Depuis son appel, le secrétaire national du PCF reçoit les fiches de paie de travailleurs de tout le pays, qui témoignent des trappes à bas salaire. Il souhaite avec cette opération relancer le débat sur le pouvoir d’achat, angle mort de la Macronie.
Le gouvernement se moque des priorités des Français, tout occupé à son remaniement. Mais la gauche, elle, sait déjà quel cap devrait guider son action : la progression du pouvoir d’achat. Depuis mardi, des salariés et des retraités envoient massivement leur fiche de paie au PCF dans le cadre d’une « opération vérité sur les salaires », lancée par Fabien Roussel sur le plateau de TF1.
« Ça tombe de partout ! » apprécie le secrétaire national du PCF, qui a invité les citoyens à lui envoyer leur fiche de paie anonymisée 1. Il souhaite les déposer le 3 février à Matignon « pour montrer au premier ministre la réalité des salaires dans notre pays, car nous avons un gouvernement hors sol ». Il entend aussi faire participer à la délégation des personnes lui ayant envoyé leur feuille de rémunération.
Les fiches de paie envoyées montrent d’ores et déjà que l’ancienneté des travailleurs n’est que peu prise en compte. Et que les salaires décrochent depuis des années devant l’inflation. Ainsi, un employé d’une grande enseigne de la distribution a entouré au feutre sa date d’embauche sur sa fiche de paie et écrit en lettres capitales : « 35 ans d’ancienneté ». Une vie de travail pour un net à payer mensuel de 1 431,05 euros. Réceptionniste dans un hôtel de Paris, ville la plus chère de France, Jean 2 a sept années d’expérience, dont trois dans la même entreprise. Il finit le mois avec 1 493 euros.
Des grilles figées depuis 30 ans
Un chauffeur de taxi participant à l’opération touche 1 419 euros nets (dont 31 euros pour cinq ans d’ancienneté). Armanda, éducatrice, ne touche que 1 454 euros mensuels avec douze ans de boutique. Elle précise : « Nos grilles salariales n’ont pas bougé depuis trente ans. » Mère isolée, elle ajoute toucher en plus une prime d’activité de 329 euros et des aides au logement (APL) de 150 euros, ajoutant : « Prime qui n’est pas un salaire mais une prestation sociale », sur laquelle elle ne cotise pas.
Je suis à 46 heures par semaine. Il est temps que l’on soit reconnues comme professionnelles de la petite enfance »
Une asssistante maternelle
Une assistante maternelle envoie ses trois bulletins de salaire pour le mois de décembre, 152 euros pour l’un, 277 pour le deuxième et 186 euros pour le troisième. « Je suis à 46 heures par semaine. Il est temps que l’on soit reconnues comme professionnelles de la petite enfance », déplore-t-elle.
Les temps partiels sont une calamité. Une assistante administrative, vingt-cinq ans d’ancienneté, à temps partiel, voit sa rémunération bloquée à 1 067 euros net. Conductrice de bus, Marion fait « 48 kilomètres par jour pour (se) rendre à (son) car » et fait donc le plein d’essence pour travailler. Elle « commence à 7 heures du matin, cinq jours par semaine ». À temps partiel, elle ne touche en net que 687 euros mensuels pour 74 heures par mois. Elle se décrit comme un « exemple frappant que les Français, surtout pour les métiers dits « en tension », ne sont pas suffisamment rémunérés ». Comme son conjoint travaille, bien qu’elle gagne « à peine plus que le RSA », elle « n’a pas le droit à la prime d’activité ».
Des taux horaires inférieurs au salaire minimum
Quand les salaires sont bas, les primes compensent parfois. Joël, aide-soignant, a obtenu son premier poste. « Ce qui est alarmant, c’est que si vous regardez les taux horaires sur 2022, ils sont en dessous du Smic national », alerte-t-il. Son taux horaire est en effet inférieur au salaire minimum. Il touche un « complément de salaire Smic » de 6,92 euros pour compenser le minimum de branche trop bas. « Nous sommes infra-Smic », résume-t-il. « Nous gagnons plus car il y a les primes, dont le Segur ». Primes comprises, il peut compter sur 1 563 euros à la fin du mois.
La réalité que connaît Joël est fort répandue. Sous pression des syndicats, le gouvernement a mis en place une conférence sociale sur les bas salaires, en octobre dernier. Fin novembre, dans 34 des 171 branches professionnelles les minimas étaient inférieurs au Smic. Un nombre amené à grandir avec l’insuffisante hausse du Smic d’1,13% au 1er janvier 2024. La politique du laisser-faire a fait d’énormes dégâts. Si l’exécutif vante une baisse du chômage, le bilan des mandats d’Emmanuel Macron est celui d’une généralisation des bas salaires. En ce début d’année, 17,3 % des salariés sont au Smic au premier janvier (soit un record de 3,1 millions de salariés du secteur privé non agricole), contre 12 % début 2021.
L’inflation est dans toute les têtes. Dominique a fait ses calculs. « J’ai été embauché en 1988 au Smic qui était à 4,40 euros. En 2023, j’ai été payé 24,40 euros de l’heure, toujours en brut », décrit-il avec humour : « Hourra ! j’ai multiplié mon salaire par cinq. Super… euh, non ! » Le kilo de bœuf était en 1988 de 8,08 euros. « En clair, je travaillais deux heures le matin puis je pouvais m’enfiler une entrecôte. » Avec un kilo de bœuf à 46,36 euros aujourd’hui, « il me faut toujours deux heures de travail » pour manger l’entrecôte, malgré un salaire multiplié par cinq. Et il souligne que le Smic étant désormais de 11,52 euros bruts de l’heure, il faut « quatre heures de travail aux smicards d’aujourd’hui » pour pouvoir payer l’entrecôte.
À Matignon, la délégation souhaite donc apporter des propositions concrètes. « Je veux montrer qu’augmenter les salaires est vertueux pour la France et son économie. Une France de salaires bas est une petite France. Jusqu’où pourrait aller la politique du travail à bas coût ? » prévient Fabien Roussel. Après six mois de débats sur la loi immigration, il entend réinscrire la question sociale au cœur du débat politique. L’inflation cumulée est de plus de 12 % sur ces deux dernières années, avec des pointes de 16 % pour les fruits et légumes. Mais face à cela, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, se satisfait de hausses de rémunérations inférieures à 5 % l’an passé…
Il invite aussi à la fin des « exonérations aveugles des cotisations sociales jusqu’à 1,6 Smic. Le gouvernement exonère des entreprises qui délocalisent. Il exonère des entreprises qui versent des dividendes aux actionnaires : autant qu’il fasse directement un chèque aux actionnaires ». À la place, il suggère une modulation des cotisations en fonction des politiques des entreprises : respect des compétences et de l’ancienneté, formation, relocalisation, recul de la précarité, normes environnementales, etc.
Quant aux revenus du capital, « ils n’ont jamais ils n’ont été aussi élevés ». Quand Gabriel Attal est entré au gouvernement en 2018, entre versements de dividendes et rachats de titres, les entreprises ont versé 51 milliards d’euros aux actionnaires. En 2023, le jackpot a été de 97 milliards d’euros. « Gabriel Attal porte le bilan de tous les gouvernements Macron : une meilleure rémunération du capital, au détriment de celle du travail », résume Fabien Roussel. Pour répondre aux préoccupations des Français, il faut plus qu’un remaniement gouvernemental aux allures de jeu de chaises musicales entre Renaissance et Les Républicains : l’abandon de la politique du ruissellement.
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