée de plaidoyer sur la régulation des multinationales chez Oxfam et principale autrice du rapport. Le constat est particulièrement cruel en ce contexte d’inflation.
En France, le seul CAC 40 a versé 80,1 milliards d’euros à ses actionnaires sous forme de dividendes et rachats d’actions
Les chiffres sur l’année 2022 donnent le vertige : en France, le seul CAC 40 a versé 80,1 milliards d’euros à ses actionnaires sous forme de dividendes et rachats d’actions. Ce montant est en hausse de 15,5 % par rapport au record établi un an plus tôt.
Le montant des dividendes versés dans le monde s’élève à la somme folle de 1 560 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter les rachats d’actions, qui ont atteint un nouveau record à 1 310 milliards de dollars.
Cette nouvelle manière de rémunérer les actionnaires a été multipliée par trois en France en dix ans. Les actions rachetées sont le plus souvent détruites. La première conséquence de la manœuvre est assez mécanique. Si une entreprise est un gâteau et que les actions en sont les parts, détruire des titres ne change pas la taille du plat, mais chaque part devient plus grosse.
Voir aussi :Bénéfices inédits du CAC 40 : à quoi ça sert ?
Conséquences : comme les dividendes sont distribués par action, leur montant augmente, de même que la valeur du patrimoine financier de l’actionnaire, sans qu’il n’ait rien eu à faire.
« Dans l’idéologie libérale, le dividende rémunère le risque pris par les actionnaires et permet de faire circuler l’argent, d’être réinvesti, explique Léa Guérin. Sauf que je ne vois pas où est le risque puisque les dividendes augmentent chaque année, soutenus par des aides publiques versées sans contreparties, et que les rachats d’actions ne font pas circuler l’argent, c’est même tout le contraire. »
Chez Total, entre 2018 et 2021, 24 % des versements aux actionnaires ont été faits sous forme de rachats d’actions. Et le groupe réclame pourtant des aides à l’État pour investir dans la transition écologique…
Au détriment des investissements
En lissant les chiffres des 100 plus grands groupes français sur dix ans, le rapport montre une vraie tendance : ces entreprises ont versé en moyenne 71 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires. Cinq d’entre elles ont même distribué des dividendes alors qu’elles ont perdu de l’argent sur la période.
Oxfam a calculé qu’en 2019, 45 % des dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires par les grands groupes français auraient suffi à couvrir leurs besoins en investissement dans la transition écologique cette année-là
« Engie a accumulé plus de 784 millions d’euros de pertes entre 2011 et 2021, elle a pourtant décidé de verser à ses actionnaires 23,6 milliards d’euros sur la même période ; autant de capacité à investir en moins pour l’entreprise, à un moment où elle en a plus que jamais besoin pour accompagner sa transition énergétique », regrette Léa Guérin.
Encore plus choquant, Oxfam a calculé qu’en 2019, 45 % des dividendes et rachats d’actions versés aux actionnaires par les grands groupes français auraient suffi à couvrir leurs besoins en investissement dans la transition écologique cette année-là. « Ces entreprises ne peuvent pas nous dire qu’elles n’ont pas l’argent pour investir dans le bas carbone, c’est bien plutôt une histoire de choix », insiste la chargée de plaidoyer.
Qui sont les actionnaires ?
Oxfam s’est plongé dans les données de l’Autorité des marchés financiers pour casser de nouvelles idées reçues. « J’ai été moi-même surprise de voir que seuls 6,7 % des Français détiennent des actions, reconnaît Léa Guérin. L’idée que la Bourse est pleine de petits porteurs n’est qu’un mythe. »
Car non seulement, en volume, ces petits actionnaires individuels ne pèsent quasiment rien, mais en plus, leur profil sociologique est clair : ce sont des hommes très aisés de plus de 55 ans. Bien au contraire, les premiers actionnaires des grands groupes français sont des grandes familles.
Cinq d’entre elles (Arnault, Hermès, Bettencourt-Meyers, Pinault et Del Vecchio) possèdent à elles seules 18 % du CAC 40 ! Bien loin encore du mythe des entrepreneurs, l’économie française est vraiment affaire d’héritiers. Derrière ces grandes familles, on trouve les investisseurs institutionnels privés, avec en tête BlackRock, qui détient seul 2,1 % des actions du CAC 40.
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