Guerre en Ukraine. « Ukrainiens, Russes, une fois morts, quelle est la différence ? »

Les premières villes aux mains de la république autoproclamée de Donetsk laissent entrevoir l’intensité des combats. Les habitants, marqués par les bombardements, semblent partagés sur les raisons d’un conflit sans fin à leurs yeux. Reportage In Humanité

Le 27 février, les forces russes prennent le contrôle du village de Nikolaevka, Donetsk. © Leon Klein /Anadolu Agency/AFP

Le 27 février, les forces russes prennent le contrôle du village de Nikolaevka, Donetsk. © Leon Klein /Anadolu Agency/AFP
Anadolu Agency via AFP

Nikolaevka, Donetsk (Donbass), envoyé spécial

Des cadavres de voitures éventrées et noircies, des ponts installés provisoirement pour enjamber des trous béants, des arbres affalés et de la fumée visible un peu partout. Ces scènes dévoilent l’intensité des combats encore en cours au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Bougas en direction de Marioupol. Ils font partie des territoires tout juste conquis par les forces de la république autoproclamée de Donetsk (DNR) et de Lougansk (LNR) et des combattants russes. Ces deux villages de quelques milliers d’habitants continuent d’être sous le feu des bombardements et des répliques des soldats du DNR.

Sous l’intensité des affrontements, la situation devient pesante

À Nikolaevka (Mykolaïvka en ukrainien), plusieurs immeubles blancs se dressent à côté d’un terrain de football et d’un immense champ. Les murs révèlent de nombreux impacts confirmant l’intensité des affrontements. Sur l’un d’eux son toit est clairement fendu.

Un groupe d’habitants se tiennent en bas d’un des bâtiments. Un générateur rouge tourne pour permettre de maintenir de l’électricité et du chauffage. « Cela fait une semaine qu’on vit comme ça. On n’a plus de chauffage, plus d’eau et presque plus rien à manger. On est tous épuisés. Il y en a marre de ce conflit, on est constamment pris en otage par les uns et les autres. Mais on ne partira pas pour autant. J’habite ici, j’y reste », s’emporte Tania (1), emmitouflée dans un immense peignoir rouge sur ses épaules.

Icon Quote Il y en a marre de ce conflit, on est constamment pris en otage par les uns et les autres. » Tania

Les températures qui dépassent tout juste les 2 °C en plein jour participent à une situation de plus en plus pesante. Au son de frappes qui se rapprochent, tout le monde descend dans les caves qui servent d’abris. Dans l’une d’elles, Sveta (1), la trentaine, bonnet Gucci sur la tête, avoue ne même plus savoir quand tout a commencé. « Ces bombardements durent depuis trois jours ou quatre, je dirais. On les subit en attendant les prochains. Fuir ? Mais pour aller où ? J’ai un travail ici, un bon salaire, ma famille. Où je vais aller : en Ukraine ? En Russie ? À Donetsk ? À Kharkov ? Non. Je ne veux pas devoir encore tout recommencer : trouver un logement, un travail… Espérons juste que ces combats s’arrêtent bientôt. »

Se terrer pour se protéger des bombardements

Les soldats ont déjà installé leurs quartiers dans divers endroits de Nikolaevka. À côté de l’école, une dizaine d’entre eux, qui ont moins de 30 ans, discutent en rechargeant leur téléphone. Vingt autres s’emploient à organiser d’énormes feux.

Des tirs partent non loin. Tout le monde sursaute. « C’est les nôtres, ne vous inquiétez pas, lâche un militaire pour rassurer les civils. Je me suis porté volontaire pour mettre un terme une bonne fois à ces criminels, à ces nazis qui nous font la guerre depuis huit ans », affirme-t-il, convaincu par la rhétorique sur la « dénazification » du président russe, Vladimir Poutine. D’autres sont là, faute d’avoir eu le choix. « C’est la vie », nous glisse l’un d’eux.

Icon Quote On a toujours vécu en paix entre ukrainophones et russophones. Et tout se passait parfaitement bien. À quoi rime cette guerre ? » Pacha, habitant de  Nikolaevka

Juste à côté, une trentaine d’habitants se terrent dans les abris sous l’école, protégés des bombardements. La faible lumière laisse entrevoir des familles, des retraités, des jeunes. Exténués, ils saluent les fréquents ravitaillements – nourriture, vêtements, médicaments, eau, couverture – qui leur permettent de tenir. Avec son bonnet sur la tête, Pacha (1) s’y est réfugié avec sa famille et ses amis. « Je me suis marié ici à Nikolaevka, je ne partirai pas. Avec mes amis, on n’a pas souhaité s’engager pour combattre les uns ou les autres. On a toujours vécu en paix entre ukrainophones et russophones. Et tout se passait parfaitement bien. À quoi rime cette guerre ? » lance-t-il énervé.

À Kharkov, les forces armées russes et du DNR ont lancé un ultimatum aux habitants

Face aux tirs réguliers, certains habitants craquent et décident de partir loin de cette « folie ». À 62 ans, Guenia (1) souhaite rejoindre Donetsk pour retrouver son fils. Il fera la route avec nous et un soupir de soulagement apparaît sur son visage une fois loin de Nikolaevka et des combats . « Je ne comprends pas l’intérêt de se faire la guerre. Ukrainiens, Russes, une fois morts, quelle est la différence ? » s’interroge-t-il, heureux de retrouver son fils au bout de ces jours d’horreur.

À Kharkov, les combats font rage, comme à Marioupol. Ce port industriel stratégique, situé sur la mer d’Azov, apparaît complètement encerclé par les forces russes et du DNR. Dernière grande cité du sud-est de l’Ukraine à être restée sous le contrôle de Kiev, cette ville de 400 000 habitants se trouve prise au piège. Il n’y aurait plus d’électricité désormais, a déclaré Pavlo Kirilenko, le gouverneur ukrainien de la région de Donetsk. Mais, surtout, les forces armées russes et du DNR ont lancé un ultimatum aux habitants afin de quitter la ville avant le 3 mars par « deux couloirs humanitaires spéciaux (…) vers la région de Zaporozhye et la Russie », a annoncé Édouard Basurin, un des représentants du DNR, qui dirige les forces armées.

À 50 kilomètres, au nord, Donetsk a vu la mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) quitter ce mardi, la ville en direction de la Russie. Même chose à Lougansk. L’OSCE était présente depuis mars 2014 dans la région du Donbass et le début du conflit, qui a déjà fait plus de 15 000 morts et désormais des centaines de milliers de réfugiés. Dans le sens inverse, de nouvelles colonnes militaires viennent en renfort, laissant penser à une intensification du conflit.

La capitale du DNR continue de subir des frappes dans le centre-ville même. Les habitants, nombreux encore à sortir et à poursuivre leur vie quotidienne, semblent néanmoins marqués par les pénuries, les combats et une guerre qui n’en finit plus. « J’en ai marre. Ma mère est russe. Mon père est ukrainien. On voudrait la paix et que Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine se dépêchent de trouver un compromis et nous sortir de cette situation qu’ils ont eux-mêmes créée », assène Igor. En attendant, les morts de chaque côté ne cessent croître.

(1) Les prénoms ont été changés.


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