Depuis deux et demi, la Bretagne fait face à une recrudescence de menaces et attaques perpétrées par l’extrême droite. « L’Humanité magazine » a recensé 85 actes d’intimidation et de violences issus de cette mouvance.

C’est juste un acte de plus. Dans la nuit du 3 au 4 mai dernier, la façade du centre LGBTI + Iskis, à Rennes, a été visé par des jets de ballons remplis de peinture blanche. Un tag a aussi été inscrit sur la devanture et la serrure de la porte d’entrée a été engluée de colle. « On a dû faire changer la serrure et annuler toutes les activités et rendez-vous prévus ce jour-là », soupire Emma Guiguen, la présidente du lieu. « On a aussi reçu un message de menaces sur notre site Internet quelques jours plus tard : juste sous le communiqué de presse où nous dénoncions ces agissements, une personne a écrit un commentaire disant qu’elle allait venir brûler le centre LGBT », ajoute la militante.
L’acte n’est pas isolé : le centre avait déjà été la cible de jets de peinture blanche deux semaines plus tôt, dans la nuit du 20 au 21 avril. Cette nuit-là, l’escalier arc-en-ciel de l’université de Rennes-II, œuvre du street artiste Mya et symbole de l’inclusion des personnes LGBT +, a également été vandalisé. Les marches colorées ont été entièrement recouvertes de peinture blanche. Au bas de l’escalier a aussi été tagué le message homophobe « Union pédale », visant directement le syndicat étudiant Union pirate, actif notamment dans la défense des droits des minorités sexuelles sur le campus.
Ces actes observés ces dernières semaines à Rennes viennent s’ajouter à une longue série d’événements survenus en Bretagne et dans la région nantaise depuis un peu plus de deux ans. Menaces de mort contre des journalistes de la presse régionale à Carhaix, tags islamophobes à Guingamp, dégradation de locaux syndicaux ou associatifs à Brest et Rennes, agressions physiques à Nantes ou Saint-Brieuc, attaque à main armée à Lorient… Au total, « l’Humanité magazine » a recensé, depuis fin 2022 et de manière non exhaustive, au mois 85 faits d’intimidation ou de violences qui, sans être systématiquement signés ou revendiqués, semblent mener tout droit vers la piste de l’activisme d’extrême droite dans cette région.
Communauté LGBT +, musulmans, syndicalistes… parmi les cibles
Premier constat : si la haine des militants nationalistes et identitaires s’exprime principalement dans les principaux centres urbains de la région, certaines zones rurales sont aussi impactées. Le 15 juillet 2023, des inscriptions antisémites et néonazies ont été découvertes sur le monument commémoratif de la Butte-Rouge, haut lieu de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, située à Plœuc-L’Hermitage (Côtes-d’Armor).
Le 20 novembre 2023, à Lesneven (Finistère), la stèle en hommage à Simone Veil, ex-ministre rescapée du camp d’Auschwitz, a été retrouvée vandalisée. Le 30 mai 2024, à Rosporden (Finistère), Jean-Yves Queinnec, ancien candidat du Front national aux élections législatives, a fait un salut nazi et a crié « Heil Hitler » en quittant une conférence d’Erwan Chartier, rédacteur en chef du média local « le Poher » plusieurs fois menacé de mort par l’extrême droite.
S’arrêter un instant sur les groupes et les lieux victimes de ces violences permet d’établir la liste des (nombreuses) cibles de la mouvance nationaliste et identitaire. Aux membres de la communauté LGBT +, il faut donc ajouter certains journalistes de la presse régionale, mais également les militants des partis et syndicats de gauche et les citoyens solidaires des personnes exilées, à l’image du Festival pour une Bretagne ouverte et solidaire attaqué en juillet 2023 par un groupe de militants fascistes encagoulés et armés.
Les personnes musulmanes ont été également visées à plusieurs reprises, comme le montrent les tentatives d’incendie criminel des mosquées de Morlaix, en janvier 2024, et de Saint-Malo, en avril de la même année.
Autre acte islamophobe le 14 mai : une famille lorientaise, de confession musulmane, a découvert, au petit matin, une tête de cochon décapitée devant sa porte d’entrée, des pieds de porc sur le balcon et des saucisses dans la boîte aux lettres.
