Les élections pour les chambres d’agriculture se tiennent du 15 au 31 janvier. Le mode de représentation demeure très critiqué pour son manque de pluralisme et de démocratie, alors que le syndicat FNSEA capte la majorité des financements publics.
À quoi servent les chambres d’agriculture ?
La France dénombre 101 chambres d’agriculture, dont treize au niveau régional et 88 au niveau départemental. Leurs missions consistent notamment à faire de la formation et du conseil agricole, et à coordonner les actions liées à l’installation des jeunes agricultrices et agriculteurs.
Or, les méthodes d’accompagnement aujourd’hui sont inadaptées : plus de la moitié de ceux et celles qui engagent des démarches pour s’installer finissent par abandonner. Les personnes les plus âgées, les plus précaires, les femmes sont celles qui renoncent le plus. Ces renoncements se révèlent catastrophiques, dans un contexte où la moitié des 496 000 agriculteurs et agricultrices auront l’âge de partir à la retraite d’ici dix ans. Ce nouveau scrutin, qui a lieu tous les six ans, va-t-il enfin changer la donne ?
Quel est le budget des chambres d’agriculture ?
Les chambres d’agriculture disposent d’un budget annuel de 800 millions d’euros. Deux tiers de ce budget proviennent des finances publiques – diverses taxes et subventions. Une partie de ce budget, 100 millions d’euros, sert actuellement la représentation des intérêts agricoles auprès des pouvoirs publics, selon un rapport que nous avons pu consulter, et sont principalement captés par la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire.
Premier réseau de conseil agricole, les chambres d’agriculture sont également dotées de 8330 collaboratrices et collaborateurs. Chacune des chambres départementales est en moyenne constituée de 78 salarié
es, et de 112 salarié es pour les chambres régionales.Que cela soit en termes de flux financiers ou de diffusion des idées, ces moyens viennent conforter la FNSEA dans une position de syndicat de services. Or, c’est précisément le motif principal d’adhésion syndicale : 40 % des agriculteurs syndiqués FNSEA/JA (Jeunes agriculteurs) disent l’être pour les informations et les services, contre 23 % pour les autres syndicats.
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Comment fonctionnent les chambres d’agriculture ?
Les chambres d’agriculture départementales sont gouvernées par un ensemble de 33 personnes élues tous les six ans parmi un ensemble de dix collèges censés représenter l’ensemble du secteur agricole. Le collège 1, celui des exploitants agricoles, est le plus important avec dix-huit sièges (soit 54,5 % des sièges). La liste arrivée en tête dans ce collège obtient automatiquement la moitié des sièges à pourvoir, quel que soit le pourcentage de votes qu’elle ait obtenu (soit au moins neuf sièges).
Seuls les paysannes et paysans exploitant
es peuvent voter dans ce collège. Les agricultrices et agriculteurs disposant d’une trop petite superficie agricole ou d’un nombre d’heures de travail insuffisamment élevé aux yeux de la Mutualité sociale agricole (MSA) – on parle de « cotisants solidaires » – n’ont pas le droit de vote lors de ces élections. Ils seraient près de 70 000 en France.BASTA
Les neuf autres collèges se répartissent entre seize et dix-neuf sièges. On distingue le collège des propriétaires fonciers et usufruitiers qui est composé en général de « gros propriétaires », « souvent des gens à particules », issus des listes affiliées FNSEA/JA. Vient ensuite le collège des salarié
es qui représentent 7 actifs sur 10 dans le monde agricole et 38 % des équivalents temps plein. Le collège des ancien nes exploitant es ne dispose que d’un e élu e et est le plus gros collège en termes de nombre de votant es – plus de 1,1 million de votant es aux dernières élections.Le collège 5 est subdivisé en cinq sous collèges : les représentants des Cuma (on compte 10 000 coopératives d’utilisation de matériel agricole en France) ont un siège quand les autres coopératives agricoles – certaines sont des mastodontes à l’instar de InVivo – détiennent trois sièges. Les représentants de la banque Crédit agricole, des assurances et de la MSA se partagent un siège dans chaque chambre. Le sous-collège des organisations syndicales revient systématiquement au syndicat ayant le plus d’adhérent es et d’antennes locales. Pour la Cour des comptes ce sous-collège « ne se justifie pas ».
