Les accompagnants d’élèves en situation de handicap sont en grève, ce jeudi. Rouages essentiels du dispositif, ces précaires réclament un salaire décent, un vrai statut et une formation. Ils demandent aussi la fin d’une réforme organisationnelle qui dégrade leurs conditions de travail et pénalise les enfants.
« Ce qui a fait déborder le vase, c’est que le gouvernement ne veut pas dialoguer. Au Grenelle de l’éducation, nous n’avons été ni reçus, ni entendus », explique Aurélie, du collectif AESH en action. Comme beaucoup de ses collègues accompagnants d’élèves en situation de handicap, elle sera en grève ce 3 juin pour demander un statut, un salaire décent et la fin de la dégradation de ses conditions de travail.
Éternels précaires
Alors qu’ils représentent un dixième du personnel de l’éducation nationale, les AESH n’ont obtenu du ministre que la vague promesse du versement de 20 euros brut par mois, pour les aider à payer une mutuelle. « Aucune annonce n’a été faite sur la reprise des discussions, aucun calendrier de négociations n’a été donné », dénonce le communiqué de l’intersyndicale appelant à la mobilisation.
Rouage indispensable de la scolarisation des enfants handicapés, les AESH sont d’éternels précaires. Ils ne sont pas membres de la fonction publique, enchaînent pendant six ans des CDD sans même la certitude d’obtenir un CDI à la clef. Ils font des temps incomplets imposés de 24 heures par semaine, pour 750 euros par mois. « Nous démarrons au Smic et, après des années de carrière, on peut être augmentés au maximum de 79 euros », commente Anne Falciola, une des représentantes des AESH à la CGT Éduc’action. Pour compenser, nombre d’entre eux cumulent un second emploi. « Qui peut faire un emprunt, louer un appartement, faire des projets, permettre à ses enfants d’étudier, avec 760 euros par mois ? » s’interroge son organisation.
« Favoriser la coordination des ressources au plus près des élèves »
Mais, depuis deux ans, la situation s’est encore dégradée, avec la mise en place progressive des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), qui seront généralisés à la rentrée prochaine. Présentés par le ministère comme des outils pour « favoriser la coordination des ressources au plus près des élèves », ils consistent dans les faits à gérer la pénurie.
Au lieu de recruter en fonction des besoins, les AESH, qui assistaient auparavant un à deux élèves toute l’année, sont désormais regroupés au sein d’un Pial, qui les répartit entre les élèves et les établissements. Ils doivent suivre plusieurs élèves à la fois et sont trimbalés d’une école à l’autre, au détriment des besoins des élèves et de la qualité du travail. « On accompagne de plus en plus d’enfants avec de moins en moins d’heures. Certains n’ont plus qu’une demi-heure par semaine. Le seul souci du ministère, c’est de faire du chiffre et de dire qu’il y a de plus en plus d’élèves handicapés à l’école, pas de les accompagner réellement », résume Aurélie.