« L’implantation de l’extrême droite en Bretagne était auparavant assez faible et limitée à des petites organisations catholiques intégristes, analyse Loïk1 du Collectif antifasciste Morbihan (CAM), mais on a vu les choses changer à partir de la lutte autour du projet d’accueil de réfugiés à Callac (Côtes-d’Armor), mais surtout de l’apparition de Reconquête ! » Selon le militant antifasciste, la candidature d’Éric Zemmour à la présidentielle 2022 a servi de point de convergence pour de nombreux militants et sympathisants de la mouvance d’extrême droite.
« Chez Reconquête, ils ont été très actifs durant la campagne 2022, au point d’éclipser le Rassemblement national, observe-t-il, ça a permis à des militants, surtout des jeunes, de se rencontrer et ensuite, d’aller faire autre chose. » L’abandon du projet d’accueil de réfugiés par la mairie de Callac, conséquence de la violente campagne menée par l’extrême droite, a alors « galvanisé » les troupes identitaires, selon Loïk.
Plusieurs groupuscules d’extrême droite ont vu le jour en Bretagne au cours de ces dernières années. À Rennes, l’Oriflamme, né d’une scission interne de l’Action française, a revendiqué avoir vandalisé la permanence du Parti communiste, en octobre 2023. À Vannes, An Tour Tan se drape dans la défense de la culture bretonne pour mieux revendiquer « la remigration » des étrangers et immigrés. Des militants de la Digue, groupuscule nationaliste actif à Lorient, étaient présents parmi les porte-drapeaux du défilé néonazi du « Comité du 9-mai », à Paris, le 10 mai.
« Il y a une montée du vote pour le RN en Bretagne »
« Du côté de Brest, le Parti national breton (PNB, groupuscule d’obédience néonazie – NDLR) est assez présent, ils sont à peine une vingtaine de militants, mais ils sont relativement actifs, notamment via des collages d’affiches d’inspiration néonazie », observe Ismaël Dupont, secrétaire départemental du Parti communiste. Ces deux dernières années, la permanence du parti a été plusieurs fois la cible de tags antisémites et autres croix celtiques. « Entre août et novembre 2024, à six reprises, de la colle a également été déposée sur la serrure des locaux de notre fédération, impliquant 300 euros de dépannage à chaque fois », ajoute le militant, qui regrette par ailleurs que les différentes plaintes déposées n’aient donné lieu à aucune suite judiciaire.
« Tous ces actes font partie d’un climat général en France marqué par une montée des discriminations, pas seulement contre les personnes LGBT +, mais contre toutes les personnes minorisées », déplore Emma Guiguen, du centre Iskis. La militante dénonce « les discours d’extrême droite qui désinhibent : au final, il y a forcément quelqu’un qui va considérer que les mots ne suffisent pas et vouloir passer aux actes ».
« De fait, il y a une montée du vote pour le RN en Bretagne, analyse Ismaël Dupont. Lors des dernières législatives, le parti d’extrême droite a obtenu plus de 30 % des voix dans de nombreuses communes. » Le responsable communiste note toutefois qu’aucun député ou maire d’extrême droite n’a, jusqu’à présent, été élu dans la région, mais craint la possibilité « de listes citoyennes, non identifiées d’extrême droite » pour les municipales de 2026. « Or, poursuit Ismaël Dupont, on sait qu’en cas de victoire de l’extrême droite politique, des groupuscules peuvent se sentir le vent dans le dos et représenter une menace. »
Le secrétaire départemental voit dans l’union de la gauche « le seul remède pour résister à la progression de l’extrême droite ».
Localement, le Parti communiste s’engage également dans des dynamiques unitaires réunissant organisations syndicales, associations et partis politiques, à l’image du Collectif d’information et de lutte contre l’extrême droite qui s’est constitué dans le pays de Morlaix en avril dernier. « Quoi qu’il arrive, on ne se laissera pas intimider, on continuera de militer et de mener nos actions, assure de son côté Emma Guiguen. Ce qu’il s’est passé nous choque, mais, au final, ne nous surprend pas. »
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