Précédemment :
• L’inclusion contraire à l’idéal universaliste de la République et l’école inclusive responsable de la faillite de l’Éducation nationale ?
• La majorité des professeurs adhère à l’idée d’une école inclusive mais se sent mal à l’aise et même en difficulté sérieuse dans sa mise en œuvre.
Réformer discrètement l’école inclusive au sein d’une loi de finances promulguée par le biais d’un 49.3, telle est la voie ?
Le président de la République a décidé de procéder à une réforme systémique de l’école inclusive lors de la Conférence nationale du handicap du 23 avril 2023, notamment en instituant une nouvelle organisation en réseau des établissements scolaires. Celle-ci serait dénommée PAS (pour « pôles d’appui à la scolarité ») et se substituerait à la précédente qui fut créée par loi de juillet 2019 avec les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). Au-delà de la poésie administrative des sigles chère à nos politiques qui les accumulent sans jamais se lasser, ce projet de PAS s’est subrepticement concrétisé lors de la publication du projet de loi de finances pour 2024, dans sa partie consacrée aux dépenses. Il fait l’objet d’un article devenu aujourd’hui célèbre : l’article 53.
Il a surgi de manière subreptice, car il semble avoir été conçu sans concertation consistante avec les associations du domaine du handicap ni avec les organisations représentatives des personnels chargés de le mettre en œuvre. On nous dit que son insertion dans le projet de loi de finances est motivée par le besoin de financer ce dispositif (ce qui n’avait pas été fait pour les PIAL) et d’avancer rapidement pour une mise en œuvre sur trois ans à partir de la rentrée scolaire de septembre 2024. Soit ! Mais le contexte législatif actuel est pour le moins scabreux. S’il est vrai que la mise en place législative des AESH s’est aussi réalisée avec la loi de finances votée en décembre 2013 afin de budgéter leurs emplois, cette année, l’adoption du projet de loi de finances ne va pas de soi dans le processus parlementaire : elle sera adoptée sans véritable discussion dans le cadre de la procédure dite du 49.3. Or l’article 53 ne consiste pas seulement comme en 2013 à créer la dénomination légale des AESH et de budgéter leur emploi. Avec la création du PAS qui se substitue au PIAL, il s’agit bien d’une réorganisation du réseau des établissements scolaires et de la procédure de gestion de la scolarité inclusive des élèves à besoins éducatifs particuliers. Et cette réorganisation implique non seulement une réforme du Code de l’éducation, mais aussi une manière discutable de doubler l’institution créée par la loi handicap du 11 février 2005, la CDAPH, et ce faisant, on met fin au principe fondamental de guichet unique de la MDPH. De là à voir dans cet article 53 un « cavalier législatif » douteux, il n’y a pas loin. Le cas échéant, le Conseil constitutionnel tranchera. En tout cas, répondant aux protestations de la quasi-totalité des associations du secteur du handicap, les oppositions de gauche et de droite ont rejeté cet article 53 lors de son examen par la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Mais le gouvernement ne s’en est pas ému plus que cela et a maintenu l’article dans le texte soumis à la procédure du 49.3. Seule une motion de censure votée par la majorité des parlementaires aurait pu empêcher la promulgation de la loi et donc de cet article. À moins que ce fameux article 53 finisse invalidé par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif.
Mais au-delà de la procédure législative contestable, pourquoi ce PAS connaît-il une opposition des associations concernées ? Dans l’idée, il s’agit de créer un dispositif de mise en œuvre d’interventions sans attendre une notification CDAPH. Les PAS seraient dotés de la compétence de « définir, pour les écoles et établissements scolaires de l’enseignement public et de l’enseignement privé sous contrat de leur ressort, les mesures d’accessibilité destinées à favoriser la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers ». Ils seraient donc chargés de définir et de mettre en œuvre ce que l’on appelle les « réponses de premier niveau », pédagogiques, humaines et matérielles. Dans le cadre de conventions, ils pourraient aussi passer commande de l’intervention de professionnels des établissements et services médicosociaux. Les PAS pourraient « être saisis par les représentants légaux des élèves à besoins particuliers, ou, en lien avec les familles, par les personnels des écoles et établissements de leur ressort ». Selon le projet de texte, ils « apportent également leur appui aux personnels des écoles et établissements de leur ressort en matière de ressources et pratiques pédagogiques, ainsi que de formation ». Si la CDAPH saisie par les parents notifie une aide humaine de type AESH, c’est le PAS qui « en détermine les modalités de mise en œuvre et organise son exécution ». Si l’aide notifiée par la CDAPH est individuelle, c’est le PAS qui « définit la quotité horaire de cet accompagnement ». Si les parents contestent la décision du PAS en la matière parce qu’elle contrevient « manifestement » à la décision de la CDAPH, alors ils peuvent saisir une nouvelle commission créée par le même article « associant, dans le département, des personnels de santé et des personnels éducatifs ». Cette commission aura le dernier mot.
L’exposé des motifs qui accompagne le projet d’article indique que les PAS créés seraient dotés chacun d’un enseignant « à temps plein, ayant des compétences renforcées sur la scolarisation des élèves à besoins particuliers ». Une feuille de route envoyée par le ministre aux recteurs apporte en outre des précisions pour la première année de mise en œuvre : les premiers PAS (au nombre de 100 selon l’exposé des motifs du projet d’article) seront déployés dès septembre 2024 dans trois départements préfigurateurs. Une première hypothèse de « rationalisation » des PIAL qui deviendraient des PAS envisage que chacun suivrait la scolarisation de 150 élèves en situation de handicap et 30 à 40 AESH.