Longtemps isolés, les AESH, qui mènent aujourd’hui leur troisième journée de grève depuis le début de l’année, s’organisent de plus en plus pour exiger leurs droits. Ils sont de plus en plus soutenus par les parents, qui savent que leurs enfants pâtissent des Pial et du mauvais traitement réservé aux AESH. Cette colère n’atteint pas le ministère, alors que le recrutement est de plus en plus difficile. « Depuis l’arrivée des Pial, il y a des démissions en cascade, souvent de gens expérimentés, souligne Anne Falciola. Ils préfèrent s’en aller que d’exercer dans ces conditions ce métier qu’ils aiment. »
Camille Bauer
Témoignages
« Il y a un tel besoin, notre utilité n’est plus à prouver »
Franck Caillard AESH dans le Pas-de-Calais
« Travailleur social de formation, j’ai choisi d’être AESH par vocation. Lorsque j’ai commencé, il y a douze ans, j’avais la certitude que ce métier ferait partie de ceux de l’éducation nationale. Il y a un tel besoin, notre utilité n’est plus à prouver. Aujourd’hui, je n’ai plus aucune illusion… Le gouvernement fait preuve de beaucoup de cynisme : à quoi bon nous donner un statut, le vivier est inépuisable ! Je suis intervenu pour toutes sortes de troubles : dys, autistique, hyperactivité… Je travaille 24 heures par semaine pour 771 euros par mois et je m’occupe de 5 enfants en primaire. J’ai eu la chance d’accompagner des enfants de la primaire au lycée. Des enfants qui ne parlaient pas, ne jouaient pas et qui, au fil du temps, ont progressé. Aujourd’hui, avec les Pial – de vraies usines à gaz –, ce n’est plus possible. Un référent prend en charge l’ensemble des AESH sur le secteur géographique du collège. Il nous donne nos nominations et on ne suit plus les enfants. J’ai suivi un enfant dys en 6e et 5e. Je devais continuer à l’accompagner en 4e. Il était super-content. Trois jours après la rentrée, on m’a ordonné de m’occuper d’un enfant avec un trouble autistique. C’était à moi de me débrouiller pour annoncer la mauvaise nouvelle au gamin dys ! Nous n’avons quasiment pas de formation. L’éducation nationale s’en fout. Elle veut juste une présence, pas les compétences. L’école inclusive, c’est du pipeau. C’est faire croire aux parents qu’on va s’occuper de leurs gamins alors que ce n’est pas le cas. On ne demande jamais l’avis des AESH sur les enfants qu’ils accompagnent. On nous balade de la maternelle au lycée. Je connais des collègues qui vont au lycée la peur au ventre. Moi, j’ai suivi des enfants en maternelle alors que je m’y ennuie et que je préfère le lycée… »
« Personne ne nous explique comment réagir face à un enfant qui balance une chaise »
Chaker Brahmi AESH en Seine-Saint-Denis
« À la base, je cherchais un travail dans l’éducation nationale et j’étais très sensibilisé par le handicap : un de mes cousins handicapé n’a pas pu être scolarisé. J’aime mon métier malgré la précarité. J’ai commencé avec 760 euros par mois. Dix ans plus tard, j’en gagne 970. Absence de formation, de statut, de concertation, d’une rémunération décente… La reconnaissance n’a jamais existé. Au début, j’étais auxiliaire de vie individuel. Je suivais chaque enfant durant quatre ou cinq ans. J’ai dû apprendre sur le tas. Sous couvert de secret médical, nous ne savons pas ce dont souffre l’enfant. J’ai eu un enfant violent atteint de troubles autistiques qui ne parlait pas. Je n’en dormais pas de la nuit. Personne ne nous explique comment réagir face à un enfant qui vous balance une chaise ! Lui et moi, nous sommes passés par des étapes extrêmement difficiles. Mais on n’a pas lâché ! Aujourd’hui, il peut verbaliser. Les AESH ne font pas qu’accompagner. Nous faisons de la pédagogie avec l’enfant, on reformule les questions, on explique autrement. L’école, la cour de récréation, les relations avec l’enseignant, les autres enfants… Nous sommes un lien, un rempart entre l’enfant et le monde extérieur. En début de carrière, j’ai connu des enseignants qui ne me disaient même pas bonjour. Depuis, les mentalités ont heureusement changé. Mais l’éducation nationale continue de nous considérer comme de simples exécutants. Et l’arrivée des Pial ne fera qu’aggraver les choses. La mutualisation ne permettra plus un suivi individuel. J’ai eu en charge un enfant autiste durant quatre ans. La référente AESH a été remplacée par une autre. Du jour au lendemain, elle m’a supprimé les heures avec cet enfant. Elle n’a même pas voulu en parler. Cette situation dramatique ne fera que se généraliser. »
« On continue de les traiter comme des pions »
Magalie Trarieux Enseignante en primaire dans le Val-de-Marne, référente SNUipp-FSU AESH
