Le 31 mars, a pris fin la trêve hivernale ; 140 000 familles sont menacées de perdre leur logement. Les associations et les élus communistes demandent des mesures de protection pour les locataires et les plus démunis.
Face à la crise du marché de l’immobilier et aux prochains JO qui accentuent la pression sur les locataires, il faut instaurer une trêve olympique.
Ian Brossat, Sénateur PCF de Paris
En France, le spectre de la pauvreté frappe avec une intensité déconcertante, révélant ses multiples visages, parmi lesquels la privation de logement demeure l’une des expressions les plus criantes. À ce titre, la fin de la trêve hivernale sonnera le début d’une période redoutée, durant laquelle les forces de l’ordre pourront à nouveau procéder à l’expulsion des locataires en défaut.
La France a pourtant connu, l’an dernier, un triste record de ménages expulsés qui s’est ajouté aux 330 000 personnes sans domicile fixe et aux 2,6 millions de demandeurs de logement social. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques ; ils incarnent des vies bouleversées, des enfants déscolarisés et des familles brisées. En outre, la donne a changé. Désormais, la crise du logement ne se limite pas à un défi pour les plus démunis, elle interpelle l’ensemble des Français.
L’afflux touristique croissant, couplé à la perspective des jeux Olympiques, engendre une pression inédite sur le marché immobilier, particulièrement dans les zones les plus touristiques. Des propriétaires séduits par la promesse de revenus élevés via des plateformes de location de courte durée telles qu’Airbnb n’hésitent pas à déloger leurs locataires, exacerbant ainsi la précarité résidentielle. Face à ces constats alarmants, je crois que nous avons besoin d’envoyer un signal et je plaide pour l’adoption de mesures résolues. Les mises à la rue ne sont pas inéluctables.
Dès lors, cette année 2024 doit constituer une prise de conscience. Quelle qu’en soit la cause, l’expulsion constitue une rupture tragique pour ceux qui la subissent, souvent marquée par des années de précarité prolongée. Il est essentiel que la puissance publique fasse preuve de compassion et de solidarité envers les plus vulnérables. D’abord, car l’explosion de la pauvreté, du précariat et des inégalités laisse craindre un effet « bombe à retardement » des impayés et des expulsions locatives. Ensuite, parce que le désengagement de l’État annoncé sur le plateau de TF1 par Gabriel Attal a de quoi effacer toute forme d’optimisme.
Dans cette optique, je demande au gouvernement de se saisir ma proposition de loi qui propose l’instauration d’une « trêve olympique » des expulsions locatives sur le modèle du dispositif mis en place en 2020. Celle-ci vise notamment à répondre à l’augmentation du nombre de congés, pour reprise et pour vente, signalée aux agences départementales d’information sur le logement dans les grandes métropoles et à prévenir les abus de bailleurs qui exploiteraient opportunément ces festivités pour s’enrichir au détriment des locataires résidant à l’année.
Face à cela, le moratoire des expulsions locatives pour 2024 est une mesure pragmatique et urgente. Il vise à protéger les locataires de bonne foi, tout en envoyant un signal clair contre les abus immobiliers. Cette initiative doit s’accompagner d’un renforcement de notre législation contre les pratiques immobilières abusives et garantir un accès équitable au logement pour tous.
Une politique pérenne de prévention des expulsions est nécessaire. Elle passe par la remise en cause de la loi du 27 juillet 2023 qui les facilite.
Marie Rothhahn, Responsable de la lutte contre la privation des droits sociaux à la Fondation Abbé-Pierre
La trêve hivernale protège les locataires du 1er novembre au 31 mars. Durant ces cinq mois, ils ne peuvent pas se faire expulser par les forces de l’ordre, même si une décision de justice a prononcé leur expulsion ; les procédures peuvent cependant se poursuivre. Les exceptions à cette trêve, comme les logements étudiants, ne cessent cependant de s’étendre.
Une proposition de loi récente suggère d’ailleurs cette année de prolonger la trêve hivernale en raison des JO, au vu du risque que tous les services, dont l’hébergement, soient engorgés. Cependant, plus qu’un prolongement ponctuel, c’est d’une réelle politique de prévention des expulsions pérenne dont nous avons besoin, pour accompagner les 140 000 ménages risquant de perdre annuellement leur logement.
Malheureusement, la crise du logement a continué à s’amplifier, pour atteindre une déconnexion totale entre, d’une part, les logements produits et disponibles, les montants de loyers et de charges, d’autre part, les besoins des ménages. La chaîne est totalement grippée, avec 2,6 millions de personnes en attente d’un logement social, un secteur de l’hébergement totalement saturé et plus de 330 000 ménages sans domicile.
Dans ce sombre contexte, la loi votée le 27 juillet 2023, « visant à protéger les logements contre les occupations illicites », a non seulement pénalisé plus fortement les ménages n’ayant d’autre choix que de « squatter » des bâtis souvent sans utilité, mais a aussi marqué une régression sans précédent en matière de prévention des expulsions locatives, qui fait craindre une hausse exponentielle de ménages expulsés ces prochains mois et années.
De surcroît, les débats médiatiques et politiques qui l’ont entourée ont donné l’impression d’un monde manichéen, avec d’une part uniquement des petits propriétaires en difficulté, d’autre part des locataires majoritairement de « mauvaise foi », très stigmatisés. Or, les chiffres démontrent bien que ce n’est pas la réalité.
La grande majorité des impayés sont liés à des évolutions de la situation des ménages ou à des ressources faibles (étude Prévention des impayés et des expulsions locatives, Anil, 2022). Chaque partie a intérêt à trouver une solution acceptable, qui n’est pas l’expulsion. Même pour l’État, l’expulsion a un coût bien plus important que de renforcer la prévention.
Ces expulsions ne sont pas une simple étape du parcours des personnes, elles ont des conséquences dramatiques et durables. Il est donc essentiel de rappeler qu’il ne devrait y avoir que deux solutions acceptables pour ces personnes majoritairement marquées par un « accident de la vie » : leur permettre de se maintenir dans les lieux, en mobilisant les aides nécessaires, ou leur proposer un logement adapté à leurs ressources. Une société, qui plus est la sixième puissance économique mondiale, qui n’est pas en mesure d’offrir cette protection aux personnes les plus précaires, est-elle digne ?
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.