Rhaine: La submersion de la digue républicaine

Par Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine.

Le 10 juillet 1940, députés et sénateurs ont voté par 569 voix, 17 abstentions et 80 votes contre, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Nous savons depuis ce jour, l’un des plus funestes de l’histoire politique de notre pays, qu’une démocratie est mortelle et que la République peut se suicider.

Petit-fils d’Albert Ouzoulias, le colonel André, commissaire national des Francs-tireurs et partisans et arrière-petit-fils de Maurice Romagon, fusillé par les Allemands le 7 mars 1942, je me souviens du regard de celles et ceux revenus des camps d’extermination nazis qui rendaient visite à mes grands-parents. Dans leurs yeux se voyaient graver les images terribles de la plus grande entreprise criminelle commise par des hommes contre notre commune humanité, mais aussi le solide espoir que les générations futures continueraient leur combat pour que jamais plus les idées qui aboutirent à la Shoah ne pussent prospérer. Et longtemps nous fûmes unis par une vigilance collective contre les soubresauts prodromiques du « ventre encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».

Le 29 juin 2022, deux députés du groupe du Rassemblement national (RN) ont été élus à la vice-présidence de l’Assemblée nationale avec l’apport considérable de près de 200 voix de leurs collègues d’autres groupes, dont ceux de la majorité présidentielle. À la suite de cet événement, au nom de la fidélité à nos principes humanistes, il convient que chaque parlementaire se demande en conscience si le RN est devenu un parti comme les autres ou si le discernement des principes républicains est tellement corrompu qu’il ne permet plus d’en comprendre la vraie nature.

Le lendemain, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale décidait de placer les députés appartenant au groupe du RN à l’extrême droite de l’hémicycle, contre les dénégations véhémentes de sa présidente en quête de notabilité. D’aucuns justifièrent son maintien dans cette partie de l’hémicycle en arguant de l’opinion de politistes qui le considèrent toujours comme un parti d’extrême-droite. Était-il besoin de mobiliser la science politique pour s’en persuader ?

Le programme du RN, défendu lors des campagnes de l’élection présidentielle et des législatives, demeure structuré autour de la « préférence nationale », rebaptisée dernièrement en « priorité nationale ». Appliqué à l’ensemble des politiques publiques, il a pour projet d’attribuer des droits sociaux à des individus à raison de leur naissance quand l’ordre constitutionnel de notre République les confère à l’ensemble des citoyens. La « préférence nationale » sélectionne au sein de la population de la France des personnes en fonction de leur origine familiale. Dans cette expression, l’adjectif national procède du mot latin qui désigne la naissance, mais aussi la race. Cette nation fondée par les liens du sang s’oppose radicalement à la nation républicaine construite par la citoyenneté et l’appartenance sans entrave à une communauté politique.

Le RN n’a pas caché que la mise en œuvre de la « préférence nationale » l’obligerait à modifier la Constitution pour s’affranchir de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des traités internationaux ratifiés par la France. Ne doutons pas de sa volonté d’imposer son programme s’il remporte la prochaine élection présidentielle. Dans une assemblée qui compterait alors certainement une majorité absolue de députés du RN, la France connaîtrait un nouveau 10 juillet 1940 et la République s’effacera au profit d’une nouvelle « révolution nationale ».

Alors que certains constatent, sans peur, la submersion de la digue qui isolait le RN ou observent, « l’œil chargé d’un pleur involontaire », la dispersion du front républicain, n’oublions pas le courage des 80 qui refusèrent les pleins pouvoirs à Pétain et le sacrifice de ces hommes et de ces femmes qui donnèrent leur vie pour notre liberté.

Au-delà des débats politiques qui nous opposent, nous devons à leur mémoire de défendre ensemble les principes de notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

 

NDLR de MAC: en Tarn et Garonne, celles et ceux qui ont favorisé l’élection d’une députée RN sont coupables devant l’histoire, qu’ils soient de cette gôche qui calcule à court terme, ou qu’ils soient puissants à la tête d’un journal. Ni pardon, ni oubli! Qu’ils sachent, même si ils en ont perdu le sens, que notre honneur est de combattre le Rhaine…


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