Les Roms bulgares, une population peu homogène et marginalisée in Regard-est.com

La minorité rom de Bulgarie a été partiellement intégrée sous le régime socialiste, marginalisée à partir du début des années 1990 puis davantage soutenue depuis l’adhésion du pays à l’UE. Aujourd’hui, elle peine encore à trouver sa place au sein de la société civile.


Dans un village près des Rhodopes occidentales.Les Roms sont l’une des deux principales minorités nationales de Bulgarie, avec les Turcs. Il ne s’agit pas d’une communauté homogène, mais de plusieurs groupes qui se distinguent par leur langue, leur religion, leur histoire et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Selon les données du recensement de 2011, 325 343 personnes ont déclaré appartenir à cette minorité, chiffre qui sous-estime largement leur importance numérique, une partie d’entre eux préférant indiquer turque ou bulgare en tant qu’origine ethnique. Selon le ministère bulgare de l’Intérieur, la population rom avoisinait les 830 000 individus à la fin de 2008(1). Les tsiganologues bulgares estiment désormais qu’ils ne seraient plus aujourd’hui que 450 000 dans le pays. Les fortes migrations internationales pourraient expliquer ces différences d’évaluation(2).

Histoire des Roms en Bulgarie

La première vague de migration rom dans les Balkans a débuté au XIIIème siècle. À partir du XIXe siècle, alors que ces populations dites « yerliies » s’étaient stabilisées et sédentarisées sur le territoire de la future République de Bulgarie, cette contrée a connu une nouvelle vague migratoire tsigane, qui s’est prolongée jusqu’au début du XXème siècle. Les derniers arrivés ont conservé leur tradition nomade jusqu’au régime socialiste. Comme les Yerliis, ils ont évolué en marge de la société civile bulgare jusqu’en 1948, date à partir de laquelle leur situation a brutalement changé, avec l’obligation de scolarisation des enfants ainsi que le déplacement, la réinstallation et la sédentarisation des familles nomades. Mais l’étendue et la densité des quartiers roms s’accroissant progressivement, le régime a eu quelques difficultés à maintenir ses objectifs d’intégration. Au début des années 1990, le délitement de l’État et les difficultés économiques furent à l’origine d’une « remarginalisation » de la minorité tsigane (taux de chômage élevé, ghettoïsation, absentéisme scolaire…)

La « décennie d’intégration des Roms 2005-2015 » (initiative de 9 pays d’Europe de l’Est, dont la Bulgarie), avec le soutien de l’Open Society Institute, n’a pas fait évoluer la société ; l’adhésion à l’UE fut à ce titre plus efficace, Bruxelles étant en position de force pour exiger de Sofia une implication plus décisive en faveur de l’amélioration de la situation des Roms (éducation, santé, emploi et logement).

Groupes ethniques, religions et répartition géographique

Il n’y a pas de véritable cohésion au sein de cette minorité nationale, divisée en plusieurs groupes et sous-groupes. La religion permet d’opérer une première distinction : en 2007, plus de 40 % des membres de la communauté rom se déclaraient de confession orthodoxe, près de 30 % musulmans, moins de 7 % protestants, 1 % catholiques, alors que le reste des individus indiquaient être agnostiques ou athées. Au sein des Yerliis (sédentaires), on distingue d’ailleurs en fonction de la religion les Roms Daskane (250 000 à 300 000 personnes selon les chercheurs bulgares en 2011), traditionnellement de culte chrétien, et les Roms Horahane (100 000 à 150 000 individus à la même période), turcophones et musulmans(3). Implantés dans le nord et le sud-ouest de la Bulgarie, les premiers forment un ensemble de 26 sous-groupes, dont les Tsutsumani et les Sivi Galabi (Colombes grises). Ces derniers, locuteurs romani, vivent principalement à Tchirpan et dans le district de Pazardjik (Bulgarie du Sud et du Centre). Traditionnellement de confession orthodoxe, ils subissent l’influence prosélyte des évangélistes pentecôtistes. Les Roms Horahane (Nord-Est, Sud) regroupent aussi bien les Millets, les Burgudjiis (quartier de Stolipinovo à Plovdiv) que les Egyptiens (Rhodopes). Les Kalaydjis ou « étameurs » (15 000 individus) sont souvent associés aux deux grands groupes (Daskane/Horahane), parce qu’une partie d’entre eux est de confession musulmane et l’autre de culte chrétien. En marge des Yerliis évoluent d’autres clans tsiganes, roumanophones ou locuteurs de romani, se disant « roumains » ou « valaques ». Il s’agit notamment des 5 000 Kalderash ou Bakardzhii (traditionnellement artisans chaudronniers originaires de Voïvodine), présents dans le nord de la Bulgarie, ou des Rudari, Ludari ou Kashtale (au moins 25 000) implantés dans le centre et l’est du pays.

