Harcèlement scolaire. « Les solutions ne peuvent être que collectives »

Mulhouse (Haut-Rhin), le 24 octobre. Marche blanche en mémoire de Dinah. Victime de harcèlement, cette adolescente de 14 ans s’est donné la mort le 5 octobre. © Frédéric Florin/AFP

Pour Éric Debarbieux, pédagogue spécialiste de la violence à l’école, la lutte contre le harcèlement nécessite une prise en charge globale de l’acceptation de l’autre qui dépasse le milieu scolaire.

Plus de 1 400 personnes ont défilé, dimanche 24 octobre, à Mulhouse (Haut-Rhin) pour rendre hommage à Dinah, l’adolescente de 14 ans qui s’est suicidée le 5 octobre. Depuis deux ans, elle était victime de harcèlement en raison de son origine ethnique et de son orientation sexuelle. Éric Debarbieux, philosophe et professeur en sciences de l’éducation, réagit.

Comment de tels drames peuvent-ils encore avoir lieu ?

Éric Debarbieux Philosophe et professeur en sciences de l’éducation

Éric Debarbieux On aurait certainement pu faire autrement. Les cellules d’écoute ne sont pas suffisantes. La prise en compte collective dans les établissements scolaires, la formation ne sont pas à la hauteur, même si les choses ont progressé. Mais on le sait : dans la plupart des cas les plus sévères, aucun programme magique de peut résoudre le problème.

Les programmes nationaux de lutte contre le harcèlement ne seraient donc pas efficaces ?

Éric Debarbieux C’est un leurre de penser pouvoir résoudre le harcèlement uniquement avec une politique de programmes, certainement bien ficelés et efficaces dans des conditions idéales et avec des sociétés citoyennes. Mais, quand une société vous vend à longueur de journée la peur de l’autre, la xénophobie, le racisme, le sexisme comme des arguments de campagne politique, comment voulez-vous éviter les impacts dans la cour de récréation ? Malheureusement, aujourd’hui, c’est l’ensemble d’une société qui est en train de virer au refus de l’autre.

Vous suivez les politiques publiques sur les violences à l’école depuis 1991 et avez interrogé plus de 300 000 écoliers. Vous avez été chargé des assises nationales contre le harcèlement en 2011. Quel bilan en faites-vous ?

Éric Debarbieux La prise de conscience est là. Plus personne ne nie l’existence du harcèlement. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Le phénomène se construit de façon collective. Un groupe va harceler une personne parce qu’elle n’est pas comme nous. Derrière les cas de harcèlement les plus lourds, on retrouve toujours cette construction en groupe, qui est aussi idéologique. Ne pensons pas que nous pourrons résoudre les problèmes en faisant réagir les enfants eux-mêmes. Il faut une prise en charge globale de l’acceptation de l’autre qui dépasse le milieu scolaire. Et on en est très loin en France.

Plus de 700 000 élèves subiraient chaque année du harcèlement. Les chiffres stagnent… Quel est l’enjeu aujourd’hui ?

Éric Debarbieux La place de l’accueil des parents dans l’école et la manière dont on considère les enseignants. Si l’on estime que l’école est uniquement le lieu de transmission des savoirs et que le reste – éducation, prise en compte de la souffrance de l’adolescent – représente quelque chose de supplémentaire avec des personnes spécifiques, on n’y arrivera pas. Tous les adultes doivent être mobilisés, professeurs y compris. C’est la définition du sens des apprentissages scolaires qui est en jeu.

Quels sont les facteurs de risque identifiés ?

Éric Debarbieux Il y en a principalement trois : d’abord, la qualité des équipes éducatives. En Seine-Saint-Denis, par exemple, 72 % des personnels changent tous les ans. Or, la stabilité représente une plus grande capacité à faire face à la violence car il existe une solidarité. Ensuite, la sociologie de la violence à l’école reste celle de l’exclusion sociale. Enfin, un élève qui pense que l’on est injuste avec lui construit, avec ceux qui sont dans le même cas, ce que l’on appelle un « noyau dur » dans un établissement. Il sera suractif, en termes de violence et de harcèlement. Une politique ultrarépressive ne fera qu’augmenter les difficultés.

Quelles seraient les solutions ?

Éric Debarbieux Les lois sont importantes mais insuffisantes. La question de la formation professionnelle de tous les personnels de l’éducation est une nécessité absolue. Les solutions ne peuvent être que collectives. Lutter contre le harcèlement en milieu scolaire, c’est faire le lien entre le harcèlement et le climat scolaire : le bien-être des élèves, mais aussi celui des personnels. Dans une enquête en 2013, j’ai interrogé 60 000 membres du personnel, près de 12 % disaient se sentir harcelés par leur hiérarchie ou des collègues. Quant au soin des victimes, le manque cruel de pédopsychiatres formés est évident. Ce sont des priorités économiques, donc politiques.


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