EDF. Ce que cache l’OPA du gouvernement
Dans quelques semaines, l’État français devrait acquérir en urgence la totalité du capital de l’électricien pour le sauver de la faillite et permettre de réaliser les investissements à venir. Une montée au capital destinée avant tout à garder la main pour mieux poursuivre le dépeçage de l’entreprise.
Depuis le 4 octobre, le projet d’OPA (offre publique d’achat) de l’État pour détenir 100 % du capital d’EDF circule dans les services de l’Autorité des marchés financiers, en attente de sa validation. D’ici la fin de l’année, l’État devrait récupérer les 15,9 % qu’il ne possède pas, au prix de 12 euros par action pour une enveloppe de 9,7 milliards d’euros. La manœuvre permet aux pouvoirs publics d’esquiver le débat parlementaire. En pleine flambée des prix de l’énergie et face à la perspective d’un hiver chaotique, le gouvernement affiche sa volonté de « nationaliser » l’entreprise afin de gagner en « indépendance ». Mais dans les faits, ce n’est qu’une illusion.
La loi du 8 avril 1946, élaborée par le communiste Marcel Paul, qui avait permis de nationaliser la production de gaz et d’électricité, est aux antipodes de la proposition gouvernementale.
Luc Rémont, récemment nommé à la tête de l’entreprise, est d’ailleurs plus connu pour privatiser les entreprises que pour les nationaliser. Les salariés de GDF s’en souviennent. Vendredi, alors qu’il sortait de Bercy après avoir consulté une partie des documents concernant l’OPA, protégés par le secret des affaires, le député socialiste Philippe Brun a confirmé les craintes, affirmant n’être « toujours pas rassuré ». De fait, les contours de cette fausse nationalisation ne paraissent en rien endiguer la crise que connaît EDF.
L’urgence face au risque de faillite
Cet empressement à prendre le contrôle de la société est, avant tout, lié à la santé financière de l’entreprise. Depuis le début de l’année, celle-ci n’a cessé de se dégrader. En cause, la mise en place en 2010 de l’Arenh, accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce mécanisme consiste, pour EDF, à vendre une partie de sa production à ses concurrents au prix fixe de 42 euros, récemment rehaussé à 49 euros. À de tels tarifs, chaque opération se fait à perte pour l’opérateur historique. Un mécanisme ubuesque et injuste permettant de « créer de la concurrence dans un secteur où cela n’a pas de sens », pointe une spécialiste nucléaire de la fédération FNME-CGT.
Avec la mise en œuvre du bouclier tarifaire, la part d’énergie réservée à la concurrence est même passée de 100 à 120 térawattheures, correspondant à un cinquième de la production d’EDF. Objectif gouvernemental : baisser le coût de l’électricité des opérateurs non producteurs et concurrents d’EDF contraints de se fournir sur les marchés de gros. Un obstacle de taille auquel s’ajoute un sous-investissement chronique : EDF a récemment été contraint de mettre à l’arrêt 12 réacteurs et de ralentir sensiblement son parc nucléaire à la suite d’un problème de corrosion. La production devrait avoisiner cette année les 285 térawattheures, contre 400 et plus entre 2002 et 2015. Le groupe doit ainsi acheter sur le marché les électrons manquants à prix d’or.
Résultat : la dette qui dépassait les 40 milliards d’euros fin 2021 explose et pourrait atteindre les 65 milliards d’euros d’ici la fin de l’année. Par ricochet, les agences de notation, dont l’objectif est d’évaluer la solvabilité des entreprises, s’activent. Fin mai, Standard & Poor’s a placé EDF en surveillance négative. Le spectre d’une nouvelle dégradation plane, rendant impossible un refinancement de la société par les marchés financiers. « L’OPA, en apportant une garantie de l’État, est pour le gouvernement la seule manière de rassurer les agences de notation afin de pouvoir continuer d’investir », explique Gwenaël Plagne, secrétaire adjoint CGT du conseil social et économique central (Csec) d’EDF. Pour rappel, en début d’année, Emmanuel Macron avait annoncé la construction de six EPR de nouvelle génération, dont le coût s’élèvera à 60 milliards d’euros.
