À la veille de l’insurrection parisienne, le féminisme se réveille doucement mais sûrement de sa traversée du désert impérial. D’un coup, on défend le droit à l’instruction, au divorce, au travail… Un récit de l’historienne Mathilde Larrère.
« Citez-moi un nom qui vous évoque la Commune de Paris… – Louise Michel ! » Non seulement on raconte de moins en moins la Commune uniquement au masculin, mais le communeux le plus célèbre… est une femme !
Des révolutionnaires à part entière
Mais si les communeuses sont désormais reconnues comme des révolutionnaires à part entière, encore faut-il les réintégrer pleinement dans l’histoire des luttes féministes.
Comme les tricoteuses de 1792, comme les révolutionnaires de 1830, de 1848, les communeuses voulaient renverser l’ordre politique, l’ordre social… et l’ordre des sexes, et pensaient que la révolution devait être « féministe » (le mot alors n’existait pas encore) ou ne serait pas.
Les voix de l’indépendance
À la veille de la Commune, le féminisme se réveille doucement mais sûrement de sa traversée du désert impérial. L’internationaliste André Léo crée en 1866 l’Association pour l’amélioration de l’enseignement des femmes, puis, en 1869, une société pour la revendication des droits civils.
Maria Deraismes fonde en 1869 le journal le Droit des femmes, où elle publie en avril un manifeste signé par 38 femmes, dont Louise Michel. Elles y défendent l’égalité des droits civils, la suppression des articles sexistes du Code napoléonien, le droit à l’instruction, au divorce, au travail, l’égalité salariale et la reconnaissance des qualifications des métiers féminins, ainsi que les droits d’association et de vote. Autant dire que les féministes, socialistes pour la majorité, sont déjà très actives quand débute la Commune de Paris.
Une intense réflexion
Les voici qui saisissent l’occasion que leur offre la séquence révolutionnaire pour porter haut et fort leurs revendications, reprenant le chemin des clubs (de nos jours, on dirait « non mixtes »), des journaux, des prises de parole (elles féminisent alors le mot orateur en « oratrice », attachement aux enjeux linguistiques, qui n’est donc pas récent !).
La question du travail des femmes est l’objet d’une intense réflexion, principalement au cœur de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, cofondée par l’envoyée de l’Association internationale des travailleurs Élisabeth Dmitrieff.
Elle défend la revalorisation des métiers féminins, impulse l’organisation de coopératives de productrices avec pour double objectif de redonner aux femmes le contrôle sur leur travail et de leur assurer de plus justes rémunérations nécessaires à leur indépendance économique.
Reconnaissance de l’union libre
André Léo, Anna Jaclard, Isaure Périer, Noémi Reclus et Anna Sapia siègent à la commission sur l’enseignement féminin. Des écoles de filles sont ouvertes dans quelques arrondissements, ainsi que des ateliers-écoles pour les ouvrières. Maria Verdure impulse l’ouverture de crèches.
Le 21 mai, la Commune décrète l’égalité salariale entre instituteurs et institutrices. Sous la pression des clubs de femmes, la Commune reconnaît implicitement l’union libre en acceptant de secourir toutes les compagnes, mariées ou non, des gardes nationaux tués.
« Beaucoup de républicains n’ont détrôné l’empereur et le bon Dieu que pour se mettre à leur place ; il leur faut des sujettes ! » André Léo
C’est beaucoup, mais cela reste peu au regard de ce qu’elles réclamaient. Ce qui fera dire, en mai 1871, à André Léo : « Il faudrait raisonner un peu : croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes ? Voilà quatre-vingts ans qu’on essaie et qu’on n’en vient pas à bout. Pourquoi cela ? C’est que beaucoup de républicains n’ont détrôné l’empereur et le bon Dieu que pour se mettre à leur place ; il leur faut des sujettes ! (1) »
Les droits des travailleuses en première ligne
Si le féminisme entame ensuite une nouvelle traversée du désert, victime, comme toutes les idées de la Commune, de l’ordre moral, il renaît dès la fin des années 1870 avec les suffragettes, mais au prix d’un changement majeur.
Domine dès lors la revendication du droit de vote, qui n’était pas avant prioritaire, et les associations féministes s’embourgeoisent nettement. C’est au sein de la IIe Internationale, dans le socialisme féministe incarné par Clara Zetkin, que perdurent les idées des communeuses, et notamment l’intense mobilisation sur les droits des travailleuses.
Hymne des femmes et filles en feu
Il faut attendre les années 1970 pour que le féminisme rende à nouveau hommage aux combats des communeuses pour l’égalité femme-homme. C’est au demeurant lors d’une réunion pour préparer le rassemblement du Mouvement de libération des femmes (MLF) pour le centenaire de la Commune que l’Hymne des femmes fut rédigé.
Peu après, en mars 1974, un journal féministe émanant de la tendance lutte des classes du MLF paraît sous le titre les Pétroleuses, le journal des femmes qui luttent. Ses neuf numéros dénoncent les oppressions, les violences, les discriminations, appellent à l’organisation autonome des femmes, à la grève du travail salarié, du travail scolaire, du travail domestique, suggérant par exemple de déposer les tas de linge sale devant les mairies !
Les évocations de la Commune deviennent ensuite plus pointillistes. Pour avoir scruté pancartes et graffitis féministes ces trois dernières années, je n’ai trouvé qu’une seule citation de 1871. Le 7 mars 2020, lors de la manifestation nocturne à Paris, une jeune fille brandissait une pancarte sur laquelle était marqué en lettres de feu : « Descendantes de pétroleuses ».
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