Franck Marsal : les Etats-Unis n’ont pas de « prise »

Aujourd’hui, quel que soit le critère, quel que soit le côté où l’on tourne son regard, on ne trouve rien auquel l’économie états-unienne va pouvoir se raccrocher.. Ce n’est pas que Trump est idiot ou fou, ni totalement incohérent, au contraire il met l’accent sur un vrai problème, celui du déficit récurrent de la balance des paiements courants des Etats-Unis. Il avoisine en ce moment 1200 milliards de dollars, au point que les USA surclassent tous les autres pays en la matière et de loin. En 2023, leur déficit était de 900 milliards quand celui des autres pays déficitaires était de 70 milliards pour le Royaume Uns et 40 milliards pour la Turquie. Chaque année pour assurer son train de vie, en particulier un budget militaire de 900 milliards, l’Amérique emprunte avec frénésie. La dette fédérale représente à elle seule 40% de toute la dette publique mondiale, rapporte tous les ans 230 milliards de dollars d’intérêt à des investisseurs non américains. C’est que la situation des USA est inextricable. L’écart entre la réalité et les prétentions a atteint le seuil critique. Dans ce genre de situation, tout mouvement ne fait qu’aggraver les contradictions. Si Trump n’avait rien fait, le problème de la dette et du déficit commercial US se serait posé à court terme. (note de Danielle Bleitrach)

Apparemment, les USA attendent désespérément un appel de Xi, et les Chinois disent « c’est aux USA de faire le premier pas ». L’argument est imparable, c’est eux qui ont déclenché la crise. La Chine s’est contentée de riposter. Les producteurs chinois auront une partie difficile, mais tout le monde comprend qu’il sera moins difficile pour les producteurs chinois de trouver des clients alternatifs que pour les états-uniens (consommateurs finaux comme entreprises) de trouver des fournisseurs alternatifs.

Le pouvoir financier ne peut pas être durablement au-dessus du pouvoir de produire. C’est la leçon principale de la situation.

Les pays occidentaux ont joué un drôle de jeu. Celui-ci ne pouvait être qu’à durée limitée. Tout indique que nous avons atteint la limite, comme en 2008, nous avions atteint la limite de l’endettement immobilier de ménages insolvables. Les capitalistes n’apprennent pas leurs leçons.

Un exemple : On a baissé le pouvoir d’achat des salariés de l’occident global, en utilisant le fait que les Chinois et le « sud global » pouvait produire à bas prix. Les Shein et Temu sont devenus un moyen de rendre la paupérisation des salariés acceptable. Je parle de Shein et Temu, ce sont évidemment les arbres qui cachent la forêt.

30 à 40 % du chiffre d’affaire d’Amazon serait réalisé par des vendeurs chinois. 80 à 90 % des iphones sont assemblés en Chine, à partir de composants produits en Asie en général et très largement en Chine. 50 à 60 % des voitures Tesla utilisent des batteries produites ou assemblées en Chine.

Les tentatives de diversification se heurtent à une limite : l’infrastructure et la main-d’œuvre qualifiée, la chaîne logistique intégrée et le savoir-faire en production de masse sont difficilement remplaçables, permettant une capacité à monter en cadence rapidement (ex. pour le lancement des nouveaux modèles), et l’effet de cluster : 95% des composants critiques sont produits en Asie, dont une majorité en Chine.

Le dollar et le contrôle du système financier et monétaire mondial ont été un sacré atout entre les mains des USA, mais ils demeurent des éléments de haute superstructure, qui ne peuvent pas durablement être en contradiction avec les réalités de la base productive.

Si les USA maintiennent leurs droits de douane et la guerre commerciale avec la Chine, non seulement ils devront faire face à la riposte de la Chine (notamment sur leur dette publique, que les Chinois – et d’autres – vendent massivement, car personne n’aime les USA au point de se ruiner aussi stupidement) mais ils vont devoir assumer une inflation massive, sans solution. Les droits de douane, ça veut dire que 30 % des produits vendus sur Amazon deviennent subitement beaucoup plus chers, que les iphones deviennent beaucoup plus chers, etc etc.

En choisissant de limiter les droits de douanes vers les pays alliés et de les augmenter en direction de la Chine, Donald Trump a fait un pari impossible. Ce n’est pas que Trump est idiot ou fou. C’est que la situation des USA est inextricable. L’écart entre la réalité et les prétentions a atteint le seuil critique. Dans ce genre de situation, tout mouvement ne fait qu’aggraver les contradictions. Si Trump n’avait rien fait, le problème de la dette et du déficit commercial US se serait posé à court terme. En tentant de résoudre ce problème, il n’a fait que rapprocher l’échéance. Il n’y a pas beaucoup d’autre solution pour rétablir les équilibres que les droits de douanes, mais maintenir les droits de douane généralisés aurait provoqué en quelques jours supplémentaires une catastrophique panique financière. Maintenir la guerre commerciale avec la Chine, c’est enclencher une inflation massive, qui serait problématique non seulement pour la stabilité économique des USA mais aussi pour leur stabilité sociale.

Là-bas comme ailleurs, la solution, c’est la socialisation de l’économie. Mais cette solution est politiquement inacceptable pour la bourgeoisie minoritaire mais dominante.

L’économie de la soi-disant Union européenne n’est pas mieux, avec des contradictions internes qui ne sont pas sans rappeler les contradictions mondiales : au sein de l’Europe aussi, on a largement délocalisé. Au sein de l’Europe aussi, la main d’œuvre qualifiée des anciens pays socialistes (Pologne, Tchéquie et Slovaquie, Hongrie, Roumanie) a servi à équilibrer les comptes et le pouvoir d’achat des pays dominants.

Un exemple : aujourd’hui, un quart de la production automobile de la soi-disant UE est réalisée dans les anciens pays socialistes, soit 3 millions de véhicules assemblées en République Tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie et Roumanie sur les 11 à 12 millions produits par l’UE. Cette part devrait monter à 30 % d’ici 2030.

Et que fait l’UE ? (en dehors du fait d’acheter à prix d’or des armes états-uniennes totalement inutiles) Elle discute ouvertement de la suspension des droits de vote de la Hongrie et de la Slovaquie !

Pendant que le feu gagne toutes les bases de la société, on discute de savoir si, il y a plus de vingt ans, Bayrou était au courant ou non des tortures infligées aux élèves de Betharam et s’il est risqué ou légitime d’interdire Marine Le Pen de se présenter à la présidentielle. Deux sujets importants, certes, mais qui pourraient être rapidement balayés face au risque d’effondrement économique et financier …

En attendant, cela évite de parler d’autre chose et cela convient visiblement à beaucoup …


En savoir plus sur MAC

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.