Près des Rhodopes occidentales.Dans les Rhodopes occidentales.

Près de la moitié des familles roms vivent dans des villes de plus de 10 000 habitants, concentrées dans certains quartiers urbains périphériques ou sur de vieilles friches industrielles. On recense près de 350 quartiers tsiganes à travers le pays. Plusieurs d’entre eux, très étendus, sont bien connus : Stolipinovo, Sheker mahala, Hadji Hasan mahala, Arman mahala à Plovdiv (80 000 hab.), Zaharna Fabrika, Fakulteta, Hristo Botev à Sofia (45 000 hab.), Maksuda, Mladost, Odessos à Varna (25 000 à 30 000 hab.), Lozenets, Zaïcheva Polyana à Stara Zagora (24 000 hab.), Nadejda à Sliven, Tokaïdo à Pazardjik (chacun plus de 20 000 hab.). Des milliers de familles disposant de faibles revenus ont érigé sans autorisation des maisons dans leur quartier d’origine ou sur des terrains vagues situés à proximité. La plupart des mairies des grandes villes concernées ont mis en place des programmes de réhabilitation en faveur de ces quartiers. Ponctuellement, des pâtés de maisons illégales sont rasés (vieux quartiers roms de Bourgas en 2015, Sheker mahala en avril 2018 ou Maksuda en mai 2019), le plus souvent pour laisser la place à de nouveaux bâtiments résidentiels qui ne permettent pas toujours de reloger ces populations(4).

L’autre moitié de la population tsigane vit mieux intégrée dans de petites villes ou villages, par exemple à Straldja (3 000 Roms sur 7 000 hab.) dans le district de Yambol ou à Filipovtsi (1 600 Roms sur 3 600 hab.) dans le district de Sofia. Leur présence en zone rurale est ancienne ; avant la chute du régime socialiste, beaucoup de ces familles travaillaient déjà dans des fermes coopératives ou d’État.

Des élites tsiganes en Bulgarie ?

Depuis le début des années 1990, la minorité peine à se faire représenter politiquement. Trois députés d’origine rom ont certes participé à l’Assemblée constituante de 1990-1991, mais il a fallu ensuite attendre 1994 pour qu’un autre membre de la communauté siège à nouveau au Parlement. Un seul lui succède en 1999, puis deux en 2001, avant que cette représentation ne s’éteigne.

Le Rapport annuel 2017 sur les Pratiques en matière des droits de l’homme du Département d’État américain critiquait sévèrement la Bulgarie pour sa gestion de la question rom et s’alarmait de l’absence de représentation politique des membres de la communauté rom au sein de l’Assemblée nationale. Toutefois, à partir de 1999, des représentants de la communauté ont réussi à se faire élire à l’échelon local en tant que conseillers municipaux ou même comme maires de villages. Le 9 mars 2019, le Parti populaire européen a même été fondé à Sliven dans cette optique(5). Cette nouvelle formation politique, dirigée par des membres de la minorité tsigane, souhaite remporter des sièges de conseillers pour faire entendre la voix des habitants du quartier rom de Nadejda.

L’intelligentsia rom est peu nombreuse en Bulgarie et plutôt discrète. La jeunesse rom étant sujette à l’absentéisme scolaire depuis le début des années 1990, à peine 40 % des membres de la communauté sont sortis diplômés de l’enseignement secondaire vingt ans plus tard. Quant à ceux qui ont réussi leur parcours dans l’enseignement supérieur, ils ont généralement évité de mettre en avant leur identité ethnique et cherchent une reconnaissance fondée sur leurs compétences, à l’égal de n’importe quel autre Bulgare.

Mais alors, quelles sont les figures sociales qui émergent au sein de cette minorité ? Les chefs de clans qui dirigent les tribunaux roms (tels Kiril Rashkov, dit Tsar Kiro, ou Hristo Varbanov, alias « le prêtre »), des dirigeants d’associations et les pasteurs tsiganes, l’évangélisation progressant au sein de la minorité, occupent une position élevée dans la communauté. Depuis le début du XXème siècle, quelques chanteurs de tchalga (popfolk) d’origine rom (en particulier Azis) ont acquis une grande notoriété auprès des jeunes de la communauté et sont devenus des modèles de réussite sociale.

