Ne jamais oublier ceux qui sont morts pour que nous puissions vivre libres (Fabien Roussel)

Hommage camp du Vernet – samedi 29 octobre 2022

Madame la présidente chère Carole, monsieur le Maire, mesdames et messieurs

Cela faisait longtemps que je souhaitais me recueillir ici devant la tombe des prisonniers du Camp du Vernet.

Cette commémoration est importante pour ma famille politique mais aussi pour ma famille personnelle car elle revêt pour moi un caractère particulier, à travers l’histoire de mon arrière grand-père, Salvador Lardiès, qui y a été interné durant trois longues années.

A travers lui, je souhaite rendre hommage aujourd’hui à toutes celles et ceux qui ont été internés ici, dans ce camp de concentration tenu par les Français et ouvert dès le début 39 avant que ne débute la guerre.

Je souhaite aussi rendre hommage à tous ces hommes, à toutes ces femmes, venus d’ailleurs pour mille raisons et qui ont fini par construire leur vie ici, en France, dans notre beau pays, façonnée par toutes ces migrations.

Nous sommes tous des enfants issus de l’immigration.

Mais ici, nous honorons l’histoire de ces hommes – des républicains espagnols, des militants politiques, syndicaux – qui ont été internés pour leurs idées, par le gouvernement d’extrême droite de Vichy, de Pétain.

Cette histoire, nous ne devons jamais l’oublier.

Salvador Lardiès était mon arrière-grand-père, espagnol, né, tout comme ma grand-mère, à Martes en Aragon. Ma grand-mère, Maria, a 97 ans et vit toujours à Bethune. Elle n’a rien oublié.

Elle n’a rien oublié de la victoire du Front populaire en Espagne aux élections de février 1936, ni du putsch militaire de droite et d’extrême droite dirigé par le général Franco.

Elle n’a pas oublié le départ de son père, Salvador et son frère Saturnino, qui font le choix de s’engager dans les forces républicaines, contre l’arrivée de Franco et des phalangistes.

Et c’est l’honneur du PCF d’avoir envoyé des milliers de brigadistes combattre le fascisme à leur coté en Espagne. Hélas, faute de soutien, la chute de Barcelone en 39, dernier bastion républicain, va provoquer en 15 jours l’exode d’un demi-million de d’espagnols franchissant la frontière des Pyrénées dans le plus grand dénuement pour échapper à la répression et aux bombardements.

Ils n’étaient pas au bout de leur peine. Ils seront escortés jusque sur la plage d’Argelès-sur-mer où rien n’est prévu pour les accueillir alors que l’hiver est là… Les brigadistes et combattants républicains seront enfermés dans des camps de concentration, d’autres seront transférés dans des camps d’exterminations en Allemagne, ou au titre du service du travail obligatoire ( STO) à l’initiative de Vichy.

Salvador, lui qui avait su trouver refuge à Tarbes, sera enfermé pendant 3 ans au Camps du Vernet.
3 ans. 3 ans d’enfer dans ce triste camp du Vernet, le camp de concentration le plus répressif de France, bâti par le gouvernement de Pétain dés le début de 39 pour y interner les opposants à sa politique.

Sa fille, ma grand mère, à peine 15 ans, garde en elle l’image de son père, qu’elle observait au loin derrière les barbelés, un père amaigri, malade, perdu.

Ils ont été au total 35 à 40 000 hommes, femmes, enfants, à vivre dans des baraques en planches, souffrant de la faim, de la saleté, du froid, victimes de maladie et des coups des gardiens.

Plus de 12 000 républicains espagnols y sont enfermés ainsi que des journalistes, des intellectuels, des militants communistes français, bulgares, allemands, autrichiens qui, dans toute l’Europe, résistent au nazisme. Près de 70 nationalités en tout. Mais aussi des centaines de juifs français arrêtés par la police de Vichy puis déportés à Auschwitz dont 40 enfants âgés de 2 à 17 ans en février 42.

L’écrivain hongrois Arthur Koestler, détenu quelques mois au camp de Vernet, écrit à l’époque que les exilés, les persécutés, les traqués de l’Europe en raison de leur nationalité ou de leur croyance, y ont été considérés comme « la lie de la terre », ce qui deviendra le titre de son livre.

Pour l’extrême droite française, qui domine alors le pays, il fallait enfermer ces étrangers qui croyaient à la liberté.
Une partie de la presse relaie ses idées. Un journal de l’époque titre ainsi son édito en 1939: « La canaille espagnole ». Et d’expliquer, je cite : « Que la France ait accueilli les réfugiés espagnols, rien de plus naturel. Nous avons des traditions d’hospitalité auxquelles nous voulons rester fidèles. Mais il y a des bornes à cette charité. Il eût fallu fermer nos frontières à toute cette pègre, à toute cette canaille qui déshonore l’humanité et qui s’est abattue sur la région comme une horde de barbares ».

70 ans plus tard, les mêmes mots résonnent encore. Ce climat politique nauséabond, malfaisant empeste toute l’Europe et la France.

Comme avec ce crime odieux qui devient une affaire nationale tant les partis d’extrême droite et quelques animateurs TV s’en emparent pour tirer un trait d’égalité entre immigré et meurtrier, ou pour exiger encore une justice expéditive, sans avocat.

Oui, le racisme, l’antisémitisme servent encore de ressorts à des forces politiques pour conquérir le pouvoir.
C’est pourquoi, je le redis ici: jamais, nulle part, à aucun moment, nous, les communistes, ne mêlerons nos voix, nos suffrages aux leurs et ce pour quoique ce soit. Jamais nous ne seront complices de leur crime.
Il est important, justement, de montrer aux Français les valeurs et les différences qui séparent la gauche et le camp républicain de l’extrême droite, de rappeler que nous sommes les enfants de celles et ceux qui ont été martyrisés par l’extrême droite.

Oui nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui fuient leur pays, car ils ne le font jamais de gaité de coeur. Ils ont besoin de notre solidarité, de la solidarité de tous les pays d’Europe car nous
appartenons à la même humanité.
Mon arrière-grand-père, lui, a été libéré en décembre 1942 pour être envoyé comme STO sur des chantiers allemands dans le Nord. Il meurt en janvier 1949 à Wargnies-le-Grand d’une tuberculose attrapée ici, dans le camp du Vernet.

Chers amis, monsieur le maire, madame la présidente, chère Carole Je sais que nous partageons ce combat républicain. Et je sais qu’ensemble, nous continuerons de tenir ces digues pourtant fragiles qui protègent encore notre pays.

Nous ne devons jamais oublier ce que la France a vécu. Nous ne devons jamais oublier ceux qui sont morts pour que nous puissions vivre libres


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