« Je travaille en Rep +, avec une classe Ulis (acceuillant des élèves en situation de handicap) et beaucoup d’élèves notifiés par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Dans ma classe, deux élèves sont en situation de handicap, dont un devrait être accompagné à temps complet. Mais le système de mutualisation fait que ces deux élèves doivent se partager 15 heures d’AESH. Un collègue AESH doit remplir 9 heures et un autre, 6 heures… C’est du bouche-trou et cela perturbe les élèves. Des Pial sont expérimentés depuis deux ans. Sans aucun bilan, ils seront généralisés à la rentrée. On continue de traiter les AESH comme des pions. Mais ces travailleurs longtemps isolés se mobilisent. Ils répondent à un besoin pérenne et essentiel. Leur demande d’un statut au sein de l’éducation nationale est plus que légitime. C’est une profession ultraféminisée, ce qui ne fait que renforcer leur précarité. Les moyens de l’école inclusive ne sont pas à la hauteur. Le fossé entre les discours officiels et la réalité sur le terrain met en lumière un vrai mépris pour les élèves en situation de handicap. Beaucoup d’enseignants, dépourvus d’AESH, se trouvent dans l’impossibilité d’accueillir ces enfants qui se mettraient en danger. Des parents n’ont d’autre recours que de garder leur enfant avec eux. Ils sont empêchés de vivre, de souffler, de travailler… »
« Ils sont ballottés d’une école à l’autre »
Betty Jean-Dit Teyssier Enseignante en école rurale, dans le Gers
« Nous, les enseignants, savons à quel point les AESH font un vrai métier. Je travaille dans une école rurale. Moi, j’enseigne en maternelle avec les trois sections réunies. Poser un diagnostic dès la maternelle n’est pas toujours évident. Souvent, les dossiers pour la reconnaissance d’un handicap sont en cours. Lorsqu’il n’y a pas d’AESH en classe, je dois reformuler les consignes et je ne peux pas laisser les enfants en autonomie dans un groupe, ce qui est bien sûr complètement différent lorsqu’il y a un AESH. Ensemble, nous discutons de la meilleure pédagogie à adopter, mais malheureusement, sur notre temps personnel. En zone rurale, il est difficile d’en recruter. Ils sont ballottés d’une école à l’autre, parfois à l’autre bout du département. Tout cela pour un CDD avec un salaire de misère. Aujourd’hui, avec les Pial, les AESH sont mutualisés, avec un accompagnement perlé. La MDPH ne notifie plus d’accompagnement individualisé. Je ne sais pas à quoi ça sert, à part rentabiliser les emplois du temps des académies. C’est une gestion de la pénurie. »
Propos recueillis par Nadège Dubessay
COMMUNIQUE PCF82
Méprisés, mal payés, oubliés ! Soutien aux AESH en grève !
Une délégation du PCF82 est venue soutenir la mobilisation des aesh ce matin devant l’inspection académique de Montauban.
Jean-Michel Blanquer, fidèle à sa posture, ignore totalement les revendications urgentes et légitimes des AESH.
Aucun calendrier quant à l’amélioration des conditions d’emploi et la valorisation salariale, des conditions de travail dégradées par la crise sanitaire, des dérives qui frappent le quotidien des AESH, au mépris des textes réglementaires !
Partout sur le territoire, ils et elles ont dû répondre à des missions qui n’étaient pas les leurs. On ne compte plus les témoignages de pressions hiérarchiques, d’absence de protection, de missions abusives, d’expositions inutiles…
S’agissant des PIAL, la politique de gestion des Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés enfonce le clou. On déplace les AESH d’un établissement scolaire à un autre sans considération de leur profil et des besoins réels des élèves. L’émiettement des temps d’accompagnement, les changements d’affectation arbitraires sont vécus violemment par les élèves et détruisent le sens même du métier d’AESH.
Les victimes de cette politique sont d’abord les élèves, peu et mal accompagnés, mais aussi les parents floués, les enseignants abandonnés, et bien sûr les AESH eux-mêmes qui sont épuisés.
Maintenus dans la précarité avec des CDD de 6 ans et des CDI de pacotille, l’État oubli sciemment des milliers de personnels alors que la nécessité de leur présence dans les écoles est une évidence. Il est temps de créer des conditions de travail dignes, respectueuses des missions confiées et des compétences des AESH avec un véritable statut de la Fonction publique et un salaire permettant de vivre correctement.
Les communistes, aux côtés de ses personnels indispensables, exigent du gouvernement la prise en compte des revendications et des besoins des enfants en situation de handicap.
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