Ce titre d’emploi simplifié instaure une instabilité accrue et de faibles rémunérations, tout en permettant d’importantes exonérations fiscales.
Pour le réveillon de Noël, accompagnant une dinde aux marrons ou la bûche de chèvre partagée en famille, vous avez sans doute savouré un Côtes-du-rhône ainsi qu’une salade verte. Des produits du terroir qui nécessitent une main-d’œuvre le plus souvent précarisée. Théophile et Constance en font partie. Elle, est devenue maraîchère agricole, après une reconversion professionnelle. Lui, travaille dans les vignobles. Leur point commun ? Avoir travaillé la terre sous le régime du titre d’emploi simplifié agricole (Tesa) durant de longues années. « C’est une offre des pouvoirs publics, en l’espèce la Mutualité sociale agricole (MSA), en matière de déclaration, explique Martin Abry-Durand, enseignant-chercheur en droit privé. Pour les entreprises non dimensionnées à la gestion des paies, il permet de simplifier les droits des salariés et d’assurer le bon encaissement des cotisations. » Le Tesa n’est pas un contrat à proprement parler, comparable au CDD ou au CDI. « C’est un titre d’emploi censé être réservé aux salariés occasionnels du monde agricole », pour les exploitations n’excédant pas 20 personnes, poursuit le chercheur. Mais, selon Constance, « le Tesa nous contraint à une précarité à vie ».
« Les patrons l’utilisent pour nous mettre en position éjectable à tout moment »
Un cri du cœur poussé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale où se tenait le 1er décembre un colloque consacré aux ouvriers agricoles. « Mes employeurs n’ont jamais payé de cotisations. Et je n’ai jamais touché la prime de précarité, poursuit la maraîchère . C’est un contrat sans date de fin annoncée et les patrons l’utilisent pour contraindre nos droits et nous mettre en position éjectable à tout moment. » L’exceptionnalité du Tesa, normalement permis, selon le site de la MSA (1), « pour recruter des travailleurs occasionnels ou des CDD dans le cadre d’un accroissement temporaire d’activité », est souvent dévoyée. À l’exemple de Théophile qui, en treize ans d’activité professionnelle, les a enchaînés pendant plus de dix ans. « J’ai travaillé sous ce régime entre 15 et 20 fois par an, durant toute l’année, avec des employeurs différents, insiste-t-il. Parfois, c’étaient des contrats de quatre heures, alors que sa durée minimale doit être de deux jours. Et nous pouvons être mis à la porte à tout moment, sans plus de justifications. » De plus, d’une durée maximale de trois mois, il ne peut être théoriquement renouvelé qu’une seule fois. « Une blague, tance Théophile. Pour détourner cette mesure, il suffit à l’employeur de nous donner des jours de congé entre deux contrats. Et si un contrat s’arrête le 3 janvier, et qu’on est embauché le 8, c’est légal. »
Une de ces fois, en 2014, nous n’avons pas été déclarés. Et deux de mes collègues étaient sans papiers. Ils ont été emmenés par les gendarmes dans un centre de rétention. » Théophile
L’inspection du travail et la MSA sont bien sûr tenues de faire des contrôles réguliers. « Il n’y en a pas beaucoup et la MSA n’a pas la responsabilité d’accompagner les travailleurs dans la défense de leurs droits, assure Martin Abry-Durand. Les contrôles sont aléatoires et s’assurent que les déclarations sont bien faites et qu’il n’y a pas de travail au noir. » Théophile relate n’avoir vécu que trois contrôles depuis qu’il exerce comme ouvrier viticole. « Une de ces fois, en 2014, nous n’avons pas été déclarés. Et deux de mes collègues étaient sans papiers. Ils ont été emmenés par les gendarmes dans un centre de rétention. » Au total, le nombre de contrôles de l’inspection du travail en agriculture pèse pour 3 % du total des contrôles tous secteurs confondus.
Une niche fiscale particulièrement avantageuse pour le patronat agricole
Pour le patronat agricole, le Tesa présente de nombreux avantages. D’abord, en entrant les informations dans un logiciel, il laisse le soin à la MSA de produire l’ensemble des pièces administratives, tels que le bulletin de paie ou l’attestation de fin de contrat. Surtout, comme l’ensemble des rémunérations mensuelles inférieures ou égales à 1,2 Smic dans l’agriculture, ce titre simplifié permet une exonération totale de cotisations patronales. Selon la Fnaf-CGT, en 2017, ces allégements de cotisations fiscales et sociales représentent 3,7 milliards d’euros. A contrario, les rémunérations des ouvriers agricoles sont réduites à la portion congrue. « Cela dépend du nombre d’heures travaillées, car nous sommes loin d’être assurés des 35 heures ou de toucher l’ensemble de nos heures supplémentaires, mais on peut espérer gagner entre 500 et 1 500 par mois », assure Théophile . « Une fois, le 25 du mois, nous n’avions pas été payés. Le patron avait oublié », poursuit Constance.
L’enchaînement des périodes d’essai, malgré le renouvellement d’un Tesa au sein d’une même exploitation, est aussi un moyen de pression sur les salariés. En septembre 2021, Constance connaît une altercation avec son employeur : « Nous ramassions des salades et une dispute est survenue sur la manière de les entreposer dans les caisses, car je ne voulais pas me contorsionner le dos par la suite. J’étais en période d’essai alors que je travaillais chez lui depuis un an et demi. Il m’a dit qu’il préférait en rester là. » Le tout, dans des conditions de travail déplorables. « L’objectif des employeurs est de produire un maximum en diminuant le plus possible les coûts. Investir dans le confort des salariés n’est donc pas envisageable, relate la maraîchère. Où je travaillais cet été, nous n’avions ni salle de pause ni eau potable. Des collègues ont bu l’eau agricole, issue du Rhône et simplement filtrée par des cailloux. »
Aujourd’hui, Constance et Théophile sont sortis de ce mécanisme de précarité accrue. Elle, après avoir cumulé un Tesa et un CDD en début d’année, devrait prochainement reprendre la ferme où elle est employée. Lui travaille en CDI dans la viticulture. Surtout, avec d’autres ouvriers agricoles, ils ont fondé un collectif au sein de la Fnaf-CGT du Rhône, le département où ils travaillent. « Avant, j’avais l’impression d’être isolée, car nous sommes souvent seuls dans les champs, souligne Constance. Avec ce collectif, nous pouvons nous informer et peser dans les négociations des conventions collectives. »
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