En Roumanie, au Royaume-Uni et en Floride, la justice tente de rattraper celui que l’extrême droite anglo-saxonne érige en gourou du masculinisme, adulé par des millions d’hommes. Car, derrière les punchlines virales, une réalité plus sombre s’est imposée : celle d’un homme accusé d’avoir bâti un empire sur l’exploitation sexuelle. Narcissique, paranoïaque, dangereux. Portrait.

© Josh Richie/The Times/News Licensing/ABACAPRESS.COM
Misogyne assumé et millionnaire autoproclamé. Andrew Tate se filme, un gros cigare entre les lèvres, torse nu et muscles bandés. Il parade devant ses 10 millions d’abonnés fascinés. Avec villa luxueuse ou bolide allemand, l’Anglo-États-unien de 38 ans joue au mâle alpha. « Je suis né pour ça. Je suis là pour tuer, c’est tout. »
Une promesse, une menace, qu’il prononce lors d’un match de kickboxing. Il se dit incompris, lui, le messie des jeunes hommes « victimes du féminisme ». Ils l’adulent, l’écoutent et le paient. À coups de 49 dollars par mois, ils s’inscrivent à ses formations en ligne pour devenir « riches » et « dominants ».
En 2021, il lance la Hustlers University (l’université des battants), qui prône travail acharné, discipline et obsession du cash. Ils sont déjà 160 000. Il les appelle à « sortir de la matrice ». Une conspiration, dit-il, menée par les élites et les femmes pour émasculer les hommes. Face aux médias et à l’État, lui seul incarnerait la vérité. Mais derrière les punchlines virales, une réalité plus sombre s’est imposée. Celle d’un homme accusé d’avoir bâti un empire sur l’exploitation sexuelle.
« Si tu m’aimes, tu le feras »
29 décembre 2022. Bucarest. La brigade d’intervention spéciale (BSIJ) fait irruption dans sa villa bunker. La perquisition dévoile armes, épées, liasses de billets et 3 millions de livres en produits de luxe. Et surtout plusieurs femmes, retenues contre leur gré, certaines en état de choc. Étranglements, menaces, violences sexuelles. Elles sont nombreuses à accuser Andrew et son frère Tristan.
Le lendemain, la BBC diffuse le témoignage de Sophie – un nom d’emprunt –, une Britannique qui dit avoir été en couple avec Tate : « Il avait l’habitude de m’étrangler. Une fois, je me suis évanouie. » Il l’avait approchée sur Facebook. Il jouait la carte de la confiance et de la séduction. Elle le rejoint à Bucarest, là où Andrew s’est exilé depuis 2017 après des accusations d’agressions sexuelles au Royaume-Uni. Il lui propose de travailler pour lui dans son business de camgirls. « Si tu m’aimes, tu le feras. On peut gagner tout cet argent. » Elle cède, sous la pression affective.
L’administration états-unienne aurait discrètement pesé pour le faire libérer.
C’est la « lover boy technique ». Séduire, manipuler et soumettre : la méthode qu’il prône en ligne pour contrôler les femmes. En juin 2023, la justice roumaine ouvre une procédure pour trafic d’êtres humains, viols, séquestration et blanchiment d’argent. Les deux frères passent trois mois en détention provisoire, puis sont assignés à résidence. Les enquêteurs identifient sept femmes exploitées sexuellement. Parmi elles, au moins une mineure.
Février 2025. Les poursuites sont toujours en cours, mais la Roumanie lève soudainement leur interdiction de quitter le pays. Le jour même, Andrew et Tristan embarquent pour la Floride. Deux semaines plus tôt, l’émissaire spécial de Donald Trump était aperçu à Bucarest. « Une coïncidence », selon les autorités roumaines. Soutenu par Elon Musk, adoubé par Tucker Carlson et suivi par J. D. Vance sur les réseaux, Tate est défendu par l’entourage de Donald Trump. Le Financial Times estime que l’administration états-unienne aurait discrètement pesé pour le faire libérer.
L’ascension viriliste
Né en 1986, fils d’un maître d’échecs afro-américain et d’une Anglaise, Andrew Tate grandit à Luton, banlieue grise de Londres. Enfant, lorsqu’il vit encore aux États-Unis, il regarde sa mère fuir les coups. Il dit avoir appris de son père, Emory Tate, les techniques de manipulation les plus infaillibles, et surtout ce que signifie « devenir un homme ». Ne faire aucun compromis.
Il se forme à la dure, apprend le kickboxing et devient champion du monde. Quatre fois. Mais ce n’est pas assez pour vivre. Après un détour éclair par la télé-réalité – six jours dans « Big Brother » UK avant d’en être expulsé pour une vidéo où il frappe une femme avec une ceinture –, Andrew Tate se lance dans les affaires.
D’abord dans le business des camgirls. Il recrute plus de 75 femmes, souvent jeunes, précaires et isolées. Il les repère sur les réseaux sociaux avant de les séduire. Il se vante de pouvoir les faire travailler pour lui. « Mes meufs peuvent faire pareil », lance-t-il, hilare, comme si le consentement n’était qu’une blague. Il prétend les aimer. En réalité, il les manipule et les pousse devant la caméra.
Puis il vend sa « méthode » à travers l’« université des battants », puis The Real World (« le monde réel »), une plateforme payante où il s’autoproclame « le plus compétent pour enseigner les interactions homme-femme ». Les vidéos tournent et les revenus s’envolent : jusqu’à 600 000 livres par mois, selon lui. « Je vous apprendrai à construire une fille soumise, loyale, amoureuse », répète-t-il, appliquant sa « lover boy technique » à la lettre.
52 % des jeunes français estiment qu’on « s’acharne sur les hommes ».
Banni d’Instagram, de TikTok, il revient sur X, republié et relayé en masse par ses fans. Ses contenus explosent, avec 12 milliards de vues en 2022. « Une perspicacité hors pair combinée à une infatigabilité absolue font de moi un adversaire redoutable dans tous les domaines de l’activité humaine », écrit-il sur sa bio. Narcissique, paranoïaque, dangereux. « Je suis un homme bon. Vous ne comprenez pas encore, mais ça viendra. » Il nie le trafic sexuel et accuse la « matrice ».
Pendant ce temps, les enquêtes se poursuivent. En mars 2025, la Floride ouvre à son tour une procédure pénale et Londres l’attend pour un procès avec 21 chefs d’accusation. Mais Tate, lui, continue de vendre son rêve. Voitures, argent et domination des femmes. « Je baise qui je veux, et personne ne me dit rien. »
Dans les tréfonds du Web, des garçons en manque de repères trouvent en lui un modèle. 52 % des jeunes français estiment qu’on « s’acharne sur les hommes », selon un rapport de 2025 du Haut Conseil à l’égalité. Le backlash (retour de bâton) est là. Tate en est le roi.
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