Quels écueils ont-ils été perçus par les experts concernés (comme par exemple, ceux du collectif Handicaps (53 associations), ou par le cabinet d’avocats spécialiste ACCENS, ou encore le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), et bien d’autres, la liste est longue) ? Au-delà de la manière scabreuse dont cette réforme a été lancée, quelques éléments apparaissent d’ores et déjà très contestés.
D’abord, l’article semble bien flou sur la cible du PAS. Il commence par évoquer les « élèves à besoins éducatifs particuliers [1]», puis il se concentre sur les élèves en situation de handicap, comme si le terme d’élèves à besoins éducatifs particuliers était un synonyme « politiquement correct » d’élèves handicapés. Ce qui est loin d’être le cas. L’école inclusive concerne tous les élèves sans distinction qui présentent à un moment donné de leur cursus et à plus ou moins long terme des besoins éducatifs particuliers. Les élèves en situation de handicap en constituent une partie, bénéficiant d’un PPS défini et délivré par la CDAPH. Mais ils sont minoritaires en nombre dans le contingent des élèves présentant des besoins éducatifs particuliers. Parmi eux, on connaît aussi tous les élèves qui présentent des troubles spécifiques du langage et des apprentissages dont l’expression dûment identifiée ne nécessite pas la mobilisation de moyens de compensation selon la CDAPH : ce sont tous les élèves « dys » sans PPS, mais qui peuvent bénéficier d’un PAP. Il y a aussi, et ils sont très nombreux depuis une dizaine d’années, tous les élèves allophones nouvellement arrivés. Ou encore les élèves issus de familles itinérantes ou de voyageurs, les élèves ayant connu des difficultés graves et durables orientés dans les enseignements généraux et professionnels adaptés, les jeunes scolarisés en centre éducatif fermé, voire ceux des élèves à haut potentiel intellectuel qui ne s’adaptent pas à la scolarité usuelle. On peut aussi ajouter tous les élèves présentant un problème de santé important à court terme, ou sur une période prolongée, ou de manière itérative. Et dans le PAS, pour gérer la réponse à tous ces élèves, avec leur diversité et leur nombre, négocier avec les établissements scolaires publics et privés, soutenir les professeurs des 1er et 2d degrés, élaborer et suivre les services des AESH, conseiller les équipes de direction, informer et écouter les parents, organiser le partenariat avec les services médicosociaux et la CDAPH, le ministère ne prévoit qu’un seul enseignant aux « compétences renforcées ». Ceux qui connaissent les réalités du terrain ne peuvent qu’être abasourdis par une telle vue de l’esprit. On comptera les volontaires pour candidater sur ce poste stratégique.
Autre écueil qui stupéfie les experts de terrain, l’usine à gaz que constitue la concurrence-coopération entre le PAS, les services médicosociaux, la CDAPH, et la nouvelle commission départementale mixte. Les parents des élèves handicapés y perdront leur latin avec deux types de notifications et deux interlocuteurs institutionnels. Et de leur côté, les professionnels des PAS et ceux du médicosocial auront à gérer une subtile articulation entre les compétences du PAS et celles de la MDPH. Tout cela ne pourra que générer des confusions et des tensions délétères sur le terrain, avec des questions de champs de compétences partagés ou concurrentiels entre le PAS et la CDAPH sans que les clés d’interprétation soient claires pour l’ensemble des acteurs. Qui aura le premier et le dernier mot, dans quel cas, sur quel sujet et dans quelle temporalité ? Comment ne pas redouter un risque de perturbation du cursus pédagogique au détriment de tout le monde, et notamment des enfants ?
Enfin, comment ne pas voir dans ce projet la prise en main de manière unilatérale des besoins d’aide humaine et de la gestion des AESH en retirant à la CDAPH la compétence de définir la quotité de cette aide ? Certains ont protesté avec le PIAL. Ils n’ont encore rien vu avec le PAS. Et malgré ce projet de réforme, la question de la place devenue prépondérante, voire exclusive, des AESH dans l’école inclusive n’est toujours pas analysée et repositionnée. Au contraire : elle devient plus aiguë.
En conclusion, on ne peut que constater une fois de plus qu’à partir d’une idée potentiellement intéressante, en l’occurrence la réforme des PIAL et la mise en place d’une réponse pédagogique de premier niveau, un projet gouvernemental devient un monstre administratif et un objet politique qui ne satisfait guère les acteurs concernés. Derrière tout cela – et l’adoption par 49.3 le souligne cruellement – c’est la défiance de l’exécutif à l’égard d’une vraie démarche démocratique qui est encore à l’œuvre. L’obsession des freins budgétaires et le temps politicien à court terme conduisent les responsables à exclure une co-construction effective des politiques éducatives, patiemment élaborées avec les acteurs concernés, les citoyens et les parlementaires, au terme d’un processus de concertations dialectiques assumé (et pas simplement de consultations à sens unique et purement formelles). Le projet d’école inclusive peut et doit être profondément démocratique aussi bien qu’éthique et républicain. Encore faut-il vraiment le vouloir et s’en donner les moyens, avec patience et humilité. Sale temps pour l’école inclusive !
Dominique Momiron
Article 53 du projet de loi de finances 2024
Communiqué du collectifs Handicaps sur l’article 53
- Le PAP du PLF 2014 les définit ainsi : « Les élèves en situation de handicap, avec des troubles de la santé ou malades, avec des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, à haut potentiel, en situation familiale ou sociale difficile, nouvellement arrivés en France, les enfants du voyage ou les jeunes scolarisés en centre éducatif fermé » (PAP Enseignement scolaire 2014, action 06, p. 139). ↑
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