«Les Européens doivent désormais sanctionner le gouvernement Netanyahou» : entretien avec Francis Wurtz

Le pas franchi par la France et par d’autres États occidentaux à l’égard de la Palestine marque un basculement diplomatique. Pour l’ancien député européen Francis Wurtz, l’exigence d’un cessez-le-feu à Gaza et de l’arrêt de la colonisation doit s’imposer.
Que peut changer la reconnaissance par la France d’un État de Palestine ?
Cette décision a entraîné une décision semblable d’autres pays occidentaux. Si, pour Macron, l’attentisme et l’inertie qui le caractérisaient devenaient intenables du fait du génocide effroyable à Gaza, le fait que la France franchisse le pas rendait la situation encore plus intenable pour les autres pays occidentaux.
Finalement, cette reconnaissance crée une dynamique nouvelle pour trois raisons. D’abord elle permet à la question de la Palestine de revenir au premier plan sur la scène mondiale. Ensuite, cette fois-ci, ce sont des alliés traditionnels d’Israël, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, qui actent la reconnaissance ; cela isole comme jamais le gouvernement de Benyamin Netanyahou.
Désormais, parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, seuls les États-Unis mènent encore leur combat d’arrière-garde. Enfin, d’où provient ce changement politique?
Il est rendu possible par la mobilisation de l’opinion mondiale, y compris occidentale. Il ne s’agit plus d’une question diplomatique entre États, mais d’une revendication politique au sein des sociétés. Cette évolution donne beaucoup plus de force à l’exigence d’un cessez-le-feu à Gaza et aussi à celle de stopper l’entreprise d’effacement de la Palestine par deux gouvernements, israélien et états-unien.
Comment permettre la création effective d’un État palestinien quand le gouvernement israélien accélère la colonisation ?
Ce n’est pas une question institutionnelle mais politique. La mobilisation pour arrêter le massacre du peuple palestinien à Gaza et pour mettre fin à l’occupation – le combat ne date pas d’aujourd’hui – doit être considérablement renforcée. Sinon l’État de Palestine restera un vœu pieux. Il y aura des suites diplomatiques à cet acte de reconnaissance, mais l’essentiel se joue dans la mobilisation politique pour arrêter le massacre et mettre fin à l’occupation.
Pourquoi défendre la solution à deux États ?
C’est aux Palestiniens de décider, mais je n’en vois pas d’autre. Nous ne voyons pas comment la souveraineté de la nation palestinienne pourrait s’exprimer autrement. La solution à deux États est l’application du droit international. L’idée qu’il pourrait y avoir un État unique avec les Palestiniens et Israéliens me paraît hors sol.
Comment cet État pourrait-il être viable alors que les États-Unis et Israël violent le droit international ?
Cela passe essentiellement par les opinions publiques. Aux États-Unis, en avril dernier, un sondage indiquait que 53 % des Américains avaient une opinion négative d’Israël à cause de la politique de Benyamin Netanyahou. La même évolution existe au sein de la communauté juive américaine, avec des appels à boycotter les colonies pour sauver Israël. Et la grande majorité de la communauté juive américaine défend une solution à deux États.
L’opinion israélienne elle-même commence à bouger. Un mouvement de résistance des réservistes a pris corps, des personnalités politiques et culturelles influentes prennent publiquement position contre la politique de Netanyahou qui est totalement indéfendable. Cette politique abîme terriblement l’image d’Israël.
L’Union européenne n’a pris aucune sanction contre le gouvernement israélien malgré les crimes commis à Gaza.
Que peut changer la reconnaissance de l’État de Palestine par la France de ce point de vue ?
La stratégie d’effacement de la Palestine par le gouvernement israélien est connue des dirigeants européens depuis très longtemps. Elle est documentée depuis plus de vingt ans. Les diplomates qui représentent les pays européens à Jérusalem-Est ont la responsabilité du suivi des territoires palestiniens. Ils alertent rapport après rapport sur la politique du gouvernement israélien et sur sa volonté stratégique d’empêcher la création d’un État palestinien.
Et, pourtant, il n’y a pas de sanction. Pire, l’UE a offert à Israël un statut de partenaire ultra-privilégié dont ne dispose aucun autre État non européen. Dans ce nouveau contexte, un tel paradoxe va devenir intenable, alors que le 19e paquet de sanctions contre la Russie vient d’être décrété.
Pour prendre des sanctions économiques, l’unanimité n’est pas requise. La majorité qualifiée suffit et celle-ci est atteignable. Comme les États européens le font pour l’Ukraine avec la fameuse « coalition des volontaires », ils peuvent très bien constituer une coalition pour imposer des sanctions au gouvernement Netanyahou jusqu’à ce qu’il accepte un cessez-le-feu à Gaza et l’ouverture de négociations sérieuses pour en finir avec l’occupation.
Ces États peuvent-ils être poursuivis pour complicité et non-prévention de crime de génocide ?
Ce risque a dû peser dans la décision d’Emmanuel Macron. L’hypothèse d’un génocide ne fait plus de doute. Cela engage la responsabilité morale et juridique des responsables politiques.
Alors que l’ONU célèbre ses 80 ans, l’impasse à Gaza démontre-t-elle les limites de cette organisation ?
Elle démontre le côté pervers du droit de veto dont bénéficient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ce n’est donc pas la responsabilité de l’ONU qui est en jeu, mais celle de ces puissances.
L’ONU, en tant qu’organisation, a au contraire un immense mérite, elle est la référence en matière de droit international. C’est une sorte de boussole avec la charte des Nations unies.
Francis Wurtz

 


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