Un projet Hercule 2.0
Si l’OPA répond ainsi à une nécessité, les syndicats peinent à percer la cohérence de la manœuvre. « Lors du Csec, le représentant de l’État ne nous a donné aucune réponse sur la stratégie industrielle », poursuit le syndicaliste. Or, les tensions conjoncturelles du secteur liées à la guerre en Ukraine, à l’été particulièrement chaud et à l’indisponibilité ponctuelle du parc nucléaire ne peuvent être isolées d’une réflexion plus générale sur les enjeux énergétiques. Aucun débat politique ne permet, pourtant, de dessiner une approche globale. Pour preuve : les lois s’enchaînent en segmentant chaque secteur de la branche, rendant difficilement atteignable l’objectif d’un mixte énergétique efficace. Ainsi, la loi sur les énergies renouvelables sera débattue la semaine prochaine, juste avant la présentation d’un texte sur le nucléaire. Puis, à en croire la première ministre, ce sera au tour à l’hydraulique d’avoir son projet de loi…
L’opération ressemble plus à un « enfumage » qui consiste « à laisser les mains libres à l’État pour opérer le découpage de l’entreprise », alerte Philippe Page Le Mérour, secrétaire CGT du Csec d’EDF. Les craintes étant de voir ressurgir une version 2.0 du projet Hercule. Celui-ci consistait à scinder EDF en plusieurs parties, avec les activités nucléaires regroupées dans EDF bleu 100 % public, les énergies renouvelables et le réseau de distribution Enedis dans EDF vert, ouvert partiellement au marché, et l’hydroélectrique dans une troisième entité.
L’incohérence d’une SA publique
Les craintes sont d’autant plus fortes que l’OPA portée par le gouvernement ne modifie en rien le caractère de l’entreprise, ni sa raison d’être, ni son statut : EDF restera une société anonyme, bien que publique. Or, le gouvernement aurait pu choisir de transformer l’entreprise en Établissement à caractère industriel et commercial (Epic), comme le proposent les syndicats. Une spécificité française qui permet de réunir dans une seule entité l’ensemble des filiales du groupe et ainsi de maîtriser le prix tout au long de la chaîne, de la production à la commercialisation. En filialisant les différentes activités du groupe, les exigences de rentabilité seront multipliées, tout comme les intermédiaires, donc les factures. De plus, liste la CGT, le statut d’Epic permet également de disposer d’une signature comparable à celle de l’État sur les marchés financiers et ainsi d’un taux d’intérêt plus faible et d’une capacité d’endettement plus élevée qu’une SA 100 % publique.
Aucun effet sur les prix de l’énergie
Le récit gouvernemental se heurte à une autre réalité, celle du marché européen de l’électricité. Un marché concurrentiel où le prix de l’électricité est défini par le coût « marginal » du dernier mégawattheure le plus cher produit, à savoir actuellement celui du gaz. Un système absurde qui « conduit à une réflexion à courte vue et à faire grimper les prix », explique une responsable fédérale de la CGT. D’ailleurs, l’Espagne et le Portugal ont obtenu de la Commission européenne, en évoquant une « dérogation ibérique », le droit de s’extraire des règles du marché afin de pouvoir proposer leur propre tarification. Un chemin que n’a pas suivi la France.
Mardi dernier, la présidente de la Commission de régulation de l’énergie, Emmanuelle Wargon, a même réaffirmé son souhait de maintenir un marché européen interconnecté avec la règle de la vente sur le marché de gros de l’électricité au prix spot (le prix fixé par le marché de l’électricité), avec pour simple correction une décorrélation du prix de l’électricité à celui des énergies fossiles. « Pourtant, chaque mois, 100 000 usagers souhaitent sortir du système concurrentiel afin de retrouver les tarifs réglementés, les demandes affluent aussi de la part des collectivités territoriales, d’artisans, de grandes entreprises, recense Philippe Page Le Mérour. Le tarif réglementé a repris tout son sens. »
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