Énergie Emmanuel Macron tient, ce vendredi, un conseil de défense énergétique pour répliquer aux craintes de pénuries de gaz et d’électricité dans les prochains mois. Syndicalistes et experts doutent de l’efficacité de cette mise en scène, et soulignent les carences de la politique tricolore.
Emmanuel Macron n’attendait que ça : le dirigeant tricolore peut enfin rendosser son costume favori, celui du capitaine dans la tempête ou, plus exactement, du chef de guerre face à l’adversité. Le « conseil de défense » énergétique qui se tient ce vendredi (voir ci-contre) s’inscrit évidemment dans cette ambiance martiale. Il faut « nous préparer au scénario du pire », c’est-à-dire à l’interruption totale des livraisons de gaz de la Russie vers l’Europe pour tout l’hiver, prévient la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Mais pour l’instant, en dépit des roulements de tambour et des menaces de coupures de courant qu’il agite, l’exécutif se limite à faire « preuve de pédagogie », en espérant que les ménages et les entreprises limiteront d’eux-mêmes leur consommation d’énergie, en croisant les doigts aussi pour que les frimas contournent l’Hexagone cet automne et cet hiver. Cette stratégie évitera-t-elle des coupures dans les mois à venir ? Les experts que nous avons interrogés se disent plutôt inquiets.
« Pour passer l’hiver, nous avons besoin de stocks de gaz pleins et d’approvisionnement », résume Thierry Bros, spécialiste des questions énergétiques. Commençons donc par nos capacités de stockage. Le gouvernement a fixé un objectif de remplissage de 100 % d’ici au 1er novembre. Les industriels estiment qu’ils en sont déjà à 90 %. Reste à savoir 90 % ou 100 % de quoi ? Il s’agit en réalité de « 90 % du volume qui a été commercialisé », explique Frédéric Ben, délégué CGT chez Storengy. Cette filiale d’Engie, leader mondial du stockage souterrain de gaz naturel, peut accumuler jusqu’à 108 térawatts de gaz. Et Engie a commercialisé 92 à 93 térawatts. Les stocks dont parle le distributeur de gaz représentent 90 % de ces 92 à 93 térawatts.
Depuis 2013 et la fermeture de plusieurs lieux de stockage, le syndicat CGT de Storengy alerte. « On nous a souvent reproché de crier au loup, mais force est de constater que c’est aujourd’hui une réalité », relève Frédéric Ben. Même sans boule de cristal, le représentant des gaziers estime qu’avec « 88 % de remplissage des sites de stockage en gaz haut calorifique, qui alimentent la majeure partie du territoire en France, ce n’est pas suffisant pour combler les 17 % de gaz importés de Russie ». Les craintes sont d’autant plus légitimes qu’un éventuel manque de gaz entraînerait aussi une chute de la production de l’électricité. Frédéric Ben rappelle que, l’an dernier, 11,6 % de l’électricité étaient produits à partir de centrale combinée gaz.
Les approvisionnements plafonnent
Pour parvenir à se passer progressivement des hydrocarbures russes, les Européens ont fait feu de tout bois auprès des autres fournisseurs canadiens, états-uniens, qataris ou algériens. L’arrivée de méthaniers a été multipliée par 70 sur un an par rapport aux mois de janvier et février 2021. Malgré cette noria, le compte n’y est pas. Le gouvernement français aurait pu « remplir l’ensemble des stockages souterrains et des terminaux méthaniers ». Cela n’a pas été fait en raison des prix du gaz, qui s’échange entre 300 et 500 euros le mégawatt. « Le coût a été multiplié par 5 ou 8, ce qui est insupportable pour de nombreux fournisseurs de gaz », explique le cégétiste. Le gouvernement aurait cependant pu contraindre les trois entreprises qui ont des missions de service public à remplir leurs espaces de stockage. Engie en a les moyens, elle dont les résultats ont progressé de 34 % au premier semestre. À rebours, le choix du gouvernement est « purement financier », déplore Frédéric Ben. La France peut-elle encore espérer des approvisionnements conséquents, les prochaines semaines ? « Avant la crise actuelle, les exportations russes représentaient 40 % de la demande de l’Union européenne (UE), rappelle Thierry Bros. Ce chiffre a été abaissé à 15 % et les pays européens ont remplacé le gaz russe manquant par du GNL (gaz naturel liquéfié). Le problème, c’est qu’on ne pourra pas aller tellement plus loin… » Autrement dit, si le président russe décide de fermer totalement les vannes au 1er octobre, l’UE ne pourra tout simplement pas faire face : « Il nous manquerait l’équivalent de 20 milliards de mètres cubes pour la totalité de l’hiver. Cela signifie que, le 15 mars, il n’y aurait plus assez de gaz pour alimenter les ménages et les industriels… »
Car on sait déjà que la cavalerie arrivera trop tard pour cet hiver. Le projet de terminal méthanier flottant au Havre a beau avoir profité de la loi sur le pouvoir d’achat pour court-circuiter les procédures d’autorisations environnementales, cette unité flottante fournie par TotalÉnergies avec GRTgaz n’entrera en fonction qu’en septembre 2023. Elle pourra alors injecter l’équivalent de 60 % du gaz russe importé par la France en 2021, ou environ 10 % de la consommation annuelle française, selon la préfecture de Seine-Maritime.
