Écosystèmes. Le double effet clim et couette des forêts
Dans la forêt, règne un microclimat : plus frais l’été, moins froid l’hiver. Un microclimat qui pour l’instant tempère le réchauffement du macroclimat.
Se promener en forêt dans la chaleur de l’été permet de se rafraîchir. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il fait aussi moins froid l’hiver dans une forêt que dans une zone dépourvue d’arbres. C’est ce qu’on appelle l’effet tampon ou isolant. Grâce à un réseau de plus de 1 200 capteurs répartis dans les forêts européennes, une équipe de recherche internationale s’est attelée à en établir pour la première fois une cartographie climatique montrant la différence de température entre la forêt et ses environs.
D’après ce travail scientifique publié dans « Global Change Biology » au début du mois d’octobre, les forêts rafraîchissent l’air en moyenne de 2,1 °C l’été et maintiennent une température supérieure à celle de l’air ambiant de 2 °C l’hiver. Un microclimat qu’offre la canopée, grâce à laquelle toute une faune et une flore échappent – pour le moment – à la hausse des températures.
La première carte européenne comparant les températures moyennes annuelles de l’air et sous couvert forestier (en noir, les zones sans forêts).
L’été, deux phénomènes s’ajoutent pour atténuer la chaleur. Outre l’ombre créée par les branches et le feuillage, les arbres transpirent. De fait, pour que la photosynthèse, c’est-à-dire la production de sucre par la plante, puisse avoir lieu, il faut que les feuilles soient continuellement refroidies. Les racines puisent l’eau fraîche du sol qui remonte jusqu’aux feuilles desquelles elle s’échappe sous forme de vapeur d’eau par des stomates. Ceci permet de refroidir l’air ambiant. Et ce n’est pas anecdotique.
Plus une forêt est mature, plus son effet isolant est important. Mais « on peine à évaluer quelles espèces seront encore adaptées au climat dans cent ans ». JONATHAN LENOIR, CNRS
Les résultats montrent que les températures estivales maximales dans les forêts sont en moyenne de 2 °C plus froides que leur environnement. Cette différence peut aller jusqu’à 10 °C. Quant à l’hiver, les arbres ont un effet couette, ce qui explique que les forêts sont en moyenne 2 °C plus chaudes. L’effet isolant est tel qu’il y a des pics jusqu’à 12 °C de plus par rapport aux zones voisines non boisées.
Cet effet isolant offre un milieu protecteur et stable thermiquement pour la faune et la flore. Pour l’instant, la biodiversité forestière subit dans une moindre mesure les variations de température. Ceci durera-t-il quand les températures grimperont encore ? L’avenir, incertain, dépend en partie de l’homme et de ses choix d’exploitation de la forêt.
Des trouées dans la canopée
D’un côté, plus une forêt est mature, plus son effet isolant est important. Ainsi les espèces ressentiraient moins le réchauffement. Mais, d’un autre côté, s’il y a une ouverture de la canopée protectrice à cause de la sylviculture ou du dépérissement des arbres lié à la multiplication des épisodes caniculaires, une accélération locale du réchauffement, résultat de la somme de l’abolition de l’effet tampon et de l’effet du réchauffement, pourra être ressentie par la faune et la flore. Il y a donc urgence à bien connaître ce microclimat forestier pour être capable de le préserver.
Le point vue de… Jonathan Lenoir, chercheur cnrs en sciences forestières
« Une action isolante variable en fonction des essences d’arbres »
Quels sont les facteurs qui entrent en jeu dans la capacité isolante d’une forêt ?
Il y a en premier lieu une différence entre une forêt de feuillus et une forêt de résineux. L’été, les feuillus, grâce à l’effet parasol du feuillage combiné à la transpiration des arbres, auront tendance à avoir un effet rafraîchissant plus fort que les résineux. Ces derniers, en revanche, auront un effet abri ou brise-vent plus important l’hiver car ils ne perdent pas leurs aiguilles. On imagine également qu’il y a un effet isolant variable en fonction des essences d’arbres selon leur capacité à faire de l’ombre et/ou à transpirer. Autre facteur important, le pourcentage de couvert arboré : de fait, plus le couvert forestier est important, plus l’effet isolant est fort. En plus de ces facteurs liés à la structure de la canopée elle-même, d’autres facteurs doivent être pris en compte, comme la topographie – le sol est-il plat ? en pente ? –, l’exposition – le versant est-il exposé au Nord ? au Sud ?… – ou encore le macroclimat – suis-je en contexte océanique, continental, montagnard ou méditerranéen ? D’autres études ont montré que l’effet tampon ou isolant était plus efficace en contexte plus chaud.
Justement, les arbres contribuent-ils à freiner la hausse des températures au-delà de leur pied, c’est-à-dire ont-ils un impact sur le macroclimat ?
Des chercheuses et chercheurs de l’université canadienne Concordia ont montré un effet rafraîchissant des parcs urbains au-delà d’une certaine taille. Il y a donc un effet local mais aussi proximal. Les forêts périurbaines qui ceinturent les villes pourraient elles aussi atténuer l’effet des îlots de chaleur. Il faut savoir que si l’effet isolant est connu, il est encore mal quantifié. Ce n’est que depuis peu, avec les progrès technologiques, que l’on dispose de microcapteurs intelligents à bas coût essentiels pour enfin chiffrer l’impact des massifs forestiers sur les températures sous couvert. Par ailleurs, planter des arbres ne peut pas être la seule réponse pour atténuer les effets du réchauffement. Quand on plante des arbres aujourd’hui, comment être sûr qu’ils seront à l’origine d’une forêt efficace et pérenne dans les décennies futures ? Aujourd’hui, le réchauffement climatique s’opère à une vitesse telle qu’on a du mal à évaluer quelles espèces forestières seront encore adaptées aux conditions climatiques dans cent ans. Planter un arbre pour qu’il finisse par mourir prématurément, cela ne sert à rien.
Comment les forêts et leur capacité à lisser les températures extrêmes dans le futur vont-elles évoluer ?
On ne le sait pas car cela dépend en grande partie de comment les hommes vont gérer la forêt pour les générations futures. On sait en revanche que le bouclier thermique que constituent les forêts est fragile. Les vagues de chaleur répétées avec des températures dépassant les 40 °C ont un impact négatif sur l’activité de transpiration des arbres : quand il fait trop chaud, les stomates des feuilles se ferment, la vapeur d’eau ne peut plus s’en échapper. De plus, les épisodes caniculaires sont parfois accompagnés de sécheresses responsables de la perte de feuillage. Lorsque la canopée s’ouvre, la lumière passe, le réchauffement s’accélère encore plus. La sécheresse provoque aussi une diminution de l’humidité de l’air qui contribue pourtant fortement à l’effet isolant. D’ailleurs l’effet isolant semble beaucoup plus important dans les forêts tropicales probablement à cause, entre autres, de l’humidité qui y règne.
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