L’élection pour ces neuf collèges a lieu au scrutin majoritaire à un tour : l’ensemble des sièges sont attribués à la liste qui a recueilli la majorité des suffrages exprimés.
C’est la liste arrivée en tête du collège 1 qui présente, dans les mois qui suivent l’élection, une liste de noms pour la composition du bureau (douze membres) et de la présidence. Le bureau peut choisir jusqu’à huit membres associé
es, non élu es, dont le but est de le conseiller dans ses décisions. Dans la plupart des chambres d’agriculture actuellement dirigées par la FNSEA, celle-ci ne propose aucune ouverture aux autres syndicats pour siéger dans le bureau. De manière générale, la composition de ces bureaux et leurs délibérations ne sont que très rarement rendues publiques.Quels syndicats dirigent actuellement les chambres d’agriculture ?
La FNSEA, alliée au syndicat des JA, préside actuellement 97 chambres sur 101 (voir la carte du résultat des dernières élections en 2019). La Coordination rurale est à la tête de trois chambres – Lot-et-Garonne, Vienne et Haute-Vienne – et la Confédération paysanne préside uniquement celle de Mayotte (en raison du cyclone Chido, les élections à Mayotte devraient être reportées).
L’actuel mode de scrutin offre une prime au syndicat arrivé en tête dans le collège des exploitant
es : la moitié des sièges est d’emblée attribuée à la liste qui arrive première, même si l’écart de voix est minime. L’autre moitié est répartie en fonction du nombre de voix de chaque syndicat.BASTA
Prenons l’exemple de la chambre d’agriculture d’Ardèche : en 2019, la Confédération paysanne a recueilli 37 % des votes (710 voix) contre 48,55 % (934 voix) pour la liste d’union FNSEA/JA. Résultat, dans le collège des exploitant
es, la Confédération paysanne compte trois élus contre quatorze pour la FNSEA/JA grâce à la prime majoritaire de neuf sièges accordée au syndicat arrivé en tête.À l’échelle nationale, la liste d’union FNSEA/˗JA est arrivée en tête du collège des exploitant
es lors des dernières élections, avec 51,89 % des suffrages (110 000 voix), suivie par la Coordination rurale (42 000 voix soit 20,17 %) puis la Confédération paysanne (40 000 voix soit 18,66 %).Ainsi, en ayant obtenu 55 % des voix tous collèges confondus, le syndicat FNSEA allié aux JA contrôle 95 % des chambres d’agriculture ! Malgré leurs 20 % de voix respectives, ni la Coordination rurale, ni la Confédération paysanne ne peuvent être présents au bureau des chambres, ni être associés aux décisions financières ou aux orientations techniques. « Le mode de scrutin limite le pluralisme » confirme un rapport de l’Assemblée nationale publié en 2020.
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Pourquoi ces élections sont-elles une source de financement essentielle des syndicats agricoles ?
Chaque année, une enveloppe du ministère de l’Agriculture d’environ 14 millions d’euros est répartie entre les syndicats agricoles. La clé de répartition de ces financements est revue tous les six ans, en fonction des résultats des élections professionnelles des chambres d’agriculture.
75 % des financements sont alloués en fonction du nombre de voix obtenues par chaque organisation syndicale : plus une organisation a de voix, plus elle obtient des financements. Très concrètement, chaque voix représente en moyenne 50 euros par an pendant 6 ans. Les 25 % restants sont alloués en fonction du nombre de sièges obtenus à l’assemblée des élu
es.Suite aux élections de 2019, la répartition s’est effectuée ainsi : environ 8 millions d’euros par an pour la FNSEA alliée aux JA, 3,1 millions d’euros pour la Coordination rurale, 2,7 millions d’euros pour la Confédération paysanne.
En quoi ces élections déterminent-elles le pouvoir d’influence des syndicats ?
Outre son financement public, plus un syndicat obtient de voix aux élections (au moins 10 % des voix), plus il obtient de sièges dans des commissions décisionnelles au niveau local pour représenter la chambre d’agriculture. C’est le cas notamment des Safer qui ont pour mission de réguler les ventes de biens agricoles mais qui, dans de trop nombreux cas, accordent encore la priorité à l’agrandissement.