La fée électricité aurait pu prendre le relais de notre gaz évanescent. Sauf qu’elle ne vole pas bien haut non plus. « La dépendance au gaz russe est moins importante chez nous que dans d’autres pays, admet Thierry Bros. Mais le nucléaire pèse lourd dans notre mix énergétique et nous allons devoir passer l’hiver avec environ 100 térawattheures (TW) d’électricité manquants, en raison de l’arrêt de nos réacteurs. » Actuellement, seuls 24 des 56 réacteurs du parc sont en service, les 32 autres étant à l’arrêt pour maintenance. Si bien qu’EDF espère générer entre 280 à 300 térawattheures (TWh) cet hiver, contre environ 400 térawattheures en temps normal.
Condamnés à la sobriété et au délestage
Élisabeth Borne a beau réaffirmer, ce jeudi, sur France Inter, qu’elle « compte vraiment sur EDF pour assurer son programme de redémarrage dans les prochaines semaines », l’opérateur historique ne peut pas aller plus vite que la mauvaise musique imposée par le sous-investissement de l’État. « Nous, avec la filière, nous n’avons pas embauché de gens pour construire douze centrales. Nous en avons embauché pour en fermer douze », s’est lâché le PDG sortant d’EDF, Jean-Bernard Lévy, lors d’un débat aux universités du Medef qui a fait des vagues.
Pour le courant comme pour le gaz, on croise donc les doigts. Pourvu qu’il ne fasse pas trop froid afin d’éviter les pics de consommation. Pourvu qu’il pleuve bien cet automne afin de refaire les stocks des barrages hydroélectriques à sec. Et pourvu qu’il fasse beau et qu’il y ait du vent, contrairement à l’hiver dernier, afin de soutenir la production solaire et éolienne, Petits Poucets qui ne représentent que 13,1 % de la consommation d’énergie primaire. Le gouvernement compte enfin sur les deux dernières centrales à charbon dont il avait programmé la fermeture cette année. Si Cordemais (Loire-Atlantique) a œuvré de janvier à mars dernier et semble parée, ce n’est pas si simple pour son homologue de Saint-Avold (Moselle), dont le propriétaire, GazelEnergie, a dû courir après ses salariés qu’il avait licenciés au printemps. Et après le charbon, au prix fort.
« En quantité, ça risque d’être un peu juste, admet l’économiste Jacques Percebois. Si la France a saturé les interconnexions avec ses voisins en important en août de l’électricité alors qu’elle était jusque-là exportatrice à cette période, elle ne pourra pas réitérer cet hiver. Car il ne sera alors pas sûr qu’il y ait des vendeurs sur le marché. » Voilà pourquoi le gouvernement est condamné à ses appels à la « sobriété ». Et si la situation se complique, RTE prendra les choses en main, selon un système d’alerte, Écowatt, déjà éprouvé l’hiver dernier par le gestionnaire du réseau de transport du courant, allant de l’ « effacement » volontaire de la consommation des entreprises et particuliers à des coupures contraintes à l’encontre des entreprises les plus énergivores, jusqu’à des « délestages » tournants via des baisses de tension ou des coupures zonées et momentanées. « Les particuliers ne devraient pas être trop touchés car on ne voudra surtout pas toucher à leur chauffage électrique », rassure Jacques Percebois.
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