La montée de l’« antitsiganisme »

Au début des années 2010, le racisme anti-rom avait nettement progressé en Bulgarie, ce dont attestent les événements de Katunitsa : le 23 septembre 2011, un microbus appartenant à la famille du chef de clan kalderash Kiril Rashkov fut responsable d’un accident mortel de la circulation, dont la victime était un habitant de la localité. Au cours des jours suivants, des villageois et des militants d’extrême droite, venus de Plovdiv, ont manifesté leur mécontentement envers la communauté kalderash dans les rues du village. Certaines familles roms ont été victimes de violences et une de leurs maisons a été incendiée. Après plusieurs jours d’émeutes et 127 arrestations, le calme est revenu dans le village. Depuis, d’autres actes de violences anti roms ont ponctuellement été observés : en janvier 2019 à Voïvodinovo, des Roms ont été accusés d’avoir agressé un militaire hors service et des représailles ont été menées par des militants de la mouvance d’extrême droite sur des gens de la communauté. En avril suivant, Gabrovo a été le lieu de manifestations dégénérant en émeutes après qu’un commerçant ait été violenté par de jeunes tsiganes. À la suite de l’appel au calme de la mairesse, les tensions se sont progressivement apaisées. Le déferlement de violence lors de ces événements montre que se maintient une forme de « romophobie » dans une partie de la société civile bulgare, un phénomène alimenté par le discours de l’extrême droite locale.

Dans la ville de Devin

L’évolution de leur présence à l’étranger

À la suite du retour des mobilités Est-Ouest au début des années 1990, à l’instar de leurs compatriotes, les Roms ont tenté de migrer en Occident, notamment en Allemagne. Mais, régulièrement raccompagnés dans leur pays, ils n’ont pu s’implanter durablement à l’Ouest qu’à partir du début des années 2000, trouvant des emplois dans les domaines agricoles espagnols, grecs, italiens ou britanniques ou dans les secteurs d’activité de la restauration et de la construction en Allemagne ou en Belgique.

Depuis 2007, la France est également devenue un territoire privilégié de cette migration économique, certains terroirs proposant de nombreux contrats de saisonniers agricoles (arrondissement de Castelsarrasin, Touraine, Bordelais, Thouarsais) ou de bucherons (Autun, Tonnerre, Hirson)(6).

 

Sources :

(1) Center Amalipe, Romite v Balgariya : groupovo delenie i specifiki prez prizmata na obrazovatelnite, sotcijalnite i zdravnite naglasi (les Roms en Bulgarie : division en groupes et spécificités à travers le prisme des attitudes éducatives, sociales et de santé) ; Roma Education Fund, Podobrjavane na obrazovanieto na romite v Bălgarija (Améliorer l’éducation des Roms en Bulgarie), Sofia, 2007, pp. 4, 21 & 30 ; Ženi MILČEVA, « Koï se izživjavat kato ciganski elit » (Qui a l’expérience en tant qu’élite tzigane), 24 Chasa, 4 octobre 2011.

(2) Martina BOZYKOVA, « Mitove sa romskata svrăhraždaemost i životăt na socialni pomošti » (Les mythes sont l’hyper-fertilité des Roms et la vie avec des aides sociales), Mediapool, 30 juillet 2008.

(3) Open Society Institute, Romite v Balgariya, pp. 6–26, Sofia, 2008 ; Aleksei PAMPOROV, « Le voyage de l’identité tsigane en Bulgarie », Hommes & Migrations, n°1275, pp. 46-87, Paris, 2008.

(4) « Butat nezakonni romski postroyki v Burgas » (Des bâtiments roms illégaux poussent à Burgas), Standart, 24 juillet 2019 ; Pavel GĂLĂBOV, « Săbarijat 38 nezakonni postrojki v romskata mahala na Varna » (Destruction de 38 bâtiments illégaux dans le quartier rom de Varna), Dnes, 12 septembre 2017.

(5) « Nova romska partija šte băde yčredena v načalota na 2019 g. » (Un nouveau parti rom sera fondé début 2019), BTV, 15 décembre 2018.

(6) Stéphan ALTASSERRE, La migration de ressortissants bulgares à Moissac (82) à la suite de l’adhésion de la Bulgarie à l’UE, Centre d’Informations et Recherches sur les Balkans (CIREB), 31 p., Blagnac, 31 octobre 2018 ; et La migration de familles bulgares originaires du district de Pazardžik en pays moissagais lors de la saison agricole 2019 et évocation du cas d’Autun, CIREB, 50 p., Blagnac, 31 octobre 2019.

Photos de l’auteur

* Stéphan Altasserre est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.


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