« L’action publique a vu sa situation se dégrader depuis trente ans, et la politique menée sous le mandat d’Emmanuel Macron n’a pas amélioré le sort du service public d’éducation » écrit Edmond Porra dans cette tribune. Pour le secrétaire adjoint du Snupden-FSU, « les établissements privés ne prospèrent pas seulement grâce au financement public : ils profitent également du définancement du public ». Quelques rappels d’actualité quand le budget de l’Etat est sous le feu des projecteurs.

 Alors que l’exécutif est intarissable dans son discours du coût de l’État social, l’école publique est loin d’être le sanctuaire invoqué dans une propagande opportuniste. Elle est en tout cas loin d’être sanctuarisée quant à son financement. S’il est un sanctuaire en revanche particulièrement protégé, c’est bien l’école privée, qui prospère avec l’aide toujours plus bienveillante de l’Etat.

Fragilisation du service public d’éducation et soutien financier du privé

Malgré les déclarations tronquées de la ministre démissionnaire, l’action publique a vu sa situation se dégrader depuis trente ans, et la politique menée sous le mandat d’Emmanuel Macron n’a pas amélioré le sort du service public d’éducation.

Ce n’est pas le cas du privé où le nombre d’enseignants a augmenté conjointement à la baisse de ceux du public depuis 2017. Rappelons que, financés à 75% par l’État et les collectivités, avec 13 milliards d’euros d’argent public versés chaque année, les établissements privés se voient par ailleurs plus favorablement dotés que ceux du public. Ces faveurs, en hausse continue, sont d’autant plus injustifiées qu’elles contribuent, comme l’avait souligné l’an dernier, le rapport Vannier-Weissberg à la désagrégation de la mixité sociale et scolaire, l’embourgeoisement du recrutement du privé s’étant accéléré depuis le début des années 2000 en contrepartie d’une prolétarisation du public.

Les faiblesses du public comme opportunités pour le privé

Mais les établissements privés ne prospèrent pas seulement grâce au financement public : ils profitent également du définancement du public. Ils tirent en effet parti des insuffisances de l’offre de l’enseignement public (limitation des dotations et fermetures de classes, insuffisance du bâti scolaire, diminution des offres de formation en lycée…) pour récupérer des parts de marché sur le dos des usagers contraints dans leurs choix, et parfois avec un financement d’une rescolarisation contrainte dans le privé.

Les conditions sont réunies pour un changement de paradigme relativement à la loi Debré de 1959 qui reposait encore sur le principe de la possibilité d’un choix « alternatif » à côté de l’école publique. L’orientation qui gagne du terrain fait davantage valoir celui d’une délégation des missions de l’État au profit du privé. L’enseignement catholique, qui représente 96% du privé sous contrat, en est le premier bénéficiaire.

Des dispositifs pour accompagner l’ouverture du marché scolaire

L’orientation est un terrain particulièrement investi par une logique de marché. Le palmarès annuel des établissements fonctionne désormais comme outil d’autorégulation de la demande en fonction de l’offre sur un marché scolaire de plus en plus ouvert à la concurrence. Lorsque l’offre de l’enseignement privé est forte, il y opère à plein régime pour formater les représentations des usagers et les inciter à se conduire selon des attentes de consommateurs-investisseurs en capital scolaire.

On peut s’attendre à ce que cette dynamique profite encore plus au privé dans un contexte où le public financièrement affaibli, dénigré dans la communication politique et médiatique, et alors que l’Etat accompagne, à travers des dispositifs comme Parcoursup et le projet de la loi Baptiste, l’expansion du professionnel et du supérieur privés.

Un pilotage territorial en faveur de l’essor du privé

Le transfert des responsabilités de l’Etat vers le privé ne reste plus qu’à être normalisé sous le prétexte de reconstruction du pilotage territorial.

C’est le cas lorsque la réforme de la formation initiale des enseignants donne l’occasion de fermer les sites publics pour faire le cadeau d’une nouvelle clientèle et d’un nouveau vivier aux universités privées, comme dans le département du Morbihan où la fermeture de l’INSPE pourrait conduire à confier la mission publique de former les futurs enseignants du territoire à l’Université Catholique de l’Ouest. S’agit-il de mettre la décision publique en cohérence avec la situation d’une académie où le réseau privé est le plus dense du territoire national (40% des élèves scolarisés dans le privé) ? Pourquoi pas, tant qu’à innover pour réduire les dépenses de l’Etat, transférer aussi dans ce département le pilotage de l’ensemble des établissements à la direction diocésaine ?

De même, le discours d’un nécessaire « maillage territorial » voit le jour dans certains départements pour envisager des solutions toutes opportunes à l’affaiblissement de l’offre du service public. Le principe des vases communicants en faveur du privé en cas de fermeture de classes ou de formations dans le public pourrait trouver tant une facilitation qu’une légitimation dans le cadre d’une coopération public-privé autour d’un maillage territorial « efficace ».

Pousser ainsi l’argument d’une approche territoriale pour mettre en place « une dynamique partenariale » est une tentation très vive, et appelle la plus grande vigilance.

Au demeurant, les collectivités et les pouvoirs locaux les plus enclins à soutenir le privé seront désormais susceptibles d’avoir l’appui des préfets selon les rapports de force et la configuration politique du moment : le pouvoir de contrôle sur les DSDEN et le droit de regard sur la carte scolaire institués par les derniers décrets qui renforcent leur rôle dans l’organisation territoriale des services éducatifs sont des outils qui permettront d’y contribuer. On en imagine parfaitement les effets lorsqu’il s’agira, pour le plus radical du privé hors contrat à la Pierre-Edouard Stérin, de pousser son avantage.

Plus que jamais : défendre le service public d’éducation

Continuant de bénéficier d’une bienveillance protectrice, l’enseignement privé catholique peut se sentir pousser des ailes, comme en témoignent les déclarations d’indépendance décomplexées du Secrétaire Général de l’enseignement catholique. Mais le risque est désormais bien au-delà d’un simple régime de faveur. C’est celui de la transformation néolibérale de l’action publique en faveur du principal opérateur privé, l’enseignement catholique, et d’un choix délibéré de laisser se dégrader l’enseignement public au profit d’un modèle qui aligne le public sur le privé.

Il importe plus que jamais de s’y opposer, et alors que l’on s’apprête à en célébrer le 120ème  anniversaire, de faire revivre l’esprit de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Edmond Porra