Les travaux d’un chercheur sur la chambre d’agriculture de l’Orne montrent un cumul de 195 sièges réservés dans 62 institutions pour les élu es de la FNSEA qui ont gagné les élections. Par ces cumuls de mandats, le syndicat désigné vainqueur ne prend pas uniquement la tête d’une institution départementale, mais de tout un réseau d’influence agricole. Cela lui confère un rôle prescripteur de premier plan sur l’avenir du développement agricole local.
À l’échelle nationale, le ministre de l’Agriculture privilégie les discussions avec le syndicat agricole arrivé en tête, en l’occurrence la FNSEA, ce qui joue un rôle déterminant dans l’orientation des politiques publiques agricoles. Une récente enquête du média Splann montre comment la FNSEA verrouille ainsi tous les leviers de pouvoir de l’agriculture française.
Fait notable : les mandats de président de chambre ouvrent par la suite des postes dans d’autres instances. Ainsi, le poste de vice-présidence à l’agriculture dans les conseils régionaux est fréquemment occupé par un ancien président de chambre.
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À qui est ouvert le scrutin ?
Le scrutin est ouvert aux exploitantes et exploitants agricoles, ainsi qu’aux salariésous réserve de leur inscription sur les listes électorales établies à cette occasion. Il est possible de voter en ligne (sur cette plateforme) ou par voie postale.
es et retraité es du secteur et aux propriétaires fonciers, du 15 au 31 janvier 2025. Cela représente 2,2 millions de personnes,Le taux de participation à ces élections ne cesse de baisser depuis 40 ans. En 2019, il était de seulement 46 % pour le collège des exploitantun système électoral rénové et simplifié ».
es, contre 55 % en 2013 et 70 % en 1983. Tous collèges confondus, le taux de participation était de 28 % en 2019. Cette faible participation interroge la légitimité des élections professionnelles des chambres d’agriculture. Elle inquiète jusqu’au ministère de l’Agriculture qui, constatant un mode de scrutin inadapté, aurait engagé « une réflexion interne sur la définition du corps électoral etUn chiffre indique le complet décalage de ce scrutin avec la réalité du monde agricole : alors que les agricultrices représentent un quart des cheffes d’exploitation, co-exploitantes ou associées, on compte seulement 8 % de femmes présidentes de chambres d’agriculture. Les bureaux restent eux composés à 83 % d’hommes.
La FNSEA peut-elle perdre des chambres au profit d’autres syndicats ?
À la tête de seulement trois chambres d’agriculture sur les 101 que compte le territoire français, la Coordination rurale est présentée par nombre de médias comme le syndicat qui pourrait prendre des voix à la FNSEA. Sa stratégie combinant actions coups de poing, violences contre des cibles écologiques, et omniprésence médiatique, sera-t-elle payante ?
La Confédération paysanne espère pour sa part « créer la surprise », forte d’un nombre d’adhérent. La porte-parole Laurence Marandola estime qu’entre la FNSEA et la Coordination rurale, le modèle défendu reste « fondamentalement très proche » en s’attaquant notamment aux normes sociales et environnementales. Si la Confédération paysanne porte un projet de transition du modèle agricole, un récent rapport du Shift Project montre que plus de 80 % des agriculteur es en augmentation ices sont prêt es à réaliser cette transition. Reste à savoir si ces paysannes et paysans choisiront un bulletin de vote lors des élections professionnelles qui s’ouvrent ce 15 janvier.
BASTA: Serons-nous encore là dans 2 ans ?
Les tendances dans le monde des médias sont alarmantes.
Les visites sur Basta! depuis les réseaux sociaux ont été divisées par 13 en 5 ans. L’IA est en passe de remplacer les articles journalistiques dans les moteurs de recherche. Une poignée de milliardaires empilent les titres de presse comme des petits pains.
Les aides publiques sont trustés par les grands groupes : la presse indépendante en ligne ne perçoit que 2 % de toutes les aides à la presse. Pourtant, des médias indépendants résistent encore et toujours.
Par leur transparence et leurs valeurs, ils redonnent confiance à un public qui se méfie des médias mainstream. Par leur choix de parler d’écologie, de discriminations, de conditions de travail, de violences sexistes et sexuelles, d’initiatives inspirantes, ils renouvellent les perspectives et font bouger les lignes. Pour s’informer en s’affranchissant des plateformes, et faire grandir les médias indépendants, nous lançons un projet fou : une alternative à Google actu.
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