Tous ces privilèges qui restent à abolir, l’analyse

Le 4 août 1789, l’Assemblée constituante votait la fin des privilèges de l’Ancien Régime. Mais pour atteindre l’idéal révolutionnaire d’une société égalitaire, il en reste encore quelques-uns à faire tomber. Liste non exhaustive des bénéfices et passe-droits des plus aisés.

Photo Eric TSCHAEN/REA

Photo Eric TSCHAEN/REA

À l’hôtel des Menus-Plaisirs de Versailles, la nuit du 4 août 1789 est agitée. Dans un de ces moments d’effervescence que seules les révolutions savent offrir, l’Assemblée constituante vote la fin des privilèges féodaux. La fougue politique du club des Bretons, futurs Jacobins, emporte avec elle les fondements de l’Ancien Régime. Pourtant, 234 ans plus tard, les fractures perdurent. C’est qu’un ordre inégalitaire, capitaliste et bourgeois, en a remplacé un autre. Il reste des privilèges à précipiter au tombeau. « L’Humanité magazine » vous en fait l’inventaire (non exhaustif).

L’héritage, le nerf de la guerre

Dans plusieurs de leurs travaux, les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont montré combien la transmission d’un patrimoine, financier ou matériel, était cruciale dans la perpétuation des dynasties fortunées. Depuis une trentaine d’années, l’héritage a tendance à s’accroître au point de devenir la première cause d’inégalité en France. Le système actuel de taxation, progressif, n’est pas exempt de critiques, en raison notamment de ses nombreux dispositifs d’exonération et d’exemption. Le 0,1 % des plus riches hérite en moyenne de 13 millions d’euros par tête… soit 180 fois l’héritage médian de l’ensemble des Français. Un chiffre colossal qui offre à cette petite caste de sérieux atouts pour commencer dans la vie et accéder à tous les autres privilèges, comme la multipropriété. De l’autre côté, 40 % des héritages versés sont inférieurs à 8 000 euros, 67 % inférieurs à 30 000 euros. À gauche, l’idée d’une réforme de l’héritage revient sur la table. Pendant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon (FI) proposait par exemple de taxer à 100 % le patrimoine légué au-delà de 12 millions d’euros. Ce qui laisse déjà aux ultrariches de quoi bien remplir leur bas de laine…

La rente immobilière, martingale des nantis

À peine 3,5 % de nantis possèdent 50 % des habitations en location. Sans surprise, ce ne sont pas les plus pauvres. Le revenu médian des propriétaires-bailleurs est deux fois plus important que celui du reste de la population. Un tiers d’entre eux fait même partie des 10 % des Français les plus aisés. Et cela ne va pas en s’arrangeant puisque le bénéfice net qu’ils en tirent a triplé en trente ans. Les loyers ont augmenté de 30 % sur la même période – inflation comprise. Conséquence, tous les locataires s’appauvrissent, puisque les salaires n’ont évidemment pas suivi ce rythme. Si payer un loyer nous semble désormais naturel, celui-ci constitue une sorte d’impôt déguisé des plus aisés sur ceux qui ne peuvent accéder à la propriété. Ce privilège, qui a survécu à l’abolition de la rente foncière perpétuelle en 1789, reste à abolir.

Polluer la planète, un privilège carboné

Partout, des pelouses publiques jaunies sous l’effet des fortes chaleurs, et ici ou là des terrains de golf verdoyants. Ce sport prisé par les classes huppées, extrêmement gourmand en eau à l’heure des restrictions, est devenu le symbole d’un funeste privilège réservé aux ultrariches : le droit de polluer et de surconsommer. Chaque année, les 125 milliardaires les plus riches du globe polluent à eux seuls autant que la population française dans son ensemble (400 millions de tonnes équivalent CO2). Les classes aisées ont un autre avantage : elles sont mobiles. Nos privilégiés peuvent se soustraire plus facilement à des lois contraignantes en matière d’environnement ou se construire une maison climatisée avec piscine, histoire de vivre une fin du monde tout confort…

Icon QuoteChaque année, les 125 milliardaires les plus riches du globe polluent à eux seuls autant que la population française dans son ensemble. »

Toujours plus pour les grands patrons

Alors que l’inflation atteint des sommets, les seuls revenus qui gonflent sont bien ceux des grands patrons du CAC 40. Rien qu’entre 2019 et 2021, ils ont vu leur rémunération exploser de 52 % selon le cabinet Proxinvest. « Entre 2011 et 2021, les 100 plus grosses entreprises françaises ont augmenté la rémunération de leur PDG de 66 %, tandis que celle des salariés n’a augmenté que de 21 % », pointe Oxfam dans un rapport. Sur la même période, la hausse du Smic n’a été que de 14 %. « L’écart de rémunération moyen entre le PDG et le salaire moyen » dans ces entreprises « est passé de 64 à 97 ». Sur le podium de l’indécence, on retrouve sur la première marche le PDG de Téléperformance, Daniel Julien, qui gagne 1484 fois plus que le salarié moyen de l’entreprise et, en deuxième, Carlos Tavares, PDG de Stellantis. « Avec ses 66 millions d’euros de salaire, il a gagné en 2021 en trois heures vingt-deux l’équivalent du salaire annuel moyen de son entreprise ». À quand des salaires plafonnés ?

Une fiscalité au bonheur des ultrariches

L’inégalité devant l’impôt atteint des sommets que le pouvoir actuel n’a pas contribué à aplanir. Emmanuel Macron a multiplié les cadeaux fiscaux aux plus riches – transformation de l’ISF en IFI (impôt sur la fortune immobilière), création d’un prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital, etc. –, alors même que notre système fiscal se caractérisait déjà par son manque de progressivité. Le résultat est détonnant, jusqu’à permettre aux nantis de se soustraire à la solidarité nationale. « Les milliardaires français ne paient presque plus d’impôt sur le revenu, affirme l’économiste Gabriel Zucman. Si vous regardez les 370 ménages aux revenus les plus élevés, donc le 0,001 %, leur taux effectif d’impôt sur le revenu est de l’ordre de 2 %. »

La propriété privée, cet outil d’hégémonie

C’est la mère de toutes les batailles, mais probablement la plus délicate aussi. Remettre en cause la propriété privée des moyens de production revient à s’attaquer au fondement du capitalisme, comme l’écrivait Karl Marx : « C’est toujours dans le rapport immédiat entre le propriétaire des moyens de production et le producteur direct qu’il faut rechercher le secret le plus profond, le fondement caché de tout l’édifice social. » La Révolution française a mis à bas l’Ancien Régime, mais elle n’a pas signé la mort de la propriété privée : l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 l’érige même en « droit inviolable et sacré », tout en limitant son exercice au cas de « nécessité publique ». Néanmoins, on imagine que les révolutionnaires de 1789 se montreraient plus que critiques à l’endroit du CAC 40 ! Plus de 20 % sont détenus par de grandes familles (les Arnault, Pinault, etc.).


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