La taxe Zucman de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros fait pousser des cris d’orfraie au patronat, à la droite et à l’extrême droite. Il faudrait pourtant aller plus loin pour faire face aux enjeux économiques et sociaux.

© JPL/REA
Il faut redistribuer, mais aussi transformer le système en donnant le pouvoir aux travailleurs qui produisent et créent les richesses.

Fabienne Rouchy, Secrétaire confédérale de la CGT
Face à l’explosion des inégalités, l’idée de « faire payer les riches » revient dans le débat public, particulièrement lors du vote du budget du pays. Mais pour la CGT, si la justice fiscale est indispensable, elle ne saurait, à elle seule, transformer un système économique fondé sur la captation du travail par le capital. Taxer les riches est nécessaire, mais sans changer la manière dont la richesse est produite et répartie, les inégalités se reconstitueront toujours.
Depuis des années, les politiques fiscales favorisent les plus aisés et les grandes entreprises, alors que les dividendes atteignent des records, que les suppressions d’emplois se multiplient, que la TVA, impôt le plus injuste, pèse sur les ménages, particulièrement les plus modestes. Résultat : les 10 % les plus riches concentrent plus de la moitié du patrimoine national, tandis que les services publics se dégradent, que les salaires stagnent et que les pertes de pouvoir d’achat s’accumulent.
Avec la santé et l’accès aux soins, c’est une des premières préoccupations des Français : un sur deux affirme que son pouvoir d’achat lui permet tout juste de couvrir ses besoins essentiels ou s’avère insuffisant pour y parvenir (Ipsos/Cese2025). Pour la CGT, il est urgent de rendre l’impôt plus progressif, de rétablir un véritable impôt sur la fortune et de taxer les hauts patrimoines, les dividendes et les transactions financières, et de s’attaquer enfin à la fraude et à l’évasion fiscale. Cela permettrait de financer le renforcement des services publics et la transition écologique, pour laquelle chaque euro non dépensé en coûtera plus tard trois au budget de l’État, selon un rapport de la Cour des comptes.
Redistribuer ne suffit pas, et taxer les profits ne modifie pas la manière dont ils sont produits, ni les rapports de pouvoir qui les structurent, tant que les décisions économiques resteront concentrées entre les mains des actionnaires. La CGT défend une transformation du mode de production : il faut attribuer aux salariés de nouveaux droits d’intervention dans les entreprises, aller vers l’appropriation collective des moyens de production jusqu’à la nationalisation sous contrôle démocratique, réorienter la production vers les besoins sociaux et écologiques plutôt que vers la rentabilité financière, la spéculation et l’accumulation pour quelques-uns.
La fiscalité et la construction d’un budget traduisent des choix de société. Taxer les riches, c’est un premier pas vers plus de justice sociale, mais la véritable question est : qui décide de ce qu’on produit et comment ? Tant que les choix économiques resteront entre les mains d’actionnaires avides de profits maximaux à court terme, leur voracité primera sur la réponse aux besoins et la précarité sur la dignité. Taxer les riches est une mesure d’urgence, transformer le système est l’ambition de la CGT. La vraie justice, c’est celle qui donne le pouvoir à celles et ceux qui créent la richesse : les travailleuses et les travailleurs.
S’attaquer au coût du capital nécessite une autre politique pour l’emploi, avec la création de pôles publics et l’usage d’armes fiscales ciblées.

Denis Durand, Co-directeur de la revue Économie & Politique
NDLR de MAC: Denis Durand sera présent aux Journées d’Automne du PCF82 à Montech, le samedi 15 novembre De 14h à 16h30
La dette, cette grande arnaque. Réflexion sur l’illusion d’une dette publique qui justifie toutes les coupes budgétaires des gouvernements successifs.
L’écho éveillé par la taxe Zucman a révélé que la passion de notre peuple pour la justice sociale est toujours vivace. Il donne l’occasion d’ouvrir un débat sur les moyens de la réaliser. Tout est fait pour enfermer l’opinion dans l’obsession du déficit public, et pour occulter ainsi les urgences sociales et écologiques.
Pourtant, au moins 225 milliards d’euros de dépenses supplémentaires sont vitales dès 2026 pour, à la fois, stopper l’effondrement des services publics, les développer et financer la protection sociale, en relevant le défi climatique. Même en espérant tirer une vingtaine de milliards d’une taxe Zucman, augmenter les impôts des riches ne fait pas le compte. Tout de suite, des avances de fonds – au moins 80 milliards d’euros dès 2026 – doivent être obtenues en s’appuyant sur les institutions financières publiques ayant accès au refinancement de la BCE.
Ces avances anticiperont sur les richesses que procurera la création de millions d’emplois, à condition d’emmener les entreprises dans une nouvelle logique d’efficacité écologique et économique. Or, Gabriel Zucman lui-même insiste, se contenter de taxer les revenus des membres de l’oligarchie financière ne changera absolument rien à la marche des entreprises qui constituent l’essentiel de leur patrimoine – précisément la partie exonérée de « l’impôt sur la fortune improductive » voté à l’Assemblée le 31 octobre.
Ils ne feront que s’acharner encore plus à traquer le « coût du travail » et tout ce qui peut freiner leur obsession de rentabilité. Combattre cette domination du capital sur les entreprises est d’abord l’affaire de pouvoirs à conquérir par celles et ceux qui y travaillent. C’est pour l’avoir ignoré que les expériences de gauche sont allées, depuis cinquante ans, d’échecs en déceptions.
C’est aussi l’affaire de toute la société, depuis l’interpellation des grands groupes devant des conférences locales, régionales, nationales pour l’emploi, la formation et la transformation écologique des productions, jusqu’à la création, si besoin par voie de nationalisation, de pôles publics de l’industrie, des services et de la banque, dotés d’une « gouvernance » démocratique et décentralisée.
En passant par l’usage d’armes fiscales ciblées – impôt sur les sociétés progressif et modulé, prélèvement dissuasif sur les revenus financiers des entreprises, modulation des cotisations sociales – pour pénaliser les patrons qui choisissent de licencier, de précariser, de financiariser. Une taxe Zucman améliorée, frappant à un taux plus élevé les « biens professionnels » lorsqu’ils servent à supprimer des emplois ou à détruire la nature, pourrait en faire partie.
S’attaquer au coût du capital, c’est mettre des crédits bancaires bonifiés à taux réduit, voire nul ou négatif, à la disposition des entreprises qui joueront le jeu d’une nouvelle logique économique et sociale. La justice sociale cessera alors d’être une aspiration largement partagée mais impuissante, pour devenir un objectif accompagné des moyens de l’atteindre.
Le rapport annuel de l’état de la France « Égalité des chances : mythe ou réalité ? » sur le site lecese.fr
Le dossier « 500 milliards pour sortir de l’austérité » qui vient de paraître dans Économie & Politique et est disponible sur le site economie-et-politique.org
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.