FNSEA : enquête sur les réseaux de la « pieuvre » des syndicats agricoles

Le premier syndicat agricole de France peut compter sur les chambres d’agriculture dans son giron, les journaux qu’il détient et son lobbying débridé auprès des acteurs publics pour défendre ses intérêts.

 

Pour les paysans de gauche et les écologistes, elle est l’emblème de l’agrobusiness tout-puissant. Et même chez les radicaux de la Coordination rurale, un syndicat d’agriculteurs proche de l’extrême droite, on a l’habitude de parler de « mafia » pour évoquer la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

Une attaque qui vise à souffler sur les braises du dégagisme de plus en plus fort au sein d’une profession en quête de repères et espérer chasser le syndicat majoritaire de sa place de numéro 1. Pour le moment, il tient bon même si, lors des dernières élections agricoles, la FNSEA a perdu treize chambres d’agriculture. « Mafia », le mot est évidemment outrancier.

Reste que si on y enlève l’aspect criminel, et qu’on s’intéresse seulement à la capacité de contrôle et de lobbying de la FNSEA pour défendre sa vision productiviste et libérale de l’agriculture, il faut bien admettre que la puissante fédération ressemble, sous certains aspects, à une pieuvre aux multiples tentacules. C’est en tout cas le constat que L’Humanité fait en se plongeant dans les méandres du premier syndicat paysan de France.

Le jackpot des chambres d’agriculture

C’est d’abord un contrôle sur le foncier. C’est ce que nous avons découvert en nous intéressant à la chambre d’agriculture de l’Aisne, une terre de longue date acquise à la FNSEA. Malgré un budget de fonctionnement conséquent (en moyenne de 800 millions d’euros par chambre, selon la Cour des comptes), elle n’est pas propriétaire de ses murs.

Elle les loue à la société civile immobilière (SCI) Maison de l’agriculture, créée dans les années 1990. Selon nos informations, en 2024, la chambre a déboursé près de 140 000 euros de loyer et 114 000 euros de charges locatives et de copropriété. Une situation très rentable pour la SCI.

Qui retrouve-t-on derrière cette SCI florissante ? La FNSEA… ou plus exactement l’Union des syndicats agricoles de l’Aisne (Usaa), la structure départementale du syndicat, avec 68 % des parts. La chambre d’agriculture est, elle aussi, actionnaire mais à hauteur d’un peu moins de 20 %. Contactée, la chambre d’agriculture n’a pas donné suite.

Rien d’illégal en soi. Mais ce montage financier pourrait devenir très gênant si la chambre devait être remportée par un syndicat concurrent : ce dernier se retrouverait alors à financer, par les loyers versés, l’Usaa…

Ce qui est interdit en revanche, c’est de se servir des chambres d’agriculture pour financer son propre syndicat. Entre 2018 et 2019, la Cour de discipline budgétaire et financière a ainsi condamné les présidents et anciens présidents de cinq chambres « pour des soutiens irréguliers à des syndicats ».

La chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme s’est ainsi fait taper sur les doigts pour avoir attribué, de 2011 à 2013, des subventions à une association qui, à son tour, les reversait à la FNSEA… « Les montants alloués se sont élevés à 88 230 euros en 2011, 89 995 euros en 2012 et 91 795 euros en 2013, soit un montant cumulé de 270 020 euros », peut-on lire dans l’arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Un lobbying tous azimuts

La FNSEA est également l’un des acteurs clés de la presse agricole française. En 2011, l’entreprise Sofiprotéol, dirigée par le président de la FNSEA de l’époque, Xavier Beulin, aujourd’hui décédé, est entrée au capital du journal de référence la France agricole. Sofiprotéol, devenue depuis la branche d’investissement du groupe Avril, dirigé par Arnaud Rousseau, actuel patron de la FNSEA, est aussi membre du conseil de surveillance du groupe Réussir, qui revendique « au niveau national (…) 24 médias spécialisés couvrant l’ensemble des spécialisations de la filière agricole et alimentaire française » et « 52 titres de presse agricole départementale ». Sans compter les journaux locaux produits par les chambres d’agriculture…

Le syndicat agricole majoritaire multiplie enfin les contacts avec les pouvoirs publics. Pour l’année 2024, il a dépensé entre 900 000 et un million d’euros pour ses activités de lobbying, selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui oblige les sociétés à déclarer leur activité.

Un chiffre auquel il faudrait rajouter les dépenses réalisées par ses filiales départementales.

L’année dernière, la FNSEA s’est démultipliée, la HATVP relevant 173 fiches d’activités déclarées (contre 63 par exemple en 2020), notamment pour « peser sur les débats de la loi de simplification agricole ». Les lycées agricoles intéressent également la fédération.

En 2024, elle a lancé « la première Coupe de France de Farming Simulator (un jeu qui simule la gestion d’une exploitation – NDLR), dédiée à l’enseignement agricole » et « qui vise à promouvoir les métiers de l’agriculture et à renforcer la visibilité de la FNSEA auprès des jeunes et futurs agriculteurs », selon la centrale syndicale. Un concours ouvert aux élèves d’« établissement d’enseignement agricole ». Pour la beauté du jeu assurément !


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