Journée de grève du 18 octobre. Philippe Martinez : « Pourquoi nous appelons à généraliser le mouvement »

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, revient sur les revendications et les mobilisations des salariés du secteur. Avec d’autres syndicats, la CGT lance une journée d’action interprofessionnelle le mardi 18 octobre.

Philippe Martinez avec les grévistes de la raffinerie Notre-Dame-de-Gravenchon, le 12 octobre. Lou Benoist / AFP

Philippe Martinez avec les grévistes de la raffinerie Notre-Dame-de-Gravenchon, le 12 octobre. Lou Benoist / AFP

Le conflit social commence à faire tache d’huile. Démarrée le 20 septembre, la mobi­lisation dans les raffineries s’étend peu à peu à d’autres secteurs, alors que ­redoublent les attaques gouvernementales. Avec d’autres syndicats, la CGT lance une journée d’action interprofessionnelle le mardi 18 octobre.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, interpelle la CGT : « Le blocage de tout le pays, c’est parfaitement inacceptable », assure-t-il. Par ailleurs, de nombreuses professions se plaignent de ne plus pouvoir travailler en raison du manque d’essence. Que répondez-vous aux critiques ?

La CGT a demandé l’ouverture de négociations depuis plusieurs semaines sur la question des salaires et, jusqu’à présent, ni la direction de Total ni le gouvernement n’avaient jugé bon d’y répondre. Il a fallu attendre un conflit, dont l’exécutif a d’ailleurs minimisé l’impact au départ, en expliquant qu’il n’y avait aucun problème d’approvisionnement, pour qu’il se réveille. Le gouvernement et la direction de Total inversent les rôles : ce sont eux qui sont responsables de la situation.

Ce conflit revêt un caractère symbolique au vu de la situation financière du groupe : face à un PDG qui s’augmente de 52 % en un an mais qui refuse de partager les bénéfices réalisés, nous avons besoin d’un gouvernement qui fasse preuve de fermeté politique, pas qu’il renvoie dos à dos syndicats et direction…

Bien sûr, nous comprenons la colère des services d’urgences et des citoyens en général, mais il ne faut pas tomber dans le piège de la division : la faiblesse des salaires touche tout le monde dans notre pays, d’où la multiplication des grèves dans de nombreuses entreprises. Des procédures doivent être mises en place pour permettre aux professions du soin et du médico-social de travailler correctement, mais c’est au gouvernement de les organiser.

La direction de Total a fait, ce jeudi, une nouvelle offre aux grévistes, avec une augmentation des salaires de 6 % en 2023, ainsi qu’une prime équivalant à un mois de salaire. Suffisant, selon vous ?

C’est aux salariés d’en décider, mais, ce qui est sûr, c’est que cette proposition ne correspond pas à la demande des syndicats de Total. La CGT réclame 10 % d’augmentation. Une négociation salariale ne se déroule pas de cette manière : en principe, direction et syndicats signent un accord de fin de conflit, qui prévoit des avancées et, ensuite, on demande aux salariés si cela leur convient.

Mais une direction qui dialogue toute seule et transmet ses propositions par voie de communiqué, cela n’a rien de démocratique. Que de temps et d’énergie perdus pour les salariés et les citoyens qui galèrent pour enfin ouvrir les négociations !

S’appuyant sur l’accord signé chez ExxonMobil par les syndicats majoritaires de l’entreprise, le gouvernement dénonce une grève minoritaire …

Je rappelle que l’accord signé chez ExxonMobil ne correspond visiblement pas aux attentes des salariés, puisque ces derniers sont en grève ! Par ailleurs, je ne pense pas que l’exécutif soit le mieux placé pour donner des leçons de démocratie : les trois quarts de la population sont opposés au recul de l’âge de départ en retraite, ce qui ne l’empêche pas de maintenir son projet de réforme. Le gouvernement invoque la règle de la majorité quand ça l’arrange.

On assiste à une campagne de dénigrement des grévistes ces derniers jours. Comment l’analysez-vous ?

C’est un classique des mobilisations : pour dresser les salariés les uns contre les autres, on fait passer les grévistes pour des privilégiés. Les cheminots connaissent ça par cœur. J’ai relu la grille des salaires de la branche chimie : elle montre que, dans ce secteur, deux niveaux de salaire démarrent en dessous du Smic et six coefficients en dessous de 2 000 euros.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la réalité du travail : équipes de nuit, astreintes les week-ends, exposition aux produits dangereux, etc. Les chiffres de rémunération avancés par certains, de 5 000 euros brut par mois pour des opérateurs de raffinerie, sont totalement fantaisistes. Cependant, si les salariés de Total sont un peu mieux payés que d’autres, la CGT s’en félicite : nous réclamons une hausse de l’ensemble des salaires, pas un nivellement par le bas !

Vous appelez à une journée de grève dans toutes les entreprises, publiques comme privées, la semaine prochaine. Pourquoi ?

Lors de la journée du 29 septembre, nous avons prévenu qu’il y aurait des suites. Nous y sommes. La question de la grève doit être débattue dans toutes les entreprises. Nous appelons d’ores et déjà à généraliser le mouvement démarré chez Total, même si nous connaissons la difficulté de faire grève pour de nombreux salariés, abonnés aux bas salaires. La colère sociale qui s’exprime dans le pays est légitime. Les mots d’ordre de la journée de la semaine prochaine y répondront : ils tourneront logiquement autour des salaires et du partage des richesses.

La problématique de la taxation des profits est plus que jamais posée, elle apparaît de manière plus prégnante chez Total, mais ce n’est pas le seul exemple. Je veux rappeler ici l’importance des mobilisations nationales : tout ne peut pas se régler au niveau des entreprises. La question de la hausse du Smic, par exemple, doit se décider à l’échelle du pays.

De même, nous réclamons le retour de l’échelle mobile des salaires, c’est-à-dire l’indexation des rémunérations sur l’inflation, afin que les salaires suivent la hausse des prix.

Comment jugez-vous la décision du gouvernement de procéder à des réquisitions de grévistes ?

Nicolas Sarkozy avait fait de même lors des grèves de raffineries de 2010, sur fond de réforme des retraites. Nous disons que cette mesure contrevient au droit international. En 2010, l’Organisation internationale du travail (OIT), émanation de l’ONU, avait d’ailleurs critiqué la France pour cela, en estimant qu’il s’agissait d’une attaque contre le droit de grève. Bien sûr, elle n’a pas les moyens juridiques de condamner la France, puisqu’elle ne peut faire que des recommandations. Mais cela a du poids.

L’utilisation par l’actuel gouvernement de l’arme des réquisitions nous inquiète d’autant plus que cela s’inscrit dans un mouvement plus global, en Europe, pour restreindre le droit de grève. Nous nous battons contre cette remise en cause.


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