Emmanuel Casajus, sociologue : « Nous assistons à une libération de la parole raciste »

Les succès électoraux du RN s’accompagnent d’une hausse importante des actes racistes. Selon le sociologue Emmanuel Casajus, ce discours radical décomplexé est le résultat d’une stratégie culturelle et de puissants relais médiatiques.

 

Insultes, menaces, agressions : la campagne des législatives, après la victoire du Rassemblement national (RN) aux européennes, a été marquée par une multiplication des actes racistes et homophobes. Le sociologue Emmanuel Casajus, auteur notamment de Style et violence dans l’extrême droite radicale (éditions du Cerf, 2023), lie cette question à celle du travail mené par l’extrême droite dans le but d’établir son hégémonie culturelle.

Plus de 10 millions de personnes ont voté pour le RN lors des législatives. Considérez-vous que le racisme est le principal déterminant de ce vote ?

Le racisme joue, avec les questions d’immigration et de sécurité. Mais il y a aussi l’idée que le RN est un parti social, un parti des « petits contre les gros ». Cela compte beaucoup. Sans cette image sociale que le RN a réussi à se construire – déjà à l’époque du FN de Florian Philippot –, le simple discours raciste, sur l’immigration et la sécurité ne suffirait pas. La dimension sociale, même si elle n’est pas la vérité de son programme, reste importante.

Vous établissez une distinction entre les discours purement racistes et ceux dénonçant l’immigration. Cette distinction est-elle claire au sein de cet électorat ?

Ce n’est absolument pas clair. Quand on écoute les discours de cet électorat et ceux de l’extrême droite, le lien entre insécurité et immigration est établi en permanence. Mais est-ce que l’on parle des migrants, des exilés, qui sont arrivés dans les années 2010-2015 ? Ou est-ce que l’on parle aussi des descendants de personnes arrivées il y a plusieurs générations ? C’est toujours extrêmement flou.

Que ce soit le RN ou ses électeurs, ils jouent sur ce flou, ne serait-ce que pour se donner bonne conscience. Par moments, ils vont considérer que « le problème, c’est les Arabes ». À d’autres, ils vont avoir un discours plus nuancé. Cela ne semble pas du tout clair dans leur tête. La polémique sur les binationaux illustre cela, car cette situation reflète énormément de situations différentes.

Nous avons assisté à une multiplication des actes racistes, qui peuvent être le fait de simples sympathisants comme de groupes organisés d’extrême droite. Est-ce lié aux succès électoraux ?

Un changement s’est opéré par rapport aux années 2000, où les groupes d’extrême droite avaient un discours très radical mais très peu entendu. Lors d’entretiens que j’ai menés avec des militants identitaires ou de l’Action française, ils faisaient attention à distinguer leur racisme « intellectuel » du racisme primaire de ceux qu’ils appellent des « natio-beaufs ».

Peu à peu, depuis 2017, cette nuance a disparu et cela s’est vu dans les commentaires en ligne où le discours est beaucoup plus direct. En ce qui concerne l’électorat, longtemps cela n’était pas assumé, encore moins les discours racistes. Clairement, nous observons un grand changement dans le rapport des électeurs RN aux médias, avec une libération de la parole raciste.

Peut-on parler de cercle vicieux, avec une montée du RN qui libère la parole raciste, qui à son tour nourrit le vote RN ?

Oui, même s’il est difficile de savoir comment cela a commencé. Il y a eu une réflexion des groupuscules et des intellectuels d’extrême droite, Alain de Benoist ou Jean-Yves Le Gallou par exemple, sur la place que pouvaient prendre la culture et les médias dans leur volonté de conquérir une hégémonie culturelle.

Avec l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, cette réflexion a été suivie d’actes. La suite a été l’apparition de personnes et de vidéastes sur les réseaux sociaux comme Baptiste Marchais ou Papacito, qui ont cherché à rendre « cool » les idées d’extrême droite.

Pour revenir à l’élection, le fait que le récit d’une victoire annoncée du RN ait été déjoué peut-il amener à plus de radicalité, ou au contraire à un découragement dans l’électorat d’extrême droite ?

Il peut à la fois y avoir du découragement : lors de plusieurs élections récentes, les électeurs du RN ont pu avoir le sentiment que la victoire était à portée de main, et à chaque fois elle s’est dérobée. Mais les électeurs du RN peuvent aussi considérer qu’ils sont à chaque fois plus nombreux et que leur victoire est inéluctable, quand bien même cela prend du temps.

Ce qui joue aussi, c’est l’apparition de faits divers tragiques dans l’actualité et la façon dont ils sont récupérés : il y a un vrai savoir-faire du côté du RN et des médias d’extrême droite. Quant à la radicalisation des groupuscules, il est notable qu’ils se sentent plus légitimes quand ils ont l’impression de faire partie du mouvement du peuple qui est en marche.

Malgré cette défaite relative, l’extrême droite a le vent en poupe sur le sujet de l’hégémonie culturelle, des relais médiatiques. Comment contrer cela ?

Il faut pointer le fait que le discours du RN, qui se veut « anti-puissants » et surfe sur le thème « le système qui est contre nous », est en réalité soutenu par des chaînes privées de milliardaires. Et le RN milite pour ces chaînes d’information privées : il y a une contradiction qui peut le desservir. À terme, son objectif d’hégémonie culturelle lui permet de s’implanter de plus en plus, de s’institutionnaliser, mais il lui fait aussi perdre le côté subversif du vote.


Pour poursuivre le combat contre le RN , j’adhère au PCF


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