À rebours des analyses simplistes qui évoquent le « vote des jeunes » comme un ensemble homogène, la jeunesse apparaît comme un électorat aussi divisé que les autres tranches d’âge (quand elle vote) mais qui se distingue par ses priorités. Entretien avec le sociologue Laurent Lardeux, chercheur à l’INJEP.
Une jeunesse plurielle et aussi polarisée que ses aînés, mais qui ne vote pas pour les mêmes raisons que les plus âgés. Voilà ce qui ressort de l’enquête Youngelect 2022, cordonnée par les chercheurs Vincent Tiberj, Amaïa Courty, et l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP).
Un des slogans de la présidentielle 2022, côté majorité sortante, était « Macron, président des jeunes ». À la lumière de votre enquête, on en est bien loin…
Emmanuel Macron obtient ses meilleurs scores chez les plus de 65 ans. Il ne fait que 13 % chez les 18-24 ans et 16 % chez les 25-34 ans. On a parlé à raison de tripartition des votes, à la présidentielle, entre trois candidats – Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon – ayant capté à eux trois 75 % des voix. On ne peut pas vraiment parler de tripartition, en revanche, quand on prend le vote des moins de 35 ans, on observe plutôt une bipolarisation du vote autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon (38 % chez les 18-24 ans, 30 % chez les 25-34 ans) et de Marine Le Pen (28 % chez les 18-24 ans, 33 % chez les 25-34 %). Les jeunes qui ont voté pour le président de la République sont un électorat très marqué socialement, plutôt avantagés socialement ou scolairement.
Comment expliquer cette bipolarisation ?
Il faut d’abord garder à l’esprit que le vote ne veut pas dire la même chose selon la génération à laquelle on appartient. Notre enquête montre que les jeunes voient le vote davantage comme un droit que comme un devoir, alors que c’est l’inverse chez les plus de 65 ans. Cela a un effet sur leur rapport aux urnes et leur mobilisation électorale. Les jeunes peuvent aussi adopter d’autres modalités que le vote pour marquer leur opposition aux politiques menées, comme les marches, les pétitions ou les actions de désobéissance civile. Le taux d’abstention (22 % des 25-34 ans n’ont voté à aucun des deux tours de la présidentielle) montre cet éloignement, voire cette défiance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Parmi ceux qui votent, elle s’incarne comme un vote plus « contestataire » vis-à-vis du pouvoir en place, soit dans le vote FI soit dans le vote RN. Le rapport de force et les dynamiques de vote utile ont ensuite renforcé cette bipolarité.
Est-ce une vraie rupture générationnelle ?
Je parlerais davantage de renouvellement. Dans l’histoire, les jeunes ont rarement voté comme leurs aînés, les premiers étant plus souvent tournés vers des valeurs progressistes, les seconds sur des valeurs plus conservatrices. Ce n’est donc pas un fait nouveau. En revanche, il y a un renouvellement des valeurs, des oppositions sur les priorités électorales – les droits des immigrés, l’écologie, la tolérance vis-à-vis des minorités de genres -, et des attitudes face aux urnes qui peuvent créer d’importants clivages entre générations, mais aussi entre jeunes, d’où la bipolarité évoquée précédemment.
Justement, votre enquête met l’accent sur le rôle prépondérant de ces valeurs culturelles dans le vote. Avec une jeunesse progressiste, mais aussi une autre jeunesse qui s’inscrit en réaction à ces valeurs-là…
Dans notre enquête, le politiste Vincent Tiberj détermine deux systèmes de valeurs structurants du vote. Il y a les valeurs socio-économiques, d’abord : est-ce que les interrogés sont plutôt favorables à un État redistributif ou libéral ? Pensent-ils qu’il y a trop ou pas assez de fonctionnaires ? Ensuite il y a les valeurs culturelles, qu’on identifie à partir d’une batterie de questions sur l’immigration, les minorités sexuelles, le genre, l’autorité. En croisant ces deux grands axes de clivage, on se rend compte que les valeurs culturelles influencent plus fortement le vote des jeunes que chez leurs aînés. C’est particulièrement frappant dans l’électorat jeune de Marine Le Pen, quasi unidimensionnel dans son rapport à une société conservatrice, hostile à l’immigration. La question socio-économique est secondaire dans la détermination de leur vote. Chez les deux autres principaux candidats, on observe davantage une combinaison des deux systèmes de valeurs : Emmanuel Macron séduit les « libéraux libertaires », qui affichent des valeurs progressistes et soutiennent l’économie de marché. Jean-Luc Mélenchon séduit des électeurs favorables à la redistribution, mais qui sont aussi progressistes et priorisent donc les questions écologistes, antiracistes, etc. Les électeurs opposés à l’économie de marché mais qui affichent des valeurs conservatrices ont fait défaut au candidat insoumis, au profit de Marine Le Pen notamment
Le « vote des jeunes » est-il un bloc homogène, d’un point de vue social ?
Non, notre enquête montre au contraire que la jeunesse est plurielle et diverse : les variations de participation sont très liées au niveau de diplôme ou à la situation sociale. Parmi les moins de 34 ans, 80 % des Bac + 2 déclarent avoir voté aux deux tours de la présidentielle. On tombe à 60 % pour ceux qui ont un niveau de diplôme inférieur au Bac. Il y a, comme dans les autres tranches d’âge, un sous-vote des jeunes les plus précaires, parfois aggravé par le phénomène de mal inscription sur les listes électorales.
Quel est le profil sociologique des jeunes qui ont voté Mélenchon ou Le Pen ?
L’électorat jeune de Marine Le Pen est socialement assez homogène et est quasiment le négatif de celui d’Emmanuel Macron. Il cumule des situations de relégation géographique, de précarité et de faible niveau de diplôme. C’est un électorat qui a pu se sentir méprisé, une corde sur laquelle Marine Le Pen a beaucoup joué. L’électorat de Jean-Luc Mélenchon est le plus diversifié des trois, avec des scores importants à la fois chez les plus diplômés et chez des niveaux inférieurs au Bac, à la fois chez des jeunes plutôt bien lotis socio-économiquement et chez la jeunesse précaire, celle issue de l’immigration d’ascendance africaine mais pas uniquement. Le candidat insoumis a quelque part réussi, concernant le vote des jeunes, l’équation entre fin du monde et fin du mois en réunissant des jeunes préoccupés par ces deux enjeux.
Le vote des jeunes est un éternel casse-tête pour les partis politiques, qui se demandent toujours comment toucher cet électorat. Quel conseil pourriez-vous leur donner ?
Je ne pense pas avoir la solution magique (rires) ! Pendant la présidentielle, les grands thèmes de la campagne ont été d’ordre socio-économique – la retraite, l’assurance-chômage, le RSA – ou très axés sur la sécurité et l’immigration. Même si ça peut paraître parfois contre-intuitif, ce sont des questions qui intéressent davantage les électeurs de plus de 65 ans que ceux de moins de 35 ans. Les partis politiques peuvent toujours investir les réseaux sociaux, moderniser leur communication, s’ils ne parlent pas des sujets qui intéressent la jeunesse, ça risque surtout de les desservir. Enfin, il y a sans doute des progrès à faire au niveau de l’institution scolaire. Elle transmet des compétences très classiques sur le fonctionnement de la démocratie. C’est nécessaire mais insuffisant. L’école reste frileuse à organiser des débats, à faire vivre la politique et les sujets qui intéressent la jeunesse en son sein. Alors même qu’on a des jeunes qui s’engagent de plus en plus tôt, dès 14-15 ans parfois, sur la question climat par exemple. Enfin, il y a aussi le souhait affirmé de cette jeunesse de participer plus directement aux décisions en réduisant la distance entre les élus et les citoyens, avec des attentes fortes pour une démocratie renouvelée et la création de nouveaux espaces de participation, de négociation, d’implication où elle pourrait intervenir plus directement dans le champ politique.
Les jeunes, moteurs de l’engagement citoyen
Lutte contre les discriminations, droits des femmes, préservation de l’environnement et de la biodiversité : ces thématiques mobilisent les 18-34 ans bien plus que leurs aînés. Les jeunes sont ainsi près d’un sur deux à agir au sein d’organisations collectives porteuses de ces valeurs.
Selon le baromètre de l’engagement citoyen et solidaire publié le 25 novembre, la crise sanitaire a impacté négativement les pratiques associatives des Français (ils sont 52 % à avoir une activité collective contre 59 % en 2018). Mais ce sondage Opinionway pour la plate-forme d’accompagnement des associations, HelloAsso, montre surtout que si les seniors ont réduit leurs activités, l’engagement associatif des jeunes a fait un bond. « Leur degré d’engagement est plus fort que leurs aînés dans presque toutes les catégories testées », précise l’étude qui indique que 81 % des 18-24 ans et 69 % des 25-34 ans ont au moins un engagement collectif, alors que ce n’est le cas que pour 52 % de l’ensemble de la population.
Les différences générationnelles sont particulièrement prononcées concernant la lutte contre les discriminations avec 39 % des 18-24 ans qui se disent actuellement investis sur la lutte contre le racisme, contre seulement 3 % de leurs aînés. Aussi, près d’un jeune sur deux est mobilisé pour la défense des droits des femmes et des personnes LGBTQI + contre à peine 5 % des seniors. Des données qui illustrent la motivation des jeunes générations à mettre leurs sujets de prédilection sur le devant de la scène, notamment d’égalité́ et de lutte contre les discriminations, mais aussi bien sûr de changement climatique.
Génération engagée
Le baromètre de l’engagement citoyen et solidaire, confirme la prise de conscience des défis environnementaux (changement climatique et protection de la biodiversité) chez les jeunes, sur-représentés dans l’engagement pour l’environnement avec 27 % des 18-24 ans et 44 % des 25-34 ans investis contre 15 % pour l’ensemble des Français. Fait notable, le souhait d’engagement sur les causes environnementales arrive aussi largement en tête parmi les classes populaires. « Cette dynamique est autant une bonne nouvelle qu’un défi pour les associations et les pouvoirs publics, estime Léa Thomassin, présidente et fondatrice de HelloAsso. L’appétence des plus jeunes pour l’action collective contredit le discours ambiant d’une génération désintéressée ou repliée sur soi. Il ne s’agit pas seulement d’une “Génération Climat” mais d’une “Génération engagée”. Ce fort souhait d’engagement doit stimuler les acteurs de l’intérêt général, associations, fondations et institutions, pour offrir aux jeunes des formats et des modes d’actions en ligne avec leurs attentes. » Une gageure pour les pouvoirs publics, puisque le baromètre confirme aussi la désaffection (voire la défiance) des Français, et particulièrement de plus jeunes, vis-à-vis de la politique traditionnelle, l’item « parti politique » arrivant bon dernier de toutes les thématiques testées.
Eugénie Barbezat
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