Des militaires parlent de « guerre civile » dans un brûlot publié par Valeurs actuelles, soixante ans après le putsch d’Alger. Le Pen les appelle à la soutenir. Silence de l’exécutif.
Après un appel à l’insurrection signé Philippe de Villiers en une du magazine, Valeurs actuelles a récidivé le 21 avril. L’hebdomadaire d’extrême droite a publié sur son site Internet un « appel » signé d’un quarteron de généraux et de « haut s gradés », intimant aux dirigeants politiques « un retour de l’honneur et du devoir ». Les auteurs de ce brûlot adressé au président de la République, au gouvernement et aux parlementaires n’y vont pas par quatre chemins. La France serait victime d’un « délitement qui, à travers un certain antiracisme » a pour « seul but » de « créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés ». Il serait le fait de « l’islamisme et des hordes de banlieue », entraînant « le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transform er en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution ». Ils adressent leurs préconisations, à peine ambiguës : « Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles. » « Il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain, la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant », préviennent-ils, non sans avoir lancé cette sorte d’avertissement aux destinataires de leur appel : « N’oubliez pas que, comme nous, une grande majorité de nos concitoyens est excédée par vos louvoiements et vos silences coupables. »
Une attaque explicite contre la démocratie
Mais ce n’est pas tout. Trois jours plus tard, c’est la candidate du RN à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, qui prend la plume pour répondre, toujours dans Valeurs actuelles, aux militaires signataires. Dans une autre tribune, elle salue leur initiative, « rare dans l’institution militaire ». « Déjà de nombreux hauts fonctionnaires et des personnalités de la société civile nous ont ralliés. Je vous invite à vous joindre à notre action ! » lance la députée d’extrême droite.
L’allusion à « l’intervention de nos camarades d’active » tout comme la désignation des « hordes de banlieue » ont suscité un certain émoi à gauche. De même, la date choisie pour la publication de cette tribune, le 21 avril, coïncide avec les soixante ans du 21 avril 1961, date du putsch des généraux à Alger… Étant donné la mouvance à l’initiative de la publication, la présence d’un ex-général, Christian Piquemal, renvoyé à « l’état civil » par le gouvernement en 2016 en raison de son affichage à l’extrême droite, cette coïncidence ne peut être liée au hasard. Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, a dénoncé un texte qui « en dit long sur les menaces d’extrême droite contre notre démocratie. Et toujours pas de réaction d’Emmanuel Macron et du gouvernement ! » s’est-il indigné sur Twitter. Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à la présidentielle, les a qualifiés de « militaires en retraite factieux », et a dénoncé l’absence de réaction d’Emmanuel Macron, « chef des armées », en comparant à l’inverse les campagnes contre l’Unef pour ses réunions non mixtes. « J’en appelle à tous : personnalités, partis, associations et syndicats. Il est plus que temps de réagir », a-t-il écrit sur Facebook. Le vice-président (PCF) du Sénat, Pierre Laurent, a demandé « solennellement » que Valeurs actuelles et les 20 généraux signataires « soient poursuivis et condamnés par la justice ». « Soixante ans après le début du putsch d’Alger, 20 généraux menacent explicitement la République d’un coup d’État militaire. Marine Le Pen les appelle à la rejoindre », a tweeté l’ancien candidat socialiste à la présidentielle, Benoît Hamon.
Pour le politologue spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus, cette tribune, « signée par 20 officiers généraux du cadre de réserve dans une proportion négligeable », n’est pas anodine. Le chercheur estime cependant que le gouvernement aurait tort de réagir, car il lui donnerait une importance qu’elle n’a pas…Plus intéressante est, selon lui, la réaction de Marine Le Pen : « Ce qu’elle leur dit, c’est qu’il n’y a pas d’espace politique pour eux », en les appelant à la rejoindre. « Mais, de ce fait, elle s’en empare assez maladroitement. C’est un mauvais pas pour son entreprise de dédiabolisation du RN », avance le politologue.
Le rôle des syndicats de police qui « jouent avec le feu »
Journaliste et spécialiste des mouvements d’extrême droite violents, Frédéric Charpier (1) se montre plus alarmant sur la stratégie derrière le martelage à l’œuvre contre les banlieues. « C’est un calcul pour capter l’électorat de droite dans une espèce de confédération, avec Le Pen au cœur du projet », redoute-t-il. Outre ces militaires connus pour leur engagement à l’extrême droite, il pointe le rôle des syndicats de police qui « jouent avec le feu », des « chaînes du groupe Bolloré » et « d’autres groupes de pression » dont la volonté serait de mettre Marine Le Pen au plus haut à l’issue du premier tour de la présidentielle. « Il faut éviter que tout le monde s’en foute, prévient-il. Les gens sont très ma rqués par ces débats sur les questions migratoires et le terrorisme. Cette anxiété générale, ajoutée à l’anxiété sanitaire, crée un bain très favorable à l’extrême droite, d’autant qu’à gauche, rien ne se dessine en face pour l’instant. » C’est peut-être bien à la gauche, en effet, d’intervenir pour éteindre cet incendie, allumé par le gouvernement avec le débat sur les « séparatismes ». Lui-même ne s’en chargera pas…
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.