A l’entrée des écoles, des portiques ne détecteront pas les problèmes de santé mentale In Alter. Eco.

Philippe Watrelot Ancien enseignant, auteur de « Je suis un pédagogiste » (ESF-Sciences Humaines, 2021).

 

 

Le mardi 10 juin, dans la ville de Nogent, en Haute-Marne, une surveillante du collège Françoise Dolto est décédée, poignardée par un élève de 14 ans. Nos pensées vont d’abord à toute la communauté éducative de ce petit collège tranquille : personnel éducatif, élèves, parents. Et aussi aux proches de la victime de cet acte dément. Un meurtre qui a suscité une émotion dans l’ensemble du pays.

Dans notre société de l’information avide d’immédiateté, on prend à peine le temps du recueillement, ni celui d’analyser les circonstances propres à cet événement.

Tout de suite les commentaires ont proliféré sur la recrudescence de la violence. Et tout aussi immédiatement, on a réclamé des mesures sécuritaires rapides avec l’illusion que cela aurait des effets tout aussi immédiats.

On est malheureusement habitué à la gesticulation de la « fast politique » avec son cortège de mesures infaisables (ou déjà en place…) et au populisme éducatif que nous avons déjà dénoncés. Entre le Premier ministre qui évoque l’interdiction de la vente des couteaux aux mineurs ou la pose de portiques détecteurs de métaux, le président de la République qui propose d’interdire les réseaux sociaux aux moins de quinze ans et la droite et l’extrême droite qui ressassent à l’envi les mots « barbares » et « ensauvagement », tout en affirmant qu’il y a un « déferlement de violence », on a assisté à une débauche de simplismes répressifs et techno-solutionnistes.

Il est difficile de garder son sang-froid dans un moment marqué par l’émotion. C’est pourtant ce qu’on attendrait de la classe politique (on peut rêver…).

Pseudo-réponses et clichés

Il faut bien constater que ces analyses et ces pseudo-réponses sont particulièrement inadaptées face à une situation d’une grande complexité.

Comme l’ont fait remarquer de nombreux commentateurs, le drame de Nogent déjoue en effet toutes les simplifications et les clichés, notamment ceux de la droite.

Celle-ci est prompte à fustiger l’immigration, les « quartiers perdus », l’« ensauvagement », les familles « décomposées »…

Ici, l’auteur du crime vit dans une petite ville rurale et non dans un quartier difficile. Ses parents ne sont pas à la dérive. La famille du suspect est « unie et insérée professionnellement », a déclaré le procureur. On ne peut pas non plus incriminer une faille de sécurité. Ce meurtre s’est déroulé sous les yeux des gendarmes.

Quant aux pseudo-solutions, le simple examen des circonstances en détruit déjà une bonne partie. L’interdiction des couteaux ? Celui qui a été utilisé provenait du tiroir de la cuisine familiale. Les portiques ? Le drame s’est déroulé sur le parvis du collège. Cette solution très coûteuse, limitée (les couteaux en céramique…) et chronophage ne serait en rien une protection. Elle risquerait même d’accentuer les risques en créant des regroupements propices à des attaques de masse.

L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de quinze ans est une mesure qui peut être contournée tout comme l’est celle concernant les portables

« Il ne faut interdire que ce qu’on peut empêcher. » On doit rappeler cette citation de Nicolas Machiavel (1469-1527) quand on évoque les interdictions envisagées. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, mais incite au pragmatisme et à la modestie. L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de quinze ans est, par exemple, une mesure qui peut être contournée tout comme l’est celle concernant les portables.

« Sanctuariser les écoles » fait aussi partie des fantasmes et des mythes qu’il faut déconstruire. L’école a toujours été insérée dans la cité et de ce fait traversée par tous les maux de la société. Le rôle des adultes n’y est pas de « protéger » les enfants du monde extérieur, mais de prendre soin de ceux-ci et de construire au sein de l’école des relations qui donnent envie d’y vivre et de faire advenir une société fondée sur des relations apaisées et sur la démocratie. Si vous transformez les écoles en « prison », vous aurez des élèves avec des comportements de prisonniers…

Quant à la focalisation sur les couteaux, qui sont effectivement plus nombreux, il faut rappeler que même s’il faut empêcher leur prolifération comme toutes les armes, ceux-ci ne sont que des outils. Il faut avant tout comprendre ce qui déclenche ces passages à l’acte rapides et paroxystiques.

Les vraies questions

Comprendre n’est pas excuser, faut-il encore le rappeler ? Mais quand on se pose un certain nombre de questions, les réponses simplistes ne fonctionnent plus.

Pourquoi les jeunes éprouvent-ils le « besoin » d’avoir un couteau dans leur sac ? Les établissements scolaires et leurs abords sont-ils des lieux où il faut se protéger avec ce type d’armes ? Pourquoi le harcèlement est-il devenu si dévastateur ? Pourquoi le passage à l’acte violent se fait-il de façon si rapide, dès la moindre frustration ? Pourquoi nos enfants vont-ils si mal ? Et nous-mêmes allons-nous bien ?

« La réponse ne peut pas être celle du tout-sécuritaire. » Ce n’est pas un dangereux pédagogiste laxiste qui le dit, c’est un certain Bruno Retailleau ! Le meurtre de Nogent devrait susciter une mobilisation politique et citoyenne sur des thèmes bien plus ambitieux. Cette mobilisation doit bien sûr concerner la santé mentale, mais aussi plus globalement l’intégration des jeunes dans notre société. On ne pourra pas non plus éluder le rôle joué par la surconsommation des réseaux sociaux.

Dans nos établissements scolaires, on a un psychologue pour 1 500 élèves et une infirmière pour 1 800 élèves

Selon l’Inserm, près de 13 % des adolescents présentent des troubles psychiatriques nécessitant une prise en charge. Mais dans nos établissements scolaires, on a un psychologue (dont la mission est surtout l’orientation) pour 1 500 élèves et une infirmière pour 1 800 élèves.

Un véritable plan national d’urgence pour la santé mentale des jeunes impliquerait des campagnes d’information et de formation, mais surtout des moyens humains et matériels. Avec le plan proposé récemment par le ministre de la Santé, on en est loin.

C’est aussi un travail éducatif. Plutôt que de transformer les établissements en prisons surveillées par des caméras, on devrait y travailler plus et mieux sur le climat scolaire. Et au lieu de les moquer, si on se disait que les compétences psychosociales et notamment l’empathie ou la gestion des émotions et des frustrations étaient aussi importantes que les fameux savoirs fondamentaux ? Tout comme l’éducation à la vie affective et relationnelle est indispensable pour combattre les dérives masculinistes qui sont probablement une des composantes de ces meurtres. Mais comment déceler l’indécelable ?

Bien sûr, des médecins et des infirmières scolaires et du personnel éducatif en plus, de la formation, c’est moins spectaculaire que des portiques de détection qu’on peut inaugurer ou des contrôles policiers devant lesquels on peut convoquer la presse.

Bien loin de la gesticulation politique et du culte de l’immédiateté, au-delà des imprécations, c’est pourtant ce qui pourrait, dans la durée, permettre de faire œuvre d’éducation et tenter d’éviter la multiplication de